Johanna Rocard
Haraway, Johanna Rocard

Rennes se dote (enfin) d’un grand festival de photographie artistique et critique : Glaz Festival ! Urgence, le monde est en crise, voilà le thème de la première édition de cette grande nouveauté dans le paysage rennais et breton. Le public est invité à découvrir plus de 30artistes nationaux et internationaux qui interrogent, décryptent et analysent le monde et les comportements humains. Du 16 novembre 2023 au 7 janvier 2024, Glaz donne à voir un regard vaste et profond comme le nuancier des couleurs de la mer dans près de 30. La première édition apparaît des plus prometteuses en matière de qualité et de rayonnement. Unidivers parle d’évolution de la photographie et du festival avec Jean-Christophe Godet, le directeur artistique de Glaz.

Le Glaz festival est attendu à Rennes comme un enfant pourrait attendre ses cadeaux de Noël. Il ne manquait à la capitale bretonne, connue pour son dynamisme en termes de programmation des pratiques photographiques, que son propre festival de photo. C’est dorénavant chose faite. Aux commandes : Jean-Christophe Godet, créateur et directeur artistique du festival de photographie de Guernesey. « Une délégation des acteurs culturels rennais avaient entendu parler du festival et est venue le voir », introduit-il. Le directeur artistique de Glaz n’est pas totalement inconnu de Rennes puisqu’il a déjà collaboré avec le musée de Bretagne pour son fonds photographique. L’idée initiale : développer l’image contemporaine déjà présente dans différentes initiatives rennaises. À la manière du festival de danse Waterproof, le Glaz festival s’inscrit dans le dynamisme culturel de Rennes et l’énergie du collectif qui en émane. « Rassembler tous les acteurs et essayer de voir comment les regrouper autour d’un thème commun était une évidence. » L’association créée en 2019 s’est servie de l’existant afin d’établir un événement ancré dans son territoire, avec une ambition malgré tout internationale.

Jean-Christophe Godet
Jean-Christophe Godet © Peter Franklin/Guernsey Press

Dans une société où l’image est omniprésente, devenue un langage quasiment parallèle au langage parlé, comment créer une image percutante ? « Le pouvoir esthétique de l’image et une narration photographique cohérente », répond Jean-Christophe Godet. « Il faut un message personnel, un propos unique qui devient universel. C’est comme voir un bon film ou terminer un bon livre, on en ressort enrichi. » Au-delà d’accueillir des artistes talentueux, le festival souhaite questionner ce qu’est une image afin que tous puissent la comprendre et la recevoir sur un plan artistique, esthétique et politique. « On pensait à une époque que la photographie reflétait la réalité, mais elle n’en est qu’une interprétation. La photographie reste subjective, le point de vue d’un photographe n’est jamais plus que son point de vue. » Chaque personne regarde une image à travers son prisme, son expérience et son vécu. « Notre rôle en tant que festival est de construire des ponts et de mettre en place des moyens pour que tous les publics puissent comprendre. »

« Savoir analyser une image est essentiel dans notre société. »

Glaz a choisi la photographie artistique engagée dont la particularité est parfois d’expérimenter de nouveaux outils. « À un moment donné, on a été submergé par la photo traditionnelle et journalistique, mais elle est pour moi un peu dépassée. Les méthodes d’écriture photographique ont besoin de se réinventer systématiquement en fonction des nouveaux outils. » Les réseaux sociaux aidant, les nouvelles générations appréhendent l’image différemment. En restant fidèle au traditionnel, le festival souhaite aussi éclairer sur les nouvelles méthodes de production, en cohérence avec l’évolution du médium. « Le langage photographique s’exprime en prenant en compte les nouvelles technologies et l’image en général », explique-t-il. « Ce genre de démarche de photographes, je dirais même de faiseurs d’images, m’intéresse parce qu’elle rentre dans la lignée progressive de l’évolution de la photo. » Jean-Christophe Godet reste sensible aussi bien aux méthodes traditionnelles qu’aux nouveaux outils comme l’intelligence artificielle, qu’il espère présenter dans les prochaines éditions. Selon le directeur artistique, il semble important de présenter ces technologies qui n’ont pas révélé tout leur éventail de possibilités et portent à débat. « Le rôle du festival et du directeur artistique est de donner à voir la production artistique en photographie. Puis les gens piochent, se nourrissent ou laissent de côté. »

Pour sa première édition, Glaz a choisi la thématique « Urgence, le monde est en crise« . Ce thème large entre bien évidemment en résonance directe avec le contexte actuel. Les problèmes climatiques et de pollution des océans seront abordés avec l’exposition Océan Plastique de la Britannique Mandy Barker (Université Rennes 2), les situations politiques seront évoquées dans l’exposition Sumy : Sorrow of my days de l’Ukrainien Pavlo Borshchenko (Maison des associations). Grâce à des éléments symboliques qui rappellent l’URSS des années 90 et par le biais de mises en scène, le photographe ukrainien propose une interprétation personnelle et visuelle des enjeux sociaux que vit – actuellement – son pays.

Mais l’urgence, ce n’est pas que cela. L’événement interrogera aussi les comportements humains : notre façon de vivre, d’être et de se comporter dans une société où il est de plus en plus difficile de trouver sa propre identité. Dans Team Spirit, la photographe anglaise émergente Jessica Bernard approche les activités team building, méthode de renforcement ou de consolidation d’équipe (Les Champs Libres). « Son père a été harcelé au travail et est devenu schizophrénique en partie à cause de ça, il n’a jamais repris le travail. » Quatre projections vidéos au musée de Beaux-Arts de Rennes abordent quant à elles les mouvements d’accélération ou de ralenti de notre vie. Parmi elles, la Britanno-suisse Maria Marshall qui s’est filmée avec sa famille en voyage à Disneyland. « Le film est en accéléré et nous montre qu’on a une vie de fou à vouloir courir partout, encore plus avec des enfants. Le thème de l’urgence interprète bien à ce genre de propos. »

  • Pavlo Borshchenko
  • Pavlo Borshchenko
  • Hong-kong 1826 : split mandy barker océan plastique
  • Océan Plastique mandy barker universiré rennes 2
  • jessica bernard
  • jessica bernard

Primordiale chez Jean-Christophe Godet, la transversalité des arts permettra aussi de multiples portes d’entrées et une plus grande accessibilité. « Les arts ont trop longtemps été compartimentés. » Parmi les propositions, Par les chemins est un très beau travail de Denis Bourges et Guillaume Friocourt présenté à Bazouges-La-Pérouse. Le peintre et le photographe, tous deux locaux, ont développé une traversée picturale et photographique en partant de la maison d’enfance de Denis Bourges (Vieux-Viel, Rucé, Ille-et-Vilaine) à celle de Guillaume Friocourt (Bara’h, Morbihan). « C’est un échange entre deux artistes, une déambulation dans laquelle on ralentit la cadence et la recherche constante du succès dans tous les domaines. » Dans ce retour aux sources, la collaboration artistique rappelle qu’il est aussi « urgent de ralentir l’urgence ».

Profondément sensible à la transdisciplinarité, Jean-Christophe Godet aimerait développer cet aspect dans les années à avenir. « À Guernesey, on a présenté des œuvres photographiques avec un orchestre symphonique en choisissant des œuvres du répertoire classique. » Le directeur artistique est déjà en contact avec l’Opéra de Rennes et souhaiterait créer des liens avec des structures de poésie et de danse contemporaine même s’il préfère se consacrer sur l’édition à venir, « Dans le contexte économique actuel où il est dur de trouver des subventions et des systèmes économiques qui permettent que ça fonctionne, en fédérant certaines structures en place autour d’un point commun, on crée une force. »

Pour l’heure, Jean-Christophe Godet est reconnaissant de la participation de toutes les structures sans qui le festival n’aurait pas pu exister. Il préfère se concentrer sur la première édition et poser les bases solides d’un projet d’envergure, mais le futur n’est pas si loin. Il aimerait développer des collaborations locales et régionales, mais aussi internationales, afin de mettre en place un réseau pour réaliser des expositions coproduites qui tourneraient ensuite en Europe. « Ça permettrait aux artistes d’être présentés en dehors de Rennes. Ça fait partie de notre rôle de soutenir et accompagner la production locale et régionale. » Mais à terme, il espère « faire de ce festival un programme d’événements où les gens seront éblouis et inspirés ».

Glaz propose un weekend inaugural les 17 et 18 novembre 2023. En partenariat avec les Tombées de la nuit et Dimanche à Rennes, le festival invite quatre photographes spécialistes des boites afghanes, appareils photos utilisés traditionnellement pour faire des portraits de rue, notamment pour des photos d’identité. Il se répartiront dans différents lieux de Rennes et feront des portraits gratuits aux personnes qui le veulent. « À l’intérieur de la boite, il y a un petit laboratoire qui permet de développer directement sur papier la photo. L’idée derrière cette proposition est de rendre le festival populaire et pas un entre-soi exclusif. » Sera mise en place également, une journée de revue de porte-folios. Quinze experts dans le domaine photographique et recevront les jeunes artistes qui souhaitent présenter leur travail. « Chacun aura 20 minutes avec un professionel pour avoir un retour. Le montant recouvre seulement les frais pour faire venir les artistes. »

INFOS PRATIQUES

GLAZ FESTIVAL, Rencontres Internationales de la Photographie, à Rennes et en Bretagne

Du 16 novembre 2023 au 7 Janvier 2024. Vernissage : jeudi 16 novembre

Édition #1 : URGENCE

Site Internet

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