La maison de retraite est la dernière étape de la vie. Quentin Zuttion ausculte, par le prisme du métier d’une infirmière, avec réalisme, bonté et intelligence, ce lieu. La Dame Blanche figure déjà comme un des albums de l’année.

QUENTIN ZUTTION

Certains appellent cela des « fleurs de cimetières ». Elles sont le début de la vieillesse, le début de la fin. Elles sont le début de la BD, terrifiantes, omniprésentes sur le corps de la vieille Madame Suzanne. Ces taches sur la peau qui vieillit, traversent cet ouvrage jusqu’à la dernière case. Elles sont le symbole de ce que l’on tait et de ce que l’on cache : le corps qui faiblit, la peau qui flétrit, les muscles qui défaillent.

QUENTIN ZUTTION

Le premier défi réussi de Quentin Zuttion est celui là : oser montrer sans artifice ce qui fait d’abord la vieillesse et qui finit par occuper tout l’espace, ce corps qui se manifeste dès le lever du matin, que l’on détaille chaque jour pour savoir si tout fonctionne bien, ce corps qui est abandonné peu à peu, pour la toilette, pour le repas aux mains des soignants et soignantes, ce corps qui appartient alors aux autres et si peu à soi-même. C’est Estelle, infirmière dans la maison de retraite « Les Coquelicots » qui nous sert de guide, nous ouvre les portes derrière lesquelles se cachent tant de vies, tant de souffrances, tant de fantasmes.

QUENTIN ZUTTION

On ne côtoie pas chaque jour impunément la mort et Estelle se débat avec les liens intimes qu’elle tisse avec certains résidents et le nécessaire détachement à la souffrance d’autrui. Elle tâtonne, elle doute, fait des choix hasardeux, se perd parfois entre amour, pitié, tendresse et détresse. Elle mélange trop souvent vie affective et profession, et doit se répéter sans cesse :

« On est les dernières personnes qu’ils vont voir avant de mourir. Quand ils entrent ici ils le savent bien. C’est facile de se dire qu’on sera leur famille, leur nounou, leur amie … Mais c’est faux. Nous, on est rien d’autre que celles qui leur rappellent tous les matins en leur servant leur café qu’ils sont à la fin de leur vie ».

Quentin Zuttion a travaillé comme étudiant dans un EHPAD, très « impliqué émotionnellement » il avoue avoir été marqué par le « contraste entre les moments de vie, les rires, les chants et la mélancolie d’une vie passée ou d’une mort qui tarde à venir ». C’est sur ce fil du rasoir que surfe l’auteur qui évite tous les pièges du genre, et nous offre une palette large et humaine de résidents si différents : le vieil homme qui s’excuse d’avoir un émoi sexuel sous le frottement d’une serviette, la vieille dame qui renie son passé pour s’inventer un poste d’ambassadrice à Prague, Sophie qui rêve encore de s’enfuir avec sa jeune bien-aimée.

QUENTIN ZUTTION

Chacune, chacun enfermé dans un monde qui se réduit chaque jour et dans lequel il faut essayer de trouver des fenêtres ouvertes sur la réalité ou l’imaginaire. L’observation est clinique, vécue, réelle, mais pleine d’empathie et de compréhension et n’hésite pas à évoquer des images d’une rare poésie. L’attitude de la famille, des amis si présents aux enterrements, mais si absents lors des dernières moments, est montrée avec délicatesse et justesse comme cette fille qui refuse de voir l’affaiblissement intellectuel de sa mère et à qui une infirmière déclare :

« Je ne vous dis pas de renoncer à elle, mais de renoncer aux liens qui vous unissent pour en créer de nouveau ».

QUENTIN ZUTTION

Le dessin magnifique est au diapason, évitant le manichéen noir et blanc, pour adopter un bleu froid, monochrome que viennent éclairer, des couleurs resplendissantes utilisées pour exprimer des souvenirs, des fantasmes de joie et de bonheur. Il permet par sa poésie de faire entrer l’imaginaire dans des pages qui acceptent le réalisme, de faire côtoyer sur une même page, la mort et la vie.

La fin de vie, avec un « grand âge » sans cesse retardé devient un sujet de société et la BD s’en est normalement emparée avec justesse et talent comme Le plongeon de Vidal et Pinel qui parle d’une intégration en Ehpad ou encore L’obsolescence programmée de nos sentiments de Zidrou et Aimée de Jongh. La Dame Blanche, dont ce n’est pas le sujet, évoque quand même en toile de fond le choix de la fin de vie, de la volonté ou non de poursuivre ces jours, sans joie, sans bonheur, de maintenir envie un corps qui n’en peut plus. Qui n’en veut plus. La Dame Blanche, ce personnage lumineux qui, aperçu sur le bord de la route, est, selon la croyance populaire, un présage de mort, fait partie des ouvrages qui vous accompagnent plusieurs jours après leur lecture. Vous guetterez alors sur votre peau ces petites taches brunes, sans importance, banales. Pour certains elles sont déjà là. Alors cette BD vous parlera au présent. Pour d’autres elles sont encore cachées et dissimulées par les années à venir. Cette BD vous parlera au futur. Mais elle parlera à tout le monde, car elle évoque avec une intelligence rare ce qui nous attend tous et que nous ne préférons pas voir. Quentin Zuttion nous aide à ouvrir nos yeux quitte à nous faire pleurer, mais il célèbre en même temps un formidable hymne à la vie.

La Dame Blanche de Quentin Zuttion. Éditions Le Lombard. 208 pages. 22,50€. Parution le 14 janvier 2022.

Feuilletez la BD.

Venez rencontrer Quentin Zuttion à la librairie La Nuit des temps, à Rennes, mardi 8 février, en dédicace à 17h30, puis lors d’un échange à 19h.

Vous pouvez réserver une place assise par mail à librairielanuitdestemps@gmail.com ou par téléphone au 02 99 53 37 95.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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