En vacances, il est des mots dont on n’a pas envie de parler. Mais quand elle est littéraire, la rentrée n’est que source de plaisir. 321 romans français dont 74 premiers romans et 145 romans étrangers vont déferler en librairie entre mi-août et fin octobre 2023. Avec une production un peu en baisse, les éditeurs jouent la carte de la modération.

Mais si la quantité est en baisse, la qualité est toujours au rendez-vous. En littérature française, les leaders de l’édition misent sur les ténors goncourables. Pas de rentrée sans Amélie Nothomb mais on retrouve aussi cette année Sorj Chalandon, Serge Joncour, Éric Reinhardt, Laurent Binet, Agnès Desarthe, Leonor de Recondo ou Mathias Enard.

laurent binet

Difficile de n’en présenter que quelques uns. Parions sur l’originalité et l’excellence avec Perspective(s) (Grasset, 18 août 2023). Laurent Binet propose ici un polar historique épistolaire. À Florence en 1557, le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, se charge de l’enquête, assisté de Michel-Ange. De l’art, une belle énigme et de nombreux suspects donnent de la couleur et du suspense à ce grand roman. (lire un extrait)

Lorsque le père meurt, le passé se dévoile et rien n’est plus comme avant. Deux auteurs font de cette évidence de superbes romans. Les silences des pères (Seuil, 18 août 2023) est un hommage au père signé Rachid Benzine. Quand le fils, musicien renommé, apprend le décès de son père, ils ne se sont pas vus depuis des années suite à un malentendu, un drame familial. Après l’enterrement, le fils découvre quarante cassettes audio retraçant la vie de cet exilé marocain de 1965 à 2006. Avec des mots et des souvenirs choisis, des rencontres vibrantes, l’auteur met en musique le passé d’un homme réduit au silence pour le bonheur de sa famille. Silence aussi jusqu’à la mort de Luciano Malusci. Avec grâce et pudeur, Sylvain Prudhomme nous entraîne avec Simon, le petit-fils, sur la piste de secrets de famille avec L’enfant dans le taxi (Éditions de Minuit, 31 août 2023). Comme tous les romans de Sylvain Prudhomme, ce court récit ciselé, elliptique, nous guide sur un chemin émotionnel que chacun pourra trouver. Un roman plein d’humanité.

josephine tassy

La nouvelle génération d’écrivains semble hantée par les mêmes thèmes. Joséphine Tassy nous parle dans son premier roman de L’indésir (L’Iconoclaste, 17 août 2023). Nuria se réveille aux côtés d’un inconnu rencontré la veille en boîte de nuit. Une nuit au cours de laquelle, elle a appris le décès de sa mère. Elle ne la connaissait pas vraiment mais elle va la découvrir au fil de ses rencontres avec les personnes présentes à l’enterrement. Chacun donne une version de cette femme libre, lumineuse, maudite qui n’a pas su aimer sa fille. Une belle plume, un bon rythme, de l’originalité et une réflexion intéressante sur le désir, l’amour et la liberté.

rentrée littéraire 2023

Autre premier roman nominé pour le Prix Stanislas 2023, Vous ne connaissez rien de moi (JC Lattès, 23 août 2023) est le récit librement inspiré de la vie passionnée de « La Tondue de Chartres » photographiée par Robert Capa en juin 1944, à la Libération. Julie Héraclès propose ici un premier roman bouleversant sur la vie de cette femme libre au tempérament incandescent. (lire un extrait)

hernan diaz

En littérature étrangère, quoi de mieux que le Prix Pulitzer 2023. Avec Trust (Éditions de l’Olivier, 18 août 2023, traduit par Nicolas Richard), Hernan Diaz raconte l’histoire d’une riche famille dans le Wall-Street des années 30, au moment de la Grande Dépression. Andrew Bevel est un héritier de riches industriels et lui-même, magnat de la finance, époux d’une aristocrate. Ils forment un couple que la haute société new-yorkaise rêve de côtoyer, mais préfèrent vivre à l’écart et se consacrer, lui à ses affaires, elle à sa maison et à ses œuvres de bienfaisance. Dans une narration brillante, Hernan Diaz nous interroge sur le pouvoir de l’argent mais aussi, grâce à quatre variations autour d’une même histoire, sur la vérité au travers de la fiction.

