Le beatmaker et multi-instrumentiste Clément Bazin était invité samedi 11 août à clôturer la 11e édition du festival Belle Ile On Air. L’occasion pour lui de présenter Everything Matters, un premier album électro, frais, dansant, qui a pu être dégusté sans modération par les festivaliers. Entretien.

CLEMENT BAZIN

Unidivers : Belle Ile On Air est une grande première pour vous…

Clément Bazin : Oui c’est la première fois que je viens ici, c’est magnifique. J’en ai entendu parler par des copains, mais je ne connaissais pas du tout l’île comme beaucoup de spots en Bretagne d’ailleurs. C’est gardé sous secret, il doit y avoir un contrat de confidentialité (rires). La programmation est top. Il y a plein de groupes que je connais et que j’ai déjà écoutés comme Samifati, L’Or du Commun, The Bongo Hop et Tshegue que j’avais croisé en festival.

U : Comment vous avez découvert la scène électronique ?

Clément Bazin : Je suis rentré là dedans assez tard. J’ai commencé la musique avec le steeldrum, l’instrument que je joue sur scène et qu’on entend dans beaucoup de mes morceaux et encore plus dans mon album. J’ai fait de la musique électronique pendant des années. Dans le milieu des années 2000, une copine m’a fait découvrir une scène à l’ouest de Londres qui s’appelle le Broken Beat. Un mélange de musique très électronique avec beaucoup de synthés, de boîtes à rythmes, de programmation, de traitement électronique, de solos et des introductions de morceaux très longues. C’est un mouvement qui n’a pas trop pris d’envergure, mais pour la première fois j’ai entendu une musique produite électroniquement. J’ai voulu refaire pareil et ce mouvement m’a mis le pied à l’étrier pour faire de la production.

U : Vous évoquiez le steeldrum, c’est un instrument originaire de Trinité-et-Tobago, qui apporte une touche « caraibesque » à vos morceaux. L’incorporer au sein de la musique électronique s’est fait naturellement ?
Clément Bazin : Le steeldrum n’est pas venu très naturellement à ma musique, car j’en joue depuis tout petit et je le voyais comme un instrument à part. D’un côté, je faisais de la musique électronique chez moi la nuit avec mon casque et le reste du temps je jouais dans les orchestres en tant qu’instrumentiste. Au début, je cloisonnais beaucoup le steeldrum et l’électro. C’est mon premier label With Us Records qui m’a conseillé de mixer les deux. J’en avais mis dans des tracks, mais je n’étais pas sûr de moi. Ils m’ont dit : « c’est un instrument que tu maîtrises, il faut que tu le maries avec l’électro, ça marchera trop bien ». Come To This est un des tout premiers morceaux où j’ai incorporé du steeldrum dedans. Au début je trouvais ça trop différent et après ça m’a paru naturel de mélanger les deux, d’autant plus que ça m’intéressait de l’utiliser dans un autre contexte.

U : Le steeldrum fait partie intégrante de votre album Everything Matters sorti fin avril. Il n’y a pas un risque de plonger ceux qui vous écoute dans une mélancolie répétitive ?

Clément Bazin : Ce que j’aime avec le steeldrum c’est le sortir de son contexte. C’est un instrument qui vient d’un État traditionnel, il a un son très typé qui nous laisse imaginer un décor dès que l’on entend sa sonorité. Les gens ont beaucoup de stéréotypes, mais c’est normal, car ils ne connaissent pas ce son. Ils vont imager un gars sur une croisière avec une petite couronne de fleurs en train de jouer. Moi ce qui m’intéresse c’est le sortir de ça. Chacun de mes morceaux, que ça soit Catch Me, That Feeling, offrent plusieurs couleurs qui ne sont pas forcément joyeuses et dansantes. That Feeling porte le steeldrum comme mélodie principale, c’est un morceau beaucoup plus mélancolique et qui a une couleur un peu plus bleutée. J’essaye de garder ce son, qu’on puisse le réentendre, mais qu’à chaque fois ça soit différent. Je souhaite qu’il montre une nouvelle palette et qu’il ne soit pas forcément l’instrument des Caraïbes éminemment dansant et joyeux, mais qu’au contraire il puisse avoir plusieurs visages.

U : C’est un album composé de 13 morceaux plutôt dansants aux sonorités électroniquement tropicales. Il a été construit à partir de vos EP’s précédents comme une sorte de bilan…

Clément Bazin : En lame de fond, il y avait quand même l’idée de reprendre ce que j’avais fait dans les EP’s précédents, de chercher et de développer aussi ce que j’avais aimé faire. Non pas de clôturer l’histoire, mais essayer d’en faire un album, de synthétiser en un format un peu plus long ce que j’ai aimé faire. Je ne vais pas faire un album de polka ou de techno derrière. Je ferme la parenthèse de ce que j’ai fait précédemment, j’essaye de tirer ce qui m’a le plus plu dans chaque EP et de le retravailler. Dans l’album j’ai rajouté With You et Distant qui étaient déjà sorti. J’ai essayé de construire un album nouveau, frais et cohérent autour de ces sons-là.

