Angoulême et son festival mondial de la BD. Cela vous tente ? Vous effraie ? Unidivers a envoyé un de ses rédacteurs sur place pour tester cet événement incontournable du neuvième art. Impressions.

FESTIVAL BD ANGOULEME

Perdu. Entouré de CRS. Une pluie fine transperçant les imperméables. Une rue à la verticale à monter à pied. Bienvenu à Angoulême. Le choc est rude ce jeudi 30 janvier, une heure après avoir déposé les valises dans un modeste hôtel où les tarifs pratiqués ont mystérieusement doublé pendant quatre jours. C’est que j’avais oublié la venue du président de la République, le premier à se rendre au festival depuis François Mitterrand. Cet événement, lié à la désignation de l’année 2020 comme année de la BD ne facilite pas la compréhension du fonctionnement de cette énorme machine éclatée en de multiples lieux, reliée par des navettes et dont le programme vous donne des envies d’ubiquité chère aux supers héros. À défaut, muni d’un bracelet salvateur, signe de reconnaissance, il vous faut quelques heures pour vous sentir à l’aise.

FESTIVAL BD ANGOULEME

C’est qu’il faut oublier ici toutes vos références de festivals. Saint-Malo et ses trente mille visiteurs, Darnétal, Eauze, Blois, il faut tout gommer. Repartir à zéro. Ici le stand des éditeurs principaux, où se font les dédicaces d’auteurs notamment, n’est qu’un point d’intérêt parmi tant d’autres. On parle espagnol, italien, japonais (je suppose) et au coin d’une rue, vous rencontrez la silhouette massive de Bilal, Balasko venue faire une lecture ou Gibrat. Tout n’est que BD et même les plaques des rues sous forme de phylactères vous rappellent l’objet de votre visite.

FESTIVAL BD ANGOULEME

Les Angoumoisins semblent avoir disparu, quitté leur cité ou plus sûrement être devenus transparents. Les navettes qui vous transportent de la ville basse vers la ville haute réunissent cette population internationale. Serrés, on se regarde, cherchant l’auteur dissimulé derrière son badge, le collectionneur, le spécialiste de mangas. Très vite on découvre ainsi la singularité du festival : ce n’est pas un lieu où exposent des éditeurs, accompagné de quelques expositions. C’est le lieu de la BD dans toute sa diversité.

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Rumiko Takahashi, lauréate du Grand Prix 2019, Charles Burns et Catherine Meurisse. Le thème commun reste celui initié l’année dernière : « un autoportrait de l’artiste en enfant, découvrant la ou les bandes dessinées fondatrices de sa passion, voire de sa vocation »

Si vous avez de bonnes chaussures, une bonne dose de patience et la passion chevillée au corps, vous allez pouvoir passer d’une remarquable exposition rétrospective de Catherine Meurisse, à une lecture d’une BD Polar, puis à une rencontre avec Dorison et son jeune dessinateur Delep expliquant la naissance de l’album Le Château des animaux ou encore à une démonstration graphique époustouflante d’un auteur suédois dont vous ignoriez tout.

FESTIVAL BD ANGOULEME

Ce qui vous gagne alors c’est un sentiment de frustration. Vos pas vous emmènent vers l’espace para BD, mais vous aviez l’intention de passer au stand des éditions Ici Même à moins que … dans une heure, c’est Guy Delisle qui dédicace ses livres au stand Delcourt. Alors la frénésie des premières heures passées, et le Président ayant quitté la ville, le premier soir, à l’Hôtel, abasourdi de tant de visions, vous avez compris une chose : demain, je fais un programme et je m’y tiens.

Demain, c’est certain, je commence par une dédicace pour l’album Les Indes Fourbes, c’est l’occasion ou jamais. C’est à 10 heures. Mais à 9 h 55:  « il fallait venir hier pour chercher un ticket, pour … participer au tirage au sort, pour … après-demain. » Alors adieu programme et vive l’improvisation.

Tout ici est démesure et assurez-vous avant de vous lancer dans cette aventure que votre conjoint(e) est prêt(e) à partager les heures de marche, de piétinement d’attente avec vous. Il paraît, même s’il s’agit a priori de mauvaises langues, qu’Angoulême est le lieu de divorces et de séparations. Dans une file d’attente de dédicaces, mon voisin me dit, un peu consterné, que son épouse a renoncé à venir après deux années consécutives. La vie des couples est mise à rude épreuve dans ces innombrables files d’attente qui commencent à la billetterie, se poursuivent aux arrêts de bus et s’achèvent à l’entrée des chapiteaux ou des salles. Mais vos efforts sont de toute manière récompensée. Barbara Baldi, autrice de Ada, album que vous avez chroniqué vous dessine une merveilleuse aquarelle séchée au sèche-cheveux et vous envoie un baiser de remerciement.

 

Clément Paurd, vous fait découvrir son album La traversée (1), expliquant les dessous de la création de son album qu’il a mis dix ans à finaliser, dont vous comprenez désormais la démarche et regrettez de ne pas avoir suivi sa sortie.

FESTIVAL BD ANGOULEME
Maria Hesse

 

Les auteurs sont disponibles, ponctuels, conscients de l’importance que revêtent ces moments pour des lecteurs venus du monde entier. Et pour les jeunes auteurs une forme de consécration. C’est toute émue que Maria Hesse, jeune autrice espagnole d’une biographie de Frida Kahlo, avoue sur scène, la voix tremblante, sa joie de vivre un rêve éveillé d’être invitée ici. Mais les auteurs confirmés ne boudent pas non plus leur plaisir, même si l’on se dit que certains dessinateurs aperçus il y a un ou deux ans à Saint-Malo ont bien vieilli (par charité je tairais ici les noms).

Le festival d’Angoulême s’adapte au goût du jour, les « anciens » vous disent comment les espaces manga se sont agrandis, multipliés. La manifestation visiblement n’est pas figée et suit tous les mouvements de la BD, ses nouveautés, ses tendances. Chacun y trouve ses préférences et vous êtes heureux quand votre voisin de dédicace vous dit avoir rencontré les mêmes créateurs que vous. Pour beaucoup, il y a une journée dédicaces, une journée expositions, une journée débats, ou du moins une tentative de ce genre.
Dans cette diversité propre à Angoulême, s’ajoute l’un des intérêts majeurs de ces moments : ressentir ce sentiment d’appartenance, de vivre ensemble des moments de connivence, de partage d’une même passion. Bracelet violet, petit siège de pêcheur, programme à la main, mais aussi yeux cernés, sieste dans un coin de l’amphithéâtre, vous êtes de la même famille.

Au moment de repartir, je me dis que jamais ailleurs qu’ici je n’aurai eu l’occasion de discuter avec Jacques Ferrandez de sa dernière BD Le chant du monde et d’évoquer pendant de très longues minutes ensemble, Giono, l’autrice de Giono Furioso, l’exposition Giono du Mucem de partager ses moments de connivence intellectuelle rares pour des personnes qui ne travaillent pas dans le milieu de l’édition notamment.

Alors en laissant la clé de l’hôtel, éreinté, fourbu, cassé, épuisé, je me dis que l’année prochaine je …. reviendrai, mais cette fois-ci ….. pour quatre jours. Quand on aime, on ne compte pas.

FESTIVAL BD ANGOULEME

Festival BD d’Angoulême du 30 janvier au 2 février 2020

Tous les prix du Festival BD d’Angoulême

2020 Année de la BD

 

(1) La traversée de Clément Baurd. Édition 2024.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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