Ces longues files d’attente pour atteindre un auteur en dédicace intriguent toujours les non-initiés. Pour savoir ce qui se passe au sein de ces cohues organisées, Unidivers a intégré plusieurs d’entre elles au festival BD Quai des Bulles de St Malo. Avec nous, entrez dans la file.

Festival BD quai des bulles
Illustration concours jeunes talents BD

 

Neuf heures du matin. Samedi 28 octobre sous le chapiteau immense du festival BD Quai des Bulles de St Malo, deuxième festival BD de France. L’atmosphère est calme. Seules quelques personnes commencent à retirer les bâches protectrices, dévoilant ainsi des milliers d’ouvrages. Une étrange sensation de calme avant la tempête.

Festival BD quai des bulles

 

Neuf heures trente précises. Comme à l’ouverture des portes de magasin lors du premier jour des soldes, un courant d’air froid traverse brusquement les travées et les couloirs sont envahis en un instant, de personnes courant vers un lieu précis. On ne recherche pas un pull essayé la veille ou un pantalon repéré en vitrine. Ici ce sont les auteurs qui sont visés, localisés et listés sur les plannings des éditeurs. Les nouveaux arrivants ont un seul objectif : parvenir les premiers pour se présenter devant la petite table où va officier pendant quelques heures l’auteur admiré. Quitte parfois à attendre encore plus longtemps que prévu quand l’auteur comme « C O » ( conforme à sa ligne déontologique Unidivers ne dénonce pas …), auteur d’une belle BD sur Voltaire (1), arrive avec près d’une heure de retard, perdu dans les méandres du salon ou des rues malouines. Stoïques, la plupart des passionnés le restent, car chacun connaît ici les règles du jeu puisqu’il s’agit bien d’un jeu auquel les auteurs comme les lecteurs se prêtent, un jeu sans autre règle que celle de la courtoisie réciproque et de la passion.

Festival BD quai des bulles

Pour intégrer une de ces files d’attente, il faut préalablement connaître des principes tacites comme celui obligatoire, de la question préalable « Vous attendez bien pour Gibrat ? » et éviter ainsi d’attendre deux heures pour se retrouver en tête à tête avec un auteur spécialisé dans les BD d’aviation. Tous les lecteurs présents sont en, effet des passionnés, mais pas tous de la même chose et rien n’est plus étonnant de côtoyer, alors que vous attendez une dédicace d’un auteur qui consacre sa BD à Manet et Berthe Morisot (2) , un passionné de la Seconde Guerre mondiale qui raconte par le détail le moteur « V  quelque chose » des avions allemands pendant la campagne de France.

Festival BD quai des bulles

Conforme à la diversité du neuvième art, Superman s’envole à côté d’un empereur romain qui festoie avec un cow-boy dans une caverne préhistorique. Cela n’empêche pas les conversations de se télescoper et de s’enrichir. Beaucoup gravitent autour de la bibliothèque, de la place énorme que prennent les livres à  leur domicile : « J’ai trouvé une solution » dit une jeune passionnée, « j’ai doublé la profondeur en mettant des rails et en faisant coulisser une double bibliothèque, mais c’est lourd à déplacer ». Plus pessimiste, et plus âgé, un autre précise qu’il est hors de question d’imposer à ses enfants cet héritage : « ils ont 30 mètres carrés pour vivre, je ne vais pas les obliger à vivre avec mes reliques, alors j’ai commencé à donner ou à vendre ». Pourtant même quand arrive l’âge de la retraite, cette passion de lecture ne s’atténue pas : « j’ai 62 ans, mais je vais faire un an supplémentaire. Cette année me permettra de gagner 300€ de plus par mois et 300€ c’est mon budget BD mensuel actuel. Il est hors de question d’abandonner ma passion ».