U : On retrouve pas mal de feats, vous avez plutôt respecté la parité en choisissant deux voix féminines et deux voix masculines, comment vos choix se sont-ils opérés ?

Clément Bazin : Effectivement dans l’album il y a Lia, Aaricia, JT Soul et Zéfire. Les feats se sont faits au feeling, je n’ai pas fait 1000 essais avec des gens par mail que je ne connaissais pas. Pendant un an, je suis parti jouer au Québec à Montréal. J’ai rencontré via mon label plein de groupes et des gens super cool. C’est une ville où la scène n’est pas très grande donc tout le monde se connaît assez bien. J’ai connecté avec ces artistes-là. Je suis retourné là-bas en septembre dernier pour jouer. J’avais su à l’avance que j’étais programmé. Je les ai appelés en leur disant : « je suis en train de finir mon album, j’ai presque fini les instrumentaux, je vous envoie des maquettes et quand je viens on reste dix jours sur place, on fait du studio et on finit les featuring ». On a tout fait sur place, on a enregistré les featuring dans le studio d’un groupe de potes et on a fini d’écrire. On avait déjà échangé en amont par mail, mais ça s’est fait très naturellement. J’avais déjà rencontré Lia avant, on avait fait Distant et je l’ai rappelé pour qu’on fasse Ride, un autre morceau de l’album.

CLEMENT BAZIN

U : Vous avez souvent des retours sur certains de vos morceaux ?

Clément Bazin : That Feeling est le morceau sur lequel j’ai reçu le plus de messages sur les réseaux sociaux. Les gens ont beaucoup accroché avec ce titre. Il était pour moi plus personnel, intimiste, un peu mélancolique, mais tu es toujours surpris, car tu ne sais jamais comment les gens vont s’approprier le son et ce que ça va leur procurer. La musique instrumentale est incroyablement riche, car il n’y a pas de paroles, on ne te dicte pas un texte. Un morceau instrumental va beaucoup plus résonner avec l’imaginaire et les émotions de chacun. Les gens connectent de façon plus singulière avec un morceau instrumental.

NOWADAYS RECORDS

U : Comment s’est construite votre histoire avec le label Nowadays Records ?

Clément Bazin : Très naturellement. J’ai tourné pendant longtemps avec Woodkid, un chanteur français. Je faisais des percussions et un peu de steeldrum dans son groupe. Quand j’ai fini une tournée qui a duré trois ans, j’avais envie de sortir ma musique. J’avais tellement de travail acoustique que je n’arrivais pas à terminer mes morceaux. Il y a deux ans, je me suis enfermé dans mon studio, j’ai envoyé les premières maquettes à Nowadays. Au début je me demandais à qui je pourrais envoyer ça et je préférais avoir un label sur Paris pour discuter avec vu que j’habite là-bas. Avec Nowadays on a le même parcours, c’est un label qui a commencé sur des bases hip-hop et c’est ce que j’écoutais le plus au collège et au lycée. Ce label a ensuite évolué vers de la musique électronique comme moi. Quand je leur ai envoyé les maquettes, ils m’ont directement répondu. On s’est rencontrés la semaine d’après et ça a matché.

U : Avec le succès de With You, les dates se sont vite enchaînées, vous réalisez les premières parties de Fakear et de Petit Biscuit, vous vous attendiez à un tel engouement ?

Clément Bazin : Jamais. With You c’est un morceau que j’avais écrit juste après la tournée Woodkid dans mon home studio. Il a beaucoup tourné et a eu énormément de plays sur les plateformes de streaming. Quand tu sors un son, c’est toujours une surprise et un plaisir de voir que les gens connectent. Des fois tu es certain qu’un morceau va mieux marcher et finalement c’est un autre qui accroche bien.

U : Ça vous dérange d’être parfois comparé à Fakear ou Møme ?

Clément Bazin : Non pas du tout. Parfois ça surprend quand des gens te disent : « je t’ai découvert avec cet artiste », mais que tu ne pensais pas du tout être proche de cet artiste. Fakear m’a invité sur plein de premières parties. Il a des super tracks que j’adore. Après je ne me reconnais pas dans toute la scène électronique française.

CLEMENT BAZIN

U : Selon vous, Everything Matters est un album qui peut s’écouter où et à quel moment de la journée ?

Clément Bazin : Je ne suis pas partisan de dire : « je me suis inspiré de plein de choses pour vous faire voyager ». J’écris ma musique instantanément dans une cave en sous-sol et je produis pour me procurer des émotions. J’ai besoin d’écrire de la musique. J’écris dix morceaux nuls, je suis déprimé. Mais dès que j’en écris un que je trouve bien, je suis le plus heureux du monde. La création c’est très personnel, ce n’est pas machinal. Je veux que les gens écoutent ma musique n’importe où et qu’elle les emmène quelque part. Je n’ai pas envie de dire : « il faut écouter Everything Matters sur une plage ». Je préfère qu’une personne l’écoute dans son salon, mais qu’elle se sente à la plage, que ça la fasse voyager ailleurs.

Retrouvez Clément Bazin sur Facebook ici.

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Timothy Gaignoux
Timothy Gaignoux est journaliste spécialisé en culture musicale.

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