les clopes groupe

Les Clopes ont dix ans. Le musicien Kim Giani invente ce groupe faussement nantais à partir du tube cold wave « Je fume des clopes dans un blockhaus noir parce que je suis déprimé ». Depuis, Les Clopes est devenu un collectif auteur de quatre albums sans filtre où il cultive un genre à part entière, la troll wave. L’imaginaire new wave y glisse sans arrêt sur une peau de banane, direction l’absurde, le gênant et souvent l’hilarant.

Les Clopes, c’est un peu comme un paquet de cigarettes qu’on ouvrirait pour n’y trouver qu’un Twix, sans emballage et à moitié fondu. Depuis la parution d’un premier morceau en 2013, le groupe sort peu à peu de l’ombre de son blockhaus noir, toujours aussi déprimé après quatre albums (Les Clopes, Deu, Troa, Qatr). Depuis 2019, les concerts se multiplient et le tenant de la troll wave française a même intégré en 2023 le catalogue de Wart, une des principales agences françaises de tournée. Une jolie trajectoire pour ce qui partait au départ d’une simple blague.

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Kim Giani

L’esprit malicieux à l’origine des Clopes est celui de Kim Giani. Actif depuis une trentaine d’années, musicien multi-instrumentiste, il a été interprète ou compositeur pour de nombreux artistes, parmi lesquels Daniel Johnston, Olivia Ruiz, Yuksek ou Cléa Vincent. Avec 50 albums à son actif depuis 1994, sa carrière solo est encore plus impressionnante. Et comme si ça ne suffisait pas, Kim Giani s’amuse à créer des artistes fictifs pour enfiler d’autres costumes. 

« Le premier que j’ai fabriqué, c’est Robot Caca, un androïde à qui il arrive des aventures intestinales (“J’ai fait caca”) », raconte-t-il. Puis, il invente Jean-Pierre Fromage, un chansonnier à la Georges Brassens, encore plus porté sur le scatologique que son aîné moustachu. Et ainsi de suite jusqu’à composer une galerie de personnages aux noms loufoques et provocateurs : Gainsbite, Béton Plastic, Maximum Cagole, Jean-Michel Darre, etc. « Quand j’ai commencé à me lâcher sur les personnages, j’ai fabriqué des compilations qui s’appellent Craignos [sous-titrées Le pire de la sc​è​ne fran​ç​aise actuelle, ndlr], un label et des soirées dans lesquelles je pouvais changer plusieurs fois de costume, de personnage, d’accent, de nom, ça m’a éclaté. »

En 2013, il écrit et compose le morceau fondateur des Clopes : « Je fume des clopes dans un blockhaus noir parce que je suis déprimé ». Il s’agit d’un pastiche d’une chanson et d’un clip de Lescop, « La Forêt », dans lequel on voit l’artiste chanter en fumant une cigarette dans un décor obscur où on n’aperçoit que lui. « J’ai un vice en musique, j’aime beaucoup me moquer de ce que j’aime, j’ai toujours fait ça, peut-être pour prendre du recul. Je n’aime pas les hommages au premier degré, ça ne rend pas service à la musique, ça lui enlève de la saveur », affirme le musicien. Autour du refrain éponyme devenu hymne d’une jeunesse désabusée et prête à en rire, Kim Giani prend une voix grave et un accent traînant, qu’il associe à l’ouest de la France (quelque part entre Nantes et Rennes), pour déblatérer sur une liste de courses prosaïque. Avant de se rappeler qu’il n’a tout simplement pas d’argent. 

« C’était la première fois que je créais un groupe imaginaire, alors pourquoi pas faire une page Facebook qui va avec, sortir le morceau, dire que ça vient de Nantes, j’ai commencé à fantasmer quelque chose. » Dès ce premier morceau sorti, des internautes en réclament d’autres. La mythologie du groupe commence à se déployer. En 2014, Kim Giani réalise une interview fantoche pour Les Inrockuptibles, avec un faux nom et la dépression comme étendard. « Je commençais à me marrer », témoigne-t-il. 

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En 2017 sort le deuxième morceau des Clopes, « Téléphone cellulaire (ne m’appelle plus) ». « Je ne voulais pas à nouveau pasticher Lescop, il fallait que j’invente quelque chose à partir de ce personnage déprimé. » Avec cet exercice de fiction, Kim tire le fil d’une pelote dont on ne voit pas encore le bout. « Mes autres personnages, pendant ce temps, commençaient à faire des concerts. Je me suis dit que si un jour il devait y avoir des concerts, le groupe devrait être monté. Quand j’ai eu deux chansons, j’ai appelé deux copains pour les jouer. Et ils ont créé leur personnage : Daniel Brumeux (Romain Sanderre, guitariste) et Patrick Guillaume (Guillaume Bouchateau, bassiste). » Kim Giani, lui, adopte la perruque rousse de Guillaume Patrick. « À partir de là, c’est parti en sucette », annonce-t-il.

