Le TNB en état de siège ? Rassurez-vous : tout ceci n’est que théâtre et illusion. Emmanuel Demarcy-Mota revient cette année, du 25 avril au 6 mai 2017, avec L’état de siège d’Albert Camus. Œuvre totale, aussi bien politique que métaphysique, cette pièce de 1948 engage tout metteur en scène à repousser les limites de sa scénographie. Demarcy-Mota offre une nouvelle fois une performance remarquable.

ÉTAT DE SIÈGE
Emmanuel Demarcy-Mota

Demarcy-Mota nous avait ravis, l’année dernière, avec ses six personnages en quête d’auteur (voir notre article). Il semble renouer, avec cette mise en scène d’une pièce de Camus, avec une thématique plus engagée, du moins plus actuelle. En 2015, son adaptation du Faiseur de Balzac (voir notre article) trahissait une aspiration à parler dette, finance et spéculation. La pièce de Camus, écrite en 1948, demeure universelle : un jeune homme arrive et déclare être la Peste. Dès lors, un régime autoritaire et une terreur s’installent, jusqu’à ce que la révolte arrive, menée par un certain Diego. Un sujet, donc, éminemment camusien pour une pièce sans doute moins célèbre que Caligula ou Les Justes.

ÉTAT DE SIÈGE camus
Albert Camus

La représentation, certes, traîne un peu en longueur : il faut reconnaître que le texte de Camus ne touche pas autant à l’universalité que son pendant romanesque, La Peste, publié un an plus tôt. L’auteur y délivre, avec transparence, ses aspirations politiques et humanistes, au point parfois de voir dans L’état de siège quelque chose comme du théâtre à thèse. Le personnage de Nada, par exemple, le nihiliste qui finit par collaborer avec la Peste et sa secrétaire, est d’emblée condamné par Camus. Cela n’empêche pas la pièce de livrer un théâtre total, baroque, violent, dont Demarcy-Mota s’empare avec brio.

La représentation commence avec une sorte de communication directe avec le public : nous sommes alors moins spectateurs que condamnés, nous aussi, à vivre la peste. Signe des temps ? Demarcy-Mota n’a pas besoin d’insister sur le caractère actuel de la pièce de Camus. Du reste, il a l’intelligence de ne pas trop forcer le trait sur ce point. Il réactive le goût de Camus pour le théâtre du Siècle d’Or espagnol, celui de Lope de Vega et Calderon de la Barca. Mélange des genres, théâtre dans le théâtre, deus ex machina : la scénographie se met au service de la représentation du pouvoir et de la révolte. On se croirait, esthétiquement, dans Le Château de Haneke, l’adaptation cinématographique du livre de Kafka. Les écrans vidéos, en triptyque, renforcent cette impression, tout comme les multiples ressorts spectaculaires déployés sur la scène.

ÉTAT DE SIÈGEDemarcy-Mota reprend sa troupe et ses acteurs fétiches. On saluera la prestation de la Peste, d’une malveillance mielleuse, et de Diego, tout en lyrisme et candeur. Si l’histoire d’amour entre Diego et Victoria peut sembler bavarde, voire décalée par rapport au reste de la pièce, c’est sans doute que leur duo façon Roméo et Juliette n’opère plus en ces temps de trouble. Demarcy-Mota insiste beaucoup sur la dimension prophétique et métaphysique du Mal : la Nature, en la personne des oiseaux, des vagues ou des comètes, troue la scénographie d’une puissance supérieure. Mais c’est la Peur, dans cette pièce allégorique, qui demeure le Mal éternel. Demarcy-Mota pose la question du rôle de l’art à notre époque. Et répond, dans son discours comme dans sa représentation : « à douter ensemble ». Alors, doutons !

L’état de siège d’Albert Camus est mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota au TNB du 25 avril au 6 mai 2017

Avec Serge Maggiani, Hugues Quester, Alain Libolt, Valérie Dashwood, Matthieu Dessertine, Hannah Levin Seiderman, Jauris Casanova, Philippe Demarle, Sandra Faure, Sarah Karbasnikoff, Gérald Maillet, Walter N’Guyen, Pascal Vuillemot
et en alternance Alice Demarcy, Shiva Demarle et Chiara Vergne

assistant à la mise en scène Christophe Lemaire
scénographie Yves Collet
lumières Yves Collet & Christophe Lemaire
costumes Fanny Brouste
création son David Lesser
création vidéo Mike Guermyet
maquillage Catherine Nicolas
accessoiriste Griet de Vis
masques Anne Leray
conseiller artistique François Regnault
2e assistante à la mise en scène Julie Peigné
assistant lumières Thomas Falinower
assistante scénographie Clémence Bezat
assistantes costumes Hélène Chancerel, Albane Cheneau, Élodie Lorion, Peggy Sturm
assistante masques Patty Robinet
travail vocal Maryse Martines
production Théâtre de la Ville-Paris
coproduction Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Théâtre national de Bretagne/Rennes – BAM (Brooklyn Academy of Music-New York)
avec la participation artistique du Jeune Théâtre national
La pièce L’État de siège est éditée chez Gallimard – Folio

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