« Un EHPAD, des fesses, de l’amour et des rides » résume magnifiquement la quatrième de couverture. Une BD subtile, douce, tendre, violente sur un sujet majeur de société. L’album de ce mois incontestablement.

BD le plongeon

Et si cela ressemblait à une chute, la vieillesse ? Une longue et inexorable chute. Un plongeon qui vous mène tout au fond, là où la lumière s’éteint. Là où les corps mollissent, s’affaissent. Là ou les prénoms s’échappent et s’enfuient dans le noir. L’obscurité encore et toujours. Cette chute, Yvonne qui a quatre-vingts ans, la rêve, surtout depuis la mort d’Henri, son mari, son homme, son amant. Alors passer du banc au salon, du salon au banc, ne la passionne plus, elle tombe dans ses souvenirs, son passé, son bonheur. Il faut prendre une décision, vendre sa maison et aller ailleurs, aller là où les grilles vous protègent, là dans cet immeuble qui porte un joli nom, « Les Mimosas ». Aller en EHPAD.

Cet univers clos régi par des règles strictes où se côtoient l’octogénaire encore plein de vie et la personne délirante, Séverine Vidal, le connaît bien notamment grâce aux ateliers d’écriture qu’elle anime dans ces établissements. On va donc suivre Yvonne dans ces couloirs nouveaux, cette chambre « couleur mort, on dirait qu’ils le font exprès », ce réfectoire, lieu des rencontres, et où les mots des autres vous infantilisent. Ce n’est pourtant pas un « reportage en immersion », car les deux auteurs apportent par leur talent autre chose que la description des faits : une haute dose d’humanité. Chaque pensionnaire a son histoire, sa vie, ses envies et l’intégration au groupe modélisé et obligatoire ne se fait pas sans difficultés.

BD le plongeon

Alors la main sur un genou, un frôlement d’épaule, un sourire, éclairent des cases magnifiques dans des pages muettes emplies de tendresse, qui donnent le rythme à la lecture et laissent le temps de la réflexion et de l’émotion. Victor L Pinel par ses cadrages, sa capacité à dessiner des corps pleins « de beaux volumes » mais « où y a tout à refaire », nous invite à imaginer notre propre vieillesse, à voir de plus près celle de nos proches, de nos parents. Aimée de Jongh dans L’obsolescence programmée de nos sentiments en compagnie de Zidrou avait déjà su dessiner ces hanches élargies, ces corps qui s’attirent avec une douceur infinie.

BD le plongeon

Victor L Pinel prolonge magnifiquement cette réussite, par un trait simple, mais profondément juste et humain, comme quand deux filets de larmes coulent lentement sur le bord des lèvres. Sans montrer les yeux. L’univers de l’Ehpad est régi comme une école maternelle, il est possible pourtant parfois de le contourner sous le regard bienveillant de Youssef, membre du personnel qui ferme les yeux, en les gardant ouverts, sur une nuit passée dans une autre chambre que la sienne (1), sur une escapade où l’on se déshabille de sa vieillesse. Par petites touches, le quotidien est décrit à la perfection : visite attendue du petit-fils, visites amicales ou familiales comptées, minutées, espérées, déçues, commentées, activité collectives, de celles que rejettent Jean Louis Trintignant dans son EHPAD de luxe dans le film de Lelouch Un Homme, une Femme : vingt ans après, et les souvenirs sans cesse revenus à la surface que ravivent des albums photos, la douceur d’une caresse. Les frites au goûter des petits-enfants. Même si le registre n’est pas celui des Vieux Fourneaux, l’humour est présent. Il évite le pathos et tend devant nos yeux un voile de tendresse, car à sa manière, Yvonne va se révolter, partir en guerre et lutter contre la mort qui vient. Elle va plonger, mais dans une eau claire où elle ne sera pas seule. Elle nous éclabousse au passage, projetant quelques gouttes sur notre visage. Sous nos sourcils. Sous nos paupières. Sous nos yeux.

Le Plongeon. Scénario : Séverine Vidal. Dessins et couleurs : Victor L. Pinel. Parution le 13 janvier 2021. Éditions Grand Angle. 80 pages.

(1) Laure Adler dans son ouvrage La voyageuse de nuit écrit que « la ministre de la Santé a établi une feuille de route, à l‘été 2018, détaillant la stratégie nationale de santé sexuelle pour les personnes âgées, en précisant que les maisons de retraite sont aussi des lieux de vie et que l’amour n’y est pas interdit » (page 67).

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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