rentrée littéraire 2023

Misericordia (Métailié, 18 août 2023, traduit par Elisabeth Montero Rodrigues) est la transcription par Lidia Jorge du récit d’un an de la vie de sa mère. Avec des moments mémorables de la relation d’une mère et de sa fille, ce texte est un témoignage poignant du regard curieux d’une femme face à la mort. Un récit à la fois brutal, ironique et aimable, un mélange de larmes et de rires qu’on n’oublie pas. Il nous montre une femme exceptionnelle portée par l’immortalité de l’espoir.

han kang

Parmi les premiers romans, la Coréenne Han Kang fait d’Impossibles adieux (Grasset, 23 août 2023, traduit par Kyungran Choi et Pierre Bisiou) un éloge de l’amitié et un devoir de mémoire pour l’un des plus grands massacres perpétrés en Corée. Inseon, hospitalisée à Séoul, demande à son amie, Gyehonga, de se rendre chez elle sur l’île de Jeju pour nourrir son perroquet. Mais chez son amie, c’est l’histoire de la famille d’Inseon qui l’attend. Elle y trouve des archives réunies par centaines pour documenter l’un des pires massacres que la Corée ait connu – 30 000 civils assassinés entre novembre 1948 et début 1949, parce que communistes. Un puissant réquisitoire contre l’oubli. (lire un extrait)

dario diofebi

Italien d’origine, Dario Diofebi écrit Paradise, Nevada (Albin Michel, 23 août 2023, traduit par Paul Matthieu), un premier roman sur le rêve américain. Et c’est à Las Vegas que cela se passe. Le 1er mai 2015, une bombe explose au Positano, un casino-hôtel de luxe, conçu comme l’exacte réplique du village éponyme de la côte amalfitaine par Wiles, un milliardaire excentrique. Quelques mois plus tôt, le destin y a réuni quatre personnages désœuvrés. Ray, féru de mathématiques et joueur de poker en ligne, tente de se refaire après une défaite contre un ordinateur et l’interdiction du jeu en ligne. Tom, un jeune italien lauréat d’un concours qui lui offre un séjour à Vegas, essaie de surfer sur la chance aux tables de poker. Bien vite en situation irrégulière, il essaie toutes les combines pour obtenir un visa. Mary-Ann, après quelques expériences ratées, accepte un poste de serveuse au Positano, un poste que l’on accorde qu’aux jeunes et belles jeunes femmes. Lindsay vit avec son frère, intellectuel, mormon et flemmard. Elle rêve de devenir une grande journaliste et interviewer Wiles serait un bon tremplin. À travers leurs parcours chaotiques, Dario Diofebi compose un récit aux airs de roman noir qui nous plonge au cœur des paradoxes et des excès de l’Amérique. Sans doute un peu long, le roman aurait gagné à être aminci d’un bon quart… (lire un extrait)

caryl ferey

Il y a peu de nouveautés en littérature noire lors des rentrées littéraires. Mais on peut compter sur Caryl Ferey, excellent narrateur, pour sauver la mise. Okavango (Gallimard, 17 août 2023) est un excellent polar au cœur des réserves africaines. Engagée avec ferveur dans la lutte antibraconnage, la ranger Solanah Betwase a l’habitude de croiser des cadavres d’animaux. Mais lorsqu’elle découvre le corps d’un jeune homme sur une réserve animalière à la frontière namibienne, elle sait que son enquête va être plus corsée. D’autant plus que le propriétaire de la réserve est un personnage complexe et que le pire braconnier du continent est de retour. Un polar efficace et un hymne à la beauté du monde sauvage. (feuilleter)

Piergiorgio Pulixi

Piergiorgio Pulixi est un auteur de romans noirs primé en Italie et traduit depuis peu en France. Le chant des innocents (Gallmeister, 17 août 2023, traduit par Anatole Pons-Remaux) est la première enquête de Victor Strega. Quand plusieurs crimes violents sont commis par des collégiens, l’inspectrice Teresa Brusca demande au commissaire Strega, suspendu suite à un ”accident”, d’enquêter officieusement avec elle. Strega, hanté par ses propres démons, a très vite l’intuition que les tueurs sont liés par un étrange secret. Un page-turner efficace et implacable qui joue avec les nerfs du lecteur et interroge les notions de bien et de mal.

rentrée littéraire 2023

Si Antoine Wauters publie Le plus court chemin (Verdier, 24 août 2023), un nouveau roman à ne pas manquer en cette rentrée littéraire, retrouvez aussi en format poche l’excellent livre, Le musée des contradictions (Folio, 24 août 2023). À travers douze récits de résistance et d’espoir, Antoine Wauters donne une voix à ceux que la société réduit au silence. Ceux qui souffrent d’Alzheimer et fuguent en pleine nuit pour retrouver la liberté et les lieux de leurs souvenirs. Ces jeunes venus voir la mer pour fuir la grisaille de leur banlieue, et à qui la police interdit de se baigner. Tous prennent ici la parole, comme une arme contre les excès d’une époque qui menacent notre humanité.

yusuke kishi

À découvrir aussi, un roman phénomène au Japon. Dans un tranquille lycée de province japonais, Hasumi Seiji, charmant et charismatique professeur aimé et respecté de tous, cache un secret qui pourrait affecter l’ensemble du personnel et des élèves. La leçon du mal (1018, 17 août 2023, traduit par Diane Durocher) de Yûsuke Kishi est un huis-clos étouffant autour d’un séduisant psychopathe.

eric fottorino

Dans Dix-sept ans (Gallimard, 2018), Eric Fottorino évoquait Lina, une petite fille née trois ans après lui et adoptée dans la clandestinité. Mon enfant, ma soeur (Gallimard, 21 septembre 2023) commence par un long poème en prose pour continuer sur l’enquête qui conduira l’auteur sur les traces de cette sœur disparue.

gilles paris

Gilles Paris nous conte Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan (PLON, 7 septembre 2023), un hommage au cinéma des années 50 à nos jours au travers de la vie d’une star hors du commun. Belle Kaplan est aussi adulée qu’insaisissable. Ses films sont des succès planétaires, mais elle reste énigmatique et discrète sur sa vie. Alors qu’elle s’apprête à réaliser son rêve de tourner à Hollywood, le passé la rattrape en la personne d’un amour de jeunesse. Gilles Paris livre ici un roman poignant sur la quête d’identité, la force de volonté et le destin qui unit les âmes.

pascal dibie

Partons pour un voyage vers les rêveurs d’avenir avec Pascal Dibié. California dream (Métailié, 8 septembre 2023) est le récit vif et candide d’un jeune ethnologue travaillant à Berkeley dans les années 80 sur un essai de construction d’un monde plus vivable et respectueux de la nature, un texte en résonance avec les débats actuels.

louise erdrich

Elle est sans aucun doute la plus grande auteure amérindienne. Louise Erdrich revient avec La sentence (Albin Michel, 6 septembre 2023, traduit par Sarah Gurcel). Libérée de prison, Tookie, une quadragénaire d’origine amérindienne, travaille dans une petite librairie de Minneapolis. Lectrice passionnée, elle s’épanouit dans ce travail. Mais l’esprit de Flora, une fidèle cliente récemment décédée, pousse Tookie face à ses propres démons. Racisme et intolérance sont les plaies de cette ville bloquée par la pandémie, bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd.

salman rushdie

Un an après l’attaque au couteau dont il a été victime, Salman Rushdie propose un grand roman d’aventure au croisement du mythe et de l’amour. La cité de la victoire (Actes Sud, septembre 2023, traduit par Gérard Meudal) est une ville indienne nommée Bisnaga. Pampa Kampana, une fillette de neuf ans, est accablée par la mort de sa mère lors de batailles entre deux royaumes du sud de l’Inde. Une déesse prend possession de son corps, lui donnant le pouvoir de faire de Bisnaga une grande cité où les femmes seront les égales de l’homme. Brillamment présentée comme la traduction d’une épopée antique, cette saga au confluent de l’amour, de l’aventure et du mythe atteste du pouvoir infini des mots.

sebastian barry

Avec un roman plus contemporain, Sebastian Barry continue à traquer les mensonges familiaux, les blessures du passé, les drames de la pédophilie au sein de l’Église irlandaise. Solitaire depuis la disparition de sa femme et de ses enfants, l’inspecteur Tom Kettle, depuis peu à la retraite, revient sur le terrain à la demande d’anciens collègues. Au bon vieux temps de Dieu (Joëlle Losfeld, 7 septembre 2023, traduit par Laetitia Devaux ) le met face aux fantômes de son passé.