De nouvelles clopes rejoignent l’aventure. Assez vite, Valérie Hernandez écrit et chante sur des morceaux, avec son personnage de Laurence Inutile. Comme Valérie ne souhaite pas faire de scène, son personnage est repris par la claviériste Cléa Vincent, ce qui fait qu’il y a deux Laurence Inutile dans Les Clopes. « Elles ont inventé une histoire comme quoi elles étaient cousines avec le même nom », rigole Kim Giani. Rémi Foucard, autre claviériste, s’appellera Alain Chambreforte. Après le deuxième album (Deu, 2021), Stéphanie Acquette rejoint Les Clopes en tant que Gerda Glockenspiel. « Elle avait pour mission d’apprendre les parties de chaque instrument pour remplacer n’importe qui sur scène. Avec la contrepartie de s’inventer un personnage et d’écrire des chansons si elle veut », explique Kim.

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« De fil en aiguille, tous les membres qui ont rejoint le groupe ont imaginé des personnages. Au lieu que ce soit leurs chansons personnelles (beaucoup d’entre eux ont un projet solo à côté), ils pouvaient s’inventer un avatar, une espèce de marionnette, une extension d’eux. Il y a complètement dans Les Clopes une envie marionnettique et un soupçon de théâtre. Beaucoup d’entre nous en avons fait d’ailleurs. » Le groupe devient peu à peu une sorte de troupe de théâtre. Il intègre également Aina Jäkälä, la graphiste à l’origine des pochettes, Ernestine Létrange, qui joue la femme statue sur scène, et Olma, dont on ne connaît pas exactement la participation.

Il règne dans ce magma créatif des Clopes une grande liberté. Déjà, dans l’interprétation sur scène. « Tout le monde n’est pas disponible à chaque concert. Alors, chacun a la liberté absolue de réinterpréter les chansons, de rajouter des accords, de faire des solos dans tous les sens. Ce qui peut apporter beaucoup de nouveautés, ça réécrit les morceaux, ça fait vivre la musique des Clopes », s’enthousiasme Kim Giani. L’écriture des albums se fait aussi de plus en plus collective. Alors que Kim était le principal auteur dans les trois premiers albums, dans le quatrième, chacun et chacune a écrit au moins une chanson. Kim mentionne d’ailleurs le premier concert des Clopes auquel il n’a pas pu participer. « C’est le signe qu’on a gagné en autonomie, que Les Clopes est devenu une franchise. »

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Cette franchise s’articule sur une formule musicale bien identifiée. Partie d’un pastiche de Lescop, la musique des Clopes s’ancre dans la new wave et la cold wave des années 80. « C’est une musique que j’aime depuis toujours : le mélange des synthés, des sons très froids, des mélodies très mélancoliques avec peu de dextérité musicale, des phrases très innocentes comme dans The Cure », décrit Kim Giani. Un goût partagé par les autres membres du groupe. « On aime vraiment la new wave, la synthwave, la darkwave, le gothic, le black metal, des choses très sombres. Mais ce sont des styles qui se prennent très au sérieux et à chaque fois qu’on en fait, il y a un moment où on se regarde faire et on a envie de rire », explique le musicien. Aussi, Les Clopes ont baptisé leur style « troll wave », pendant de la schlag wave du duo rennais Gwendoline. C’est aussi un équivalent du troll rap, un rap qui connaît bien les codes du rap et qui cherche à s’en amuser, à l’image de Stupeflip, Klub des Loosers ou encore Vald. Entre amour et moquerie, Les Clopes joue de l’ambiguïté.

Le groupe ne reste pas pour autant bloqué dans sa blague, et la musique y est tout autant à l’honneur que l’humour. « Une fois mis un coup de Kärcher sur le grotesque, j’espère qu’il en ressort toute la saveur qu’on aime vraiment, cette mélancolie new wave, cette espèce de froideur urbaine qui me touche beaucoup », déclare Kim Giani. De même, la musique des Clopes se nourrit de bien d’autres influences. La plupart des membres du groupe sont issus du jazz, sont fascinés par l’art du langage dans le rap et par les rythmiques techno. « On est partis du principe que toutes les idées sont les bienvenues pour des projets, on s’en fout d’être cohérents. Si demain on veut faire un album d’ambient, on le fera. Et c’est évident qu’il y aura une peau de banane qui fera dérailler le train. » C’est peut-être là que réside le secret des Clopes, dans une esthétique de la peau de banane.

Écouter Les Clopes sur Bandcamp

Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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