Festival BD quai des bulles

Cette passion étonne même les auteurs. Une dessinatrice nous confie qu’elle-même ne ferait jamais une file d’attente d’une heure pour obtenir une dédicace. Et plus encore, le talentueux et très jeune Lucas Harari qui a la chance de connaître le succès dès son premier ouvrage L’Aimant (3) , a les yeux d’un enfant émerveillé et épuisé, comme un enfant devant un sapin de Noël devant lequel il a veillé toute la nuit. Croquant un morceau de sandwich entre deux magnifiques dédicaces, il est visiblement dépassé et surpris. « Je n’avais jamais fait de salon comme lecteur. C’est une découverte. Chez moi on était admiratifs de Tardi. C’est tout . », dit-il devant plus de vingt personnes qui attendent. Abattu, ébahi, mais compréhensif. « Je comprends que l’on veuille garder une trace d’une BD que l’on a aimée. Moi même je regarde les dédicaces d’autres collègues. C’est fascinant de voir le dessin se créer devant soi » ». On laisse le jeune dessinateur qui détend ses mains, on enjambe des enfants allongés sur le sol, plongés dans des lectures captivantes, pour attendre devant Patrick Prugne, fantastique dessinateur d’Indiens qui plonge ses pinceaux d’aquarelle dans l’imaginaire du Canada et des Mohicans (4). Assise près de la file d’attente une dame observe avec un large sourire amusé: « Je suis bénévole depuis 15 ans. J’aime le dessin et j’aime les gens passionnés. Quand j’ai la chance d’être près d’un dessinateur que j’apprécie, je demande toujours à voir la dédicace. Il y a des choses merveilleuses. On nous apporte un sandwich le midi et normalement on a un repas en commun en janvier avec une BD pour chacun. Nous sommes 250 environ pour quatre permanents. Sans bénévole pas de festival ».

Festival BD quai des bulles

Mon voisin s’impatiente, mais garde le sourire, car il est prêt à attendre longtemps : « J’ai plusieurs dédicaces de Manara alors vous savez l’attente je connais. Ses dessins sont magiques. Il dessine d’un seul trait fermé sans lever le crayon ! » Tous n’ont pas la notoriété de Manara, absent du salon, et rien n’est plus difficile que de voir des auteurs seuls, le crayon désespérément levé, à côté de leur collègue à la file d’attente interminable. Davodeau à qui l’on confie l’avoir vu ainsi seul au festival de Chalonnes-sur-Loire il y a quelques années confirme : « Eh oui. J’ai été plus souvent seul qu’à mon tour », révélant par sa voix que les périodes de disette sont parfois longues. C’est ce que confie d’ailleurs volontiers un couple de dessinateurs (5) qui a tout quitté il y a cinq ans, « les enfants étaient élevés », et qui avaient eu un rendez-vous avec le banquier la semaine précédente. « Heureusement notre dernier ouvrage en est à sa troisième édition, le banquier va pouvoir attendre un peu », mais on sent combien ce choix de vie est périlleux.

BD OCTOBRE
La rentrée littéraire des BD

Les jambes commencent à être lourdes. Un petit coup de smartphone à ma femme qui a pris place dans la file d’attente pour Gibrat (on joue ainsi sur deux tableaux !) et j’approche enfin d’un de mes auteurs favoris. Large sourire, il trace devant moi un visage colérique de « Mattéo ». Je suis aux anges. Ce qui était annoncé comme la signature d’un simple « ex-libris » « pour ne pas décevoir » se termine par une véritable dédicace au grand bonheur de dizaines de fans.

Festival BD quai des bulles
Gibrat en dédicace

Fatigué, il est temps de rentrer et de quitter ce festival qui conserve selon les termes d’un éditeur « un caractère familial ». Un voisin me disait que dans le mot « dédicace » il faut entendre le mot rencontre. Alors à juger des trois sacs bien remplis posés devant la bibliothèque, le festival Quai des Bulles 2017 fut un festival plein de rencontres. Et donc un festival réussi.

Retrouvez nos merveilleuses dédicaces du Quai des Bulles 2016 ici.

Festival BD Quai des Bulles à Saint-Malo

(1) « Voltaire amoureux » de Clément Oubrerie. Éditions les Arènes.

(2). Édouard Manet et Berthe Morisot : une passion impressionniste. Scénario : Michaël Le Galli. Dessins : Marie Jaffredo. Éditions Glénat.

(3). Éditions Sarbacane. Prix mensuel BD de RTL.

(4) « Le dernier des Mohicans » roman illustré. Magnifique ouvrage aux Éditions Margot. D’après le roman de James Fenimore Cooper

(5) « Là où se termine la Terre » de Désirée et Alain Frappier. Éditions Steinkis. Tome 1.

Article précédentTHOR RAGNARÖK, UN DIEU TONNERRE COMIQUE
Article suivantL’ACTU LITTÉRAIRE DE NOVEMBRE
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici