zelba

Féministe, la BD Le Grand Incident de Zelba l’est assurément, elle qui imagine la disparition des femmes nues des œuvres d’art. Une révolution et assurément un album loufoque et puissant. 

Entièrement nu, (l’Empereur) se tourna et se retourna devant le miroir et
décida qu’il porterait ce costume pour le défilé. Et, partout sur son passage,
la foule applaudit et poussa des cris d’admiration, jusqu’au moment où une
petite voix se fit entendre, plus forte que les autres : – Mais l’Empereur est
tout nu, cria un petit enfant. Un autre le répéta, puis un autre, et toute la
foule se mit à rire (…).

Hans Christian Andersen,
« Les habits neufs de l’Empereur », 1837

Les femmes ont disparu. Mais attention, pas n’importe quelles femmes. Celles qui sont nues. Mais encore ? Celles qui sont nues au Musée du Louvre. Branle-bas de combat ! Très vite, il faut se rendre à l’évidence. Ce sont les représentations féminines qui ont décidé de devenir transparentes, lasses des grivoiseries des visiteurs et des propos des sculptures masculines voisines. Finies, disparues, les Grâces, Atalante et même la Grande Odalisque d’Ingres. Les deux vieux harceleurs de la chaste Suzanne, drapés dans leurs toges, se retrouvent seuls sur la toile de Véronèse, leur objet de désir ayant disparu comme par un sortilège mystérieux. Une grève d’œuvres d’art, cela n’arrive pas tous les jours. Il faut alors imaginer le chambardement dans le monde de l’administration muséale. Seule solution immédiate : fermer le Louvre. 

suzanne et les vieillards
Paolo Caliari, dit VeroneseCaliari, BenedettoItalie, Musée du Louvre, Département des Peintures, INV 137 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010061271 – https://collections.louvre.fr/CGU

C’est une dessinatrice, Zelba, qui raconte cette histoire pareille à une « fable burlesque » et morale qui aurait déplu à Jean de La Fontaine, lui dont la statue placée à gauche de Psyché vante à longueur de journée « ses ronds seins ». 

Les premières pages sont sans équivoque : c’est bien de genre et de féminisme qu’il s’agit et notamment de remettre en question le regard masculin sur les nues. Plus que la nudité elle-même d’ailleurs — les hommes nus étaient majoritaires dans la statuaire antique — ce sont les poses lascives et suggestives, offertes au regard des hommes qui sont en cause. Alors que les nus masculins sont toujours montrés dans des positions valorisantes.

Mais la critique ne s’arrête pas là : elle vise aussi le harcèlement de rue, la grivoiserie quotidienne, le monde des conservateurs, montré comme dominé par le machisme. Certes, la féminisation du personnel muséal se poursuit, mais encore majoritairement dans le personnel le moins qualifié. Ce n’est pas innocent d’ailleurs que la « lanceuse d’alerte » et la sauveuse finale de la situation soit une femme de ménage portugaise. Car, heureusement, le Louvre va bien entendu rouvrir. Une solution de « sortie de crise » va s’imposer, solution que nous préférons vous laisser deviner. 

Derrière le caractère loufoque de l’histoire « fantasticomique », Zelba, dresse un véritable réquisitoire, notamment à travers la voix d’une historienne d’art, Madame Lisa Vallon, qui sous forme d’un cours didactique, dresse un véritable état des lieux des rapports hommes femmes dans l’art depuis les origines. Il reste néanmoins, a minima, un sujet non évoqué ici : la place réduite, voire inexistante des femmes artistes au Louvre. Sujet peut-être d’un futur album ?

Comme nombre de ses BD consacrées à l’art, cet ouvrage reste aussi un bel exercice pour Zelba qui, tels ses prédécesseurs dans cette collection, copie les œuvres anciennes à la manière des étudiants. Et leur reproduction est ici magnifique, témoignant d’une maîtrise parfaite du trait et de la réinterprétation. Copier sans plagier, de manière originale, est un beau défi ici parfaitement relevé.   

Cela fait 18 ans que le Musée du Louvre s’est associé avec les éditions Futuropolis pour créer cette collection, inaugurée avec Période glaciaire de Nicolas de Crécy, qui veut « établir une passerelle entre deux mondes “prisonniers” de leur image dans l’univers de l’autre ». Passerelle réussie puisque nombre de ses ouvrages confiés aux plus grands dessinateur(trice)s de BD bousculent les codes et dépoussièrent les larges allées silencieuses de nos musées. Le Grand Incident n’est pas le plus banal d’entre eux. Ni le plus consensuel. Et c’est très bien ainsi.

Le Grand Incident de Zelba. Co-édition Futuropolis Le Louvre éditions. 128 pages. 23,50 €. Parution le 23 août. 

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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