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Kerozen, agence de communication et de création graphique, donne naissance depuis 2008 à l’affiche du festival Court Métrange. Pour la première fois, l’équipe rennaise a fait appel à un programme d’intelligence artificielle, Midjourney. Une révolution pour certains, la mort de l’art pour d’autres, la création d’images à partir d’une IA fait couler beaucoup d’encre. Mais ces nouveaux outils sont-ils réellement un risque pour les métiers créatifs ? Unidivers a rencontré Gilles Estines, coassocié de l’agence, afin de nous éclairer sur le sujet.

En septembre 2022, le graphiste Jason Allen et son œuvre Théâtre d’opéra spatial raflaient la première place de Colorado State Fair (États-Unis) dans la catégorie “Création digitale”. L’illustration a été générée avec une intelligence artificielle, ce qui a entraîné une salve d’exaspérations de la part des internautes et des artistes en lice… À Rennes, une créature sortie des profondeurs de la mer, chevelure aquatique flamboyante et une aura luminescente autour d’elle, s’est récemment affichée dans les rues. Comme chaque année, l’affiche du festival Court Métrange a attiré le regard et fait mouche. Derrière ces images depuis 15 ans, l’agence de communication et de création graphique Kerozen. Pour la première fois, celle-ci a utilisé un outil d’intelligence artificielle (IA), le programme Midjourney. Alors que ces nouvelles technologies permettent des découvertes révolutionnaires dans le champ médical, les métiers créatifs se sentent menacés par l’arrivée de ces outils qui ouvrent une infinité de possibilités. Les professionnels remettent en question sa place dans l’art, mais qu’en est-il réellement ? Les IA peuvent-elles remplacer l’humain ?

Depuis le succès de la première affiche en 2008 – une femme sur le point d’engloutir un succulent petit poulpe -, l’agence Kerozen est fidèlement mariée à Court Métrange pour le meilleur de l’image fantastique à Rennes. Si les premières affiches étaient réalisées à partir de photographies déjà existantes, celle de l’édition 2023 a été générée à partir d’un outil d’un nouveau genre, le programme d’intelligence artificielle Midjourney. Consciente que le développement des IA n’en est qu’à ses débuts, Kerozen a préféré s’emparer du sujet plutôt que de craindre un outil sans l’expérimenter. « On ne peut pas ignorer son existence et ça nous concerne directement », introduit Gilles Estines, directeur de création et coassocié de Kerozen depuis 2005 avec Franck Artur, fondateur de l’agence en 1999. « Puis, c’est notre métier d’être curieux, on a voulu voir ce que ça donne. »

L’intelligence artificielle désigne un ensemble de théories et de techniques qui visent à réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine. Cette innovation ultra performante suscite bien des débats sur les dangers qu’elle peut engendrer, alimentés par certains médias qui en font leur chou gras en jouant quelque peu avec la crainte viscérale de l’homme, dopé aux meilleurs romans et films de science-fiction : le remplacement de l’homme par la machine. « Notre cerveau est fait pour générer du hasard, des erreurs, et de grandes inventions sont dues à ce hasard. L’erreur qu’on porte en nous est une force bien plus puissante que n’importe quelle force rationnelle », exprime-t-il. « Les intelligences artificielles, c’est de la recherche mathématique. L’humain a inventé une pensée algorithmique puissante qui effraie, mais pourquoi perdre foi en ce qui fait l’homme, en son potentiel créatif ? »

Pour Court Métrange, l’agence de com a utilisé la version 5 de Midjourney, programme démarré en février 2022 : « La version 4 ne savait pas représenter les mains et le grain de peau des premières versions n’était pas satisfaisant par rapport à notre niveau d’exigence. » Car contrairement à ce qu’une partie des détracteurs pense : il ne suffit pas de taper une succession de mots et d’appuyer sur “entrée” pour générer une image digne d’intérêt. « C’est vrai qu’on peut créer une image en une minute, comme on peut appuyer sur un bouton d’appareil photo numérique alors qu’en 1850 on mettait des heures selon les procédés. Mais tout le monde ne fait pas des photos comme Sebastião Salgado », poursuit-il en prenant l’exemple de la photographie. À la fin du XIXe siècle, l’invention de la photographie a-t-elle fait disparaître la peinture ? De la même manière que le nouvel outil a révolutionné le champ artistique, que le numérique en 1975 a démocratisé la photographie, les intelligences artificielles démocratisent aujourd’hui la création d’images.

« Si une image vient titiller le système nerveux, c’est à son avantage vu que 99% des images qu’on voit traversent notre cerveau et c’est tout. » 

Il est vrai que les entreprises peuvent elles-mêmes utiliser les IA, notamment pour un gain d’argent, mais selon Gilles Estines, le résultat dépend des connaissances de l’utilisateur et de son imaginaire. Dans les dernières versions des programmes, un prompt sert de point de départ à la rédaction de contenu ou à la création d’images : il s’agit d’un enchaînement de mots qui dirige l’outil sur le style, les teintes et la lumière de l’image. « Plus que sur l’outil, mon axe de réflexion porte sur l’humain. Une personne qui s’intéresse aux arts amérindiens ou à la science-fiction aura des images concrètes en tête pour fabriquer un visuel et la machine peut lui apporter ce contenu. » Kerozen a par exemple utilisé les noms latins des espèces pour que l’image de Court Métrange soit la plus documentée. « On peut appuyer sur un bouton et laisser faire l’IA, mais on peut aussi réfléchir en amont sur la manière dont on lui apporte la donnée et sous quelle forme. C’est toute une réflexion créative à avoir avant d’utiliser l’outil. »

Après la réflexion vient la phase de dérushage. « La deuxième chose à comprendre avec le fonctionnement créatif de l’IA c’est que vous pouvez créer une image et ensuite lui en demander quatre versions différentes », nous apprend-il. « Et vous pouvez demander encore quatre variations de chacune d’entre elles et ce jusqu’à l’infini. » Kerozen a généré 400 images pour Court Métrage. Suit une période de postproduction, c’est à ce moment que l’œil de l’artiste entre en jeu. L’affiche a notamment été enrichie de poissons et de particules d’eau afin de rendre le final plus réaliste.

Lui-même artiste, sous le nom de Mekaa, le graphiste a expérimenté des extensions de ses dessins avec Midjourney et été bluffé par certains résultats. « Je comprends la crainte de certains, mais le plagiat est un sujet qui ne concerne pas seulement l’IA. » Combien de personnes ont-elles fait carrière en plagiant le travail d’un ou d’une autre ? « Dans l’Histoire de l’art, on sait que Gauguin a rencontré Sérusier avant de peindre à sa façon et il semble que beaucoup de tableaux de Sérusier, sa touche et les couleurs utilisées, ont été entièrement repris par Gauguin. Mais c’est son nom qu’on a retenu », raconte-t-il en confiant qu’il faut tout de même rester vigilant sur la question des droits d’auteur.

Face à l’explosion des IA créatives et génératives, un flou artistique englobe les bases traditionnelles du droit d’auteur. Et le code de la propriété intellectuelle (CPI) n’accorde actuellement la protection du droit d’auteur qu’à des « œuvres de l’esprit » créées par des humains… Une tendance qui peut néanmoins changer puisque certains auteurs et autrices de bande dessinée ont réussi à obtenir des droits d’auteur sur leur création.

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Première image de Gilles Estines, aka Mekaa, réalisée avec l’IA Midjourney.

Cependant, bien que les craintes peuvent se comprendre face à des technologies qui nous dépassent et vouées à se développer, « il n’y a pas péril dans la demeure », selon le créateur d’images. Malgré l’avancée exponentielle des outils, le principal défaut des IA reste la qualité du grain de l’image selon le graphiste. Il est actuellement nécessaire de passer son image dans d’autres programmes afin d’obtenir une image en haute définition. « Et il faut la ré-esthétiser pour améliorer le grain. » Alors, possible de générer une œuvre d’art avec une IA en une minute ? « C’est lapidaire comme pensée, c’est ne pas réfléchir. »

L’agence Kerozen ne compte pas utiliser l’IA systématiquement, mais en fonction des commandes. Mais à l’instar d’autres logiciels de retouche photos, c’est l’utilisateur derrière la machine qui rend l’image intéressante… Et Gilles Estines invite les artistes à prendre le sujet à bras le corps et à s’approprier l’outil, qui peut s’avérer une véritable source d’inspiration si on s’y intéresse. « Tant que l’humain ne fait pas en sorte que les IA se réparent entre elles, il n’y a pas de quoi s’inquiéter », conclut-il sur le ton de l’humour.

Site Internet Kerozen

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