La première de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello a eu lieu le 13 janvier au Théâtre National de Bretagne. Pour les absents, il reste trois représentations pour courir voir le chef-d’œuvre de Pirandello, mise en scène tout aussi magistralement par Emmanuel Demarcy-Mota.

 

TNB pirandelloTout est dans la pièce de Pirandello. Emmanuel Demarcy-Mota a raison de le rappeler : « Une pièce de rupture, comme en témoigne le scandale qu’elle provoqua à sa création à Rome en 1921. Elle constitue un hommage à l’art théâtral tout en dévoilant la contradiction profonde entre cet art et le réel, entre la fiction et la réalité ». La pièce de théâtre de Pirandello possède la marque des grandes œuvres : elles contiennent et retiennent tout. L’histoire pourrait sembler simple : sur une scène, une troupe de théâtre répète Le jeu des rôles (de Pirandello), quand surviennent six personnages. En l’occurrence une famille décomposée (la mère, le père, la belle-fille, le fils, l’adolescent et la fillette). En quête d’auteur, donc. Cette pièce, ce n’est pas seulement la ligne de démarcation entre la fiction et la réalité. C’est aussi la ligne de fuite. Ce ne sont pas seulement les apories du théâtre. Ce sont aussi ses virtualités. Ce n’est pas seulement la mise en scène de la vie, mais aussi la vie mise en scène.

On ne choisit une pièce aussi programmatique par hasard. Si Demarcy-Mota, la saison dernière, avait pu décevoir avec sa mise en scène du Faiseur de Balzac, notamment par consensus, il gagne cette année un pari risqué. Disons simplement que ce Pirandello tombe à point nommé. Comme le précise Demarcy-Mota, « le théâtre se trouve alors envahi par ce qui lui est essentiel, son propre cœur, sa sève : les personnages ». Loin donc, de l’hermétisme ou de la désincarnation voulus par certains metteurs en scène. En outre, l’adaptation d’un texte aussi riche et varié permet d’allier et la réflexion – en l’occurrence la réflexivité – et le divertissement.

TNB pirandelloPrise en dehors de son contexte, peut-être la pièce de Pirandello représenterait toutes les dérives du théâtre contemporain, voire plus généralement de l’art. Le métadiscours, la mise en abyme, la chute du quatrième mur, la parodie, la digression généralisée. Sauf – et ceci est primordial – que cette pièce s’écrit en plein modernisme et qu’elle brille en ceci : malgré les multiples rappels au désordre de la vie, et à la perte de l’illusion théâtrale, le lecteur ou le spectateur ne peuvent pas ne pas immerger dans l’histoire. Le terme est certes barbare mais, en choisissant de mettre en scène cette pièce de théâtre, Demarcy-Mota livre une adaptation postmoderne. Entendu selon les termes de Lyotard cependant, en tant « qu’anamnèse du projet moderniste ». S’entend : un travail de mémoire sur son échec programmé. Demarcy-Mota ne chercherait-il pas à réenvisager l’innovation et plus globalement le théâtre ?

TNB pirandelloQuoi de mieux alors que cette pièce ? Le metteur en scène s’en est admirablement bien tiré. Le texte était au rendez-vous. Ne restaient plus que la scénographie et la direction d’acteur. Sur le premier point, comme pour Le Faiseur, Demarcy-Mota fait preuve d’une grande imagination. Les apports du théâtre d’ombres, voire parfois du cinéma, creusent encore un peu plus la mise en abyme et l’illusion. La scène s’avance en un podium jusque dans les rangs du public. Demarcy-Mota découpe méticuleusement les plans et les comédiens. Ces derniers sont le point de convergence du drame. Mention spéciale à Hughes Quester dans le rôle du père, Sarah Karbasnikoff dans celui de la fille ou encore Walter N’guyen dans celui de l’adolescent muet. La direction d’acteur excelle dans le nivellement des jeux : par rapport aux six personnages en quête d’auteur, plus vraisemblant, les « acteurs » affectent une attitude surjouée.

Outre la réflexion, imposée par le texte et sublimée par sa mise en scène, l’émotion survient. Comment ne pas être touché par ces personnages prisonniers de leur propre drame ? Et comment ne pas s’y reconnaître ? La scène devient théâtre d’un geste fatal, condamné à se répéter, et que seul le jeu, parfois pervers, pourrait à la rigueur conjurer. Si nous avions au TNB six acteurs en quête de metteur en scène, qu’ils se rassurent ! Ils l’ont trouvé.

Six personnages en quête d’auteur
de Luigi Pirandello
traduction François Regnault
mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota

mercredi 13 janvier 2016 à 20:00
jeudi 14 janvier 2016 à 20:00
vendredi 15 janvier 2016 à 20:00
samedi 16 janvier 2016 à 20:00

Assistant à la mise en scène Christophe Lemaire
Avec Hugues Quester, Alain Libolt, Valérie Dashwood, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Walter N’Guyen, Céline Carrère, Charles-Roger Bour, Olivier Le Borgne, Sandra Faure, Gaëlle Guillou, Gérald Maillet, Pascal Vuillemot, Jauris Casanova
Scénographie & lumières Yves Collet
Musique Jefferson Lembeye
Costumes Corinne Baudelot
Maquillages Catherine Nicolas

Production Théâtre de la Ville-Paris
Coproduction Théâtre de la Ville-Paris ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg

Rencontre avec l’équipe artistique le jeudi 14 janvier à l’issue de la représentation

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