Dans cette chronique amoureuse de sexagénaires, Zidrou et Aimée de Jongh, abordent un sujet original. Sans tabou mais avec justesse, finesse et drôlerie. Une belle leçon de vie et de plaisir.

Obsolescence programmée de nos sentiments

Le dessin de couverture dit tout : les cheveux sont blancs, la chair est flétrie et triste, les hanches enrobées, larges. Tout, c’est ce que disent aussi les corps des femmes et des hommes qui n’ont plus vingt ans. Elle, elle est à gauche, droite comme un I. Elle s’appelle Méditerranée parce que son « père a trouvé que ses yeux avaient la couleur de la mer qui avait baigné son enfance ». Elle était mannequin. Elle est devenue fromagère. Elle a soixante-deux ans. Lui, il est à droite. On dirait un cube, carré comme un Apéricube. Il s’appelle Ulysse. Parce que…. Peut-être simplement pour pouvoir voguer sur la Méditerranée. Il a cinquante-neuf ans et vient d’être débarqué de son camion de transporteur. Comme le montre l’image, ils vont se rencontrer et même plus. Ils vont s’aimer.

Obsolescence programmée de nos sentiments

C’est une belle comédie humaine que nous propose cette BD, celle des amours de sexagénaires qui abordent leur dernière partie de vie en se demandant s’ils sont encore capables de désirer, d’être désirés et d’aimer.

BD ZIDROU

Comme toujours, dans ce type d’ouvrage la difficulté est de trouver le ton juste, celui de l’humanité et de la connivence avec le lecteur. On peut faire confiance en ce domaine à Zidrou (lui-même proche de la soixantaine !). Cet infatigable et prolifique scénariste nous a habitués à savoir jouer sur les cordes sensibles du temps qui passe, de l’amitié et de l’amour (« Les beaux étés » [1], « L’Adoption » notamment). Il recommence ici avec un sens inné de la narration, des dialogues et de la justesse de ton. Les bons sentiments peuvent rapidement dégouliner et devenir obscènes. Pas avec Zidrou. Avec le scénariste les mots sonnent juste :

 « Avant ». Plus les années passent, plus on a tendance à recourir à cet adverbe, vous aviez remarqué ?
« Ah ! Ah ! Juste. Pourtant « aujourd’hui, » c’est très joli aussi comme adverbe ! ».

Et il sait nous tenir en haleine pour offrir aux lecteurs une « fin » lumineuse, n’hésitant pas, confie-t-il, à abandonner un épilogue initial que sa dessinatrice ne partageait pas.

BD ZIDROU DE JONGH
PHOTO @ryun_reuchamps sur twitter

L’autre grand défi de cette BD est incontestablement celui du dessin. Dessiner des corps âgés, en gros plan, sans travestissement demande une sensibilité et un talent indéniables. Ces qualités Aimée de Jongh, jeune dessinatrice (puisqu’elle a moins de trente ans) néerlandaise les a mises en œuvre pour un résultat époustouflant. Les lecteurs français avaient fait sa connaissance avec une seule BD traduite, « Le retour de la Bondrée », bande dessinée en noir et blanc qui raconte l’histoire d’un vieux libraire devant fermer boutique et faisant une étrange rencontre. Elle utilise ici les couleurs avec justesse, estompant leur ton au fur et à mesure d’une intimité grandissante. Les scènes d’amour, sans cadre, sont d’une totale pudeur et d’une grande beauté. Même si, comme l’avoue la dessinatrice, ces scènes furent finalement plus faciles et plus rapides à réaliser. Probablement parce que les corps vieillissants s’acceptent plus facilement, « le corps se résigne plus vite que l’âme. Le temps le ride, l’injurie, l’humilie. Il fait avec, le corps, beau joueur ».

Obsolescence programmée de nos sentiments

Le livre débute par la mort. Il s’achève par la vie. Les auteurs au long de ces pages ont réussi le pari de redonner naissance au désir, au plaisir, au sourire. « Retraité à 59 ans. Veuf à 45 ans. Père pour la première fois à 20 ans. Marié à 18 ans. Prématuré ». C’est une machine à remonter le temps qu’ils enclenchent avec leurs mots et leurs dessins. Une machine à fabriquer de nouveaux souvenirs. Une machine qui donnera l’envie aux lecteurs, une fois la dernière page tournée, de recommencer la lecture.

BD ZIDROU DE JONGH

L’obsolescence programmée de nos sentiments chez Dargaud. Scénario : Zidrou. Dessins : Aimée de Jongh. 144 pages. 19,99 €. ISBN : 978 2 5050 6756 6

(1) le tome 4 des « Beaux Étés » vient de sortir. Consacré aux années 80, cet album prolonge l’enchantement des premiers opus. À mettre dans les valises cet été.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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