Le Hot Club de Rennes revit grâce à la réédition en vinyle des rares enregistrements de l’orchestre qui a fait les belles heures du début du jazz en Bretagne dans les années 1940. À l’initiative de ce projet, Lionel Besnard et Guillaume Michelet nous racontent l’enquête historique qu’ils ont menée afin de mettre en lumière ce pan méconnu de la culture musicale rennaise.

Bien avant de devenir la ville rock ou techno qu’on connaît aujourd’hui, Rennes a dansé au son de la note bleue. Avec Le Hot Club de Rennes, 1941-1952, c’est un précieux fragment de l’histoire de la musique à Rennes qu’ont déterré Lionel Besnard et Guillaume Michelet. Une recherche passionnée les a en effet conduits à dénicher puis rééditer d’anciens 78 tours enregistrés en 1947. Depuis le 29 novembre 2021, le disque vinyle du Hot Club de Rennes est disponible avec ses 14 morceaux chez les disquaires rennais ou sur Bandcamp accompagné d’un livret historique. Parmi eux, se trouve sans doute la première composition bretonne de jazz : “Breizonec Blues”.

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Lionel Besnard et Guillaume Michelet

Le jazz en temps de guerre

Le livret qui accompagne Le Hot Club de Rennes, 1941-1952 retrace l’histoire passionnante de ce club jazz né dans la capitale bretonne sous l’occupation allemande, et responsable d’une décennie intense de diffusion du swing en Bretagne. Le Hot Club de Rennes est une antenne locale du Hot Club de France. Elle a été fondée par Jacques Souplet, proche de Charles Delaunay, le pape des “croisés du jazz” français, avec qui il travaillera pour le magazine Jazz Hot à partir de 1946. « C’est très important dans l’histoire du jazz, parce c’est la première fois dans le monde entier qu’une association est créée pour diffuser et défendre une musique qui était encore mal perçue », précise Lionel Besnard. L’antenne rennaise tient ses quartiers dans la maison du 17 rue Saint George, où l’on trouve une salle de répétition ouverte au public, avec un bar. Elle organise des concerts bien sûr, des séances d’écoute commentées, et tient une émission sur Radio Bretagne.

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Drôle d’histoire que celle du jazz sous l’occupation. Alors que les bals sont interdits, et qu’un couvre-feu est de mise à partir de 22-23 H, le Hot Club de Rennes fleurit, autour d’une poignée d’étudiants musiciens, d’expatriés, de résistants, de prisonniers de guerre coloniaux enfermés à Rennes. Une faune hétéroclite réunie par la guerre, mais qui fera contre mauvaise fortune bon swing. Dès février 1942, ils organisent le premier festival de jazz à Rennes, puis un second en décembre, dans l’actuelle salle de la cité. Ne se cantonnant pas à la Bretagne, l’orchestre du Hot Club de Rennes, autour du prodige Alain Gastinel au saxophone et à la clarinette, enchaîne trois victoires nationales à la renommée coupe des Vedettes entre 1943 et 1944.

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À la Libération, le swing triomphe, et les membres du Hot Club en sont les hérauts. Le jazz encore si incompris par la presse pendant la guerre, quand il n’est pas tout simplement conspué par racisme, devient la bande-son de ce grand moment d’euphorie collective. C’est l’âge d’or du Hot Club de Rennes, qui surfe sur le succès jusqu’à enregistrer sept disques, 14 morceaux en tout, pour le label parisien Pacific en 1947. C’est une chose rare à l’époque pour un orchestre de province. « Ça a complètement changé la vie de cette génération-là. C’était des amis d’Eddie Barclay et cie, une bonne partie d’entre eux ont ensuite fait carrière dans la musique », explique Lionel Besnard.

Le Hot Club de Rennes disparaît officiellement en 1952, fusionnant avec le Jazz Club Universitaire, à une époque où les partisans du jazz ont déjà commencé à se diviser en écoles, puristes du dixieland, amateurs de big band ou de be-bop. Le swing continuera de faire vibrer Rennes et la Bretagne jusqu’au milieu des années 1950 avant de s’estomper peu à peu, laissant place à de nouvelles sonorités. Et même si le jazz ne s’endort pas complètement dans la capitale bretonne, que des salles comme La Baleine bleue (enseigne qui a précédé le Mondo Bizarro), Le Chat qui pêche, le Méliès (ancêtre de l’Uzine) ou le festival Jazz à l’Ouest prennent le relais, l’histoire du Hot Club s’oublie. Jusqu’à ce qu’elle soit de nouveau mise au jour par deux archéologues mélomanes.