Audur Ava Olafsdottir

À noter rapidement, Eden (Zulma, 7 septembre 2023, traduit par Eric Boury), le nouveau roman de Audur Ava Olafsdottir. Alba compense ses nombreux voyages professionnels en plantant des arbres sur un terrain de roche et de lave. Un régal d’humour et d’humanité.

Tiohtiáke

Et n’oublions pas le nouveau livre du canadien Michel Jean, auteur du remarquable Kukum (Éditions Dépaysage, janvier 2020). Tiohtiá:ke (Montréal) (Seuil, 15 septembre 2023) est un roman plein d’humanité, Michel Jean nous raconte le quotidien de ces êtres fracassés, fait d’alcool et de rixes, mais aussi de solidarité, de poésie et d’espoir.

leonardo padura

Nouvelle enquête de Mario Conde pour Leonardo Padura. Ouragans tropicaux (Métailié, 1er septembre 2023, traduit par René Solis) propose un voyage dans le temps et dans l’histoire. En 2016, La Havane est fière d’accueillir Barack Obama, les Rolling Stones et un défilé de mode. Mario Conde, toujours sceptique, ne partage pas la liesse du pays. La police débordée fait appel à lui pour mener une enquête sur le meurtre d’un haut fonctionnaire de la culture de la Révolution, censeur impitoyable. Tous les artistes dont il a brisé la vie sont des coupables potentiels et Conde a peur de se sentir plus proche des meurtriers que du mort…Comme à son habitude, Mario Conde nous emmène loin dans le passé, aux racines du mal.

morgan audic

Personne ne meurt à Longyearbyen (Albin Michel, 20 septembre 2023) est le nouveau roman du malouin Morgan Audic. Deux femmes s’intéressant de près aux mammifères marins sont retrouvées mortes. L’une à Longyearbyen, l’autre sur les îles Lofoten. Un flic pugnace et une reporter de guerre tentent de trouver un lien entre ces deux victimes. Une enquête aux confins de l’Arctique, sur une terre faite d’anciennes cités minières, d’enclaves russes et de conflits politiques.

victor del arbol

Avec Le fils du père (Actes Sud, 6 septembre 2023, traduit par Émilie Fernandez et Claude Bleton), Victor del Arbol tisse trois générations d’hommes maudits traversant le XXe siècle, unis par les liens du sang, de l’infamie et de la mort. (voir notre article complet).

Polina Panassenko

La rentrée, c’est aussi au rayon Poche. Et vous trouverez en septembre un très bon choix de lectures. Polina Panassenko a obtenu le Prix Femina des Lycéens en 2022 avec son premier roman, Tenir sa langue. Ce roman construit entre la Russie natale de la narratrice et la France d’adoption paraît le premier septembre en version poche chez Points.

Toujours chez Points, Hors gel d’Emmanuelle Salasc fut très remarqué lors de sa parution en 2021. C’est une subtile dystopie autour d’un drame familial.

Ian Manook

Dans un tout autre genre, retrouvez Le chant d’Haïganouch (Livre de poche, 27 septembre 2023) de Ian Manook, un roman d’aventure, véritable chant d’amour au peuple arménien.

En littérature étrangère, je vous conseille Crossroads (Points, 22 septembre 2023, traduit par Olivier Deparis) de Jonathan Franzen, un roman sur l’intime d’une famille dans l’Amérique des années 70 et Zoomania d’Abby Geni (Babel, 6 septembre 2023, traduit par Céline Leroy) entre thriller et méditation sur la nature.

Itamar Vieira Junior

Je termine avec le premier roman d’un jeune auteur brésilien, Itamar Vieira Junior. Dans l’arrière-pays brésilien, Bibiana et Belonisia, deux sœurs, trouvent un magnifique couteau sous le lit de leur grand-mère. Le drame qui s’en suit marque leur vie à jamais dans ce monde rural où les propriétaires terriens imposent leur loi. Charrue tordue (Zulma, 7 septembre 2023, traduit par Jean-Marie Blas de Roblès) est un roman mêlant injustice, tragédie et humanité. L’histoire d’un combat politique et d’une rédemption dans un Brésil en pleine mutation.

Autres propositions recommandées par les membres de la rédaction d’Unidivers :

Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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