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À la recherche du club perdu

Tout a (re) commencé en 2017, avec la lecture du Dictionnaire du patrimoine rennais, de Jean-Yves Veillard, ancien conservateur du Musée de Bretagne à Rennes. Dans l’ouvrage, Alain Gastinel est mentionné comme une des vedettes du Hot Club de Rennes. Le hasard fait bien les choses : quand Lionel Besnard tombe sur ce nom, il se trouve juste à côté de la fille du musicien, Bérénice Gastinel, alors sa collègue à l’office du tourisme. C’est le début d’une enquête historique sur cette antenne locale du Hot Club de France, à la recherche de ce morceau d’histoire de la musique à Rennes.

« Bérénice nous a prêté plein d’archives, dont la nécrologie de son père, parue dans Ouest-France et rédigée par un ami du défunt, Jean Quéinnec », raconte Guillaume Michelet. La magie d’Internet aidant, les deux compères remontent la piste grâce à un forum de fans de jazz, jusqu’à aller rencontrer le nonagénaire chez lui à Asnières, quelque temps avant son décès. « Une des premières choses qu’il nous a dit c’est “enfin quelqu’un s’intéresse à notre histoire” », se rappelle Lionel Besnard.

Arrivé à Rennes en 1942, président du Hot Club entre 1946 et 1949, Jean Quéinnec s’avère un témoin précieux. « C’était un archiviste impressionnant. Il nous a fourni plein de photos, de vieilles affiches, des programmes, même le contrat de location de la maison du 17 rue Saint-Georges », précise Guillaume Michelet. Et Lionel Besnard de compléter : « Il se souvenait de la rue au mètre près ! C’est aussi lui qui nous a raconté qu’ils allaient faire la fête dans la maison d’Odorico, parce qu’ils connaissaient la fille du mosaïste, et que c’était bien le seul endroit où les toilettes n’étaient pas au fond du jardin ».

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La piste s’interrompt avec Jean Quéinnec. Ayant quitté Rennes pour faire carrière dans l’industrie musicale (chez Barclay et CBS France), il n’a pas connu les musiciens arrivés après lui. Mais, grâce, une fois de plus, à une recherche sur Internet, Guillaume Michelet et Lionel Besnard finissent par trouver d’autres membres du Hot Club de Rennes qui avaient vécu ses dernières années d’activité, et ainsi à recoller peu à peu les morceaux de ce récit rennais.

Qu’un swing pur abreuve les sillons

Le trésor de cette fouille art-chéologique est très certainement d’avoir retrouvé les disques 78 tours issus des deux journées d’enregistrement à Paris pour le label Pacific. Le Hot Club de Rennes avait bien gravé quelques titres sur des laques dans les studios de Radio Bretagne, où l’orchestre avait son émission. Mais le matériau est tellement friable qu’il ne restait plus que poussière de toutes ces notes quand Jean Quéinnec remet la main sur un des disques en 2017. Les 78 tours, eux, se sont mieux conservés. Retrouvés pour la plupart dans les familles des musiciens, ils ont permis à Lionel Besnard et Guillaume Michelet de faire numériser les 14 morceaux en vue d’une réédition en disque vinyle 33 tours.

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Ces morceaux, des standards du genre tel “Saint James Infirmary”, popularisé par Louis Armstrong, sont les témoins du jazz dans les années 1940. « Il y a un peu de tout », détaille Lionel Besnard. « Du jazz des débuts New Orléans, mais aussi des morceaux plus swing, avec des orchestres plus étoffés. Ils sont huit musiciens, ce n’est pas encore un big band, mais on s’en approche. Jean Quéinnec appelait ça du “middle jazz” ».

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Hot Club de Rennes Breizonec Blues Pacific 78T

Au nombre de ces quatorze enregistrements restaurés figure un morceau original : un titre qui sonne familier parmi les noms américains, “Breizonec Blues”. Porté par des cuivres rayonnants et un piano galopant, le morceau pourrait bien être la première composition jazz bretonne enregistrée. « Rien que le nom nous a semblé un manifeste », s’enthousiasme Lionel Besnard. Même s’il s’agit sans doute d’une improvisation collective, le morceau est crédité au pianiste Armand Borgogno, « le plus mystérieux de tous », affirme Lionel. Le musicien n’ayant pas laissé de descendance, Guillaume Michelet n’a retrouvé que sa tombe, à Saint-Malo. Sur la pierre apparaît un cliché de lui au piano.

En partie exhumée, l’histoire du Hot Club de Rennes, désormais lointaine et manquant de source, reste parée d’une aura de mystère. Ses deux archéologues l’ont toutefois suffisamment mise au jour pour montrer quelle importance a eu le jazz dans le développement de la vie musicale rennaise au XXe siècle.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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