Les Illuminés Bollée Dytar Delcourt
Les Illuminées de Bollée et Dytar, éditions Delcourt, 2023.

Avec Les Illuminés, paru chez Delcourt, Bollée et Dytar nous emmènent à la recherche originelle des Illuminations de Rimbaud. Passionnant et éclairant.

Ils sont trois sur la couverture. Les « illuminés » ce sont sans doute eux. Leur aspect est brumeux : brouillard londonien ou alcool ? Les deux sans doute, même si le personnage de devant semble nous souhaiter une bonne santé. Qui sont ils ? À y regarder de plus près, l’individu central nous rappelle un jeune homme connu, la mèche soulevée, pipe au bec. Si on osait, on écrirait qu’il s’agit peut être d’un poète, au talent égal à sa démesure : Arthur Rimbaud. Si c’est effectivement lui, celui qui est devant, verre à la main est forcément son ami, amant : Paul Verlaine. Mais le troisième, qui semble aussi éméché que les deux autres, de qui peut-il bien s’agir ? Avouons le, nous séchons. Alors il nous faut ouvrir la BD et commencer la lecture. Elle est comme des rubans de couleurs différentes, sépia, verdâtre ou gris, tels des négatifs les uns au-dessus des autres, pour raconter simultanément sur une même page des lieux, des instants, des personnages divers. Des couleurs presque monochromes donnent le sens de lecture. Un scénario original mené de main de maître par Laurent-Frédéric Bollée qui abandonne ici son goût pour les thrillers pour faire se croiser des destins tragiques.

  • Les Illuminés Bollée Dytar Delcourt
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Rimbaud et Verlaine, il s’agit bien d’eux, sont sur la partie basse, en vert. En haut, couleur sépia, bistre, c’est le troisième compère. Il porte un joli nom : Germain Nouveau. Il amène au café des artistes parisiens « le chant des cigales » de son pays natal, celui de Cézanne et de la Sainte-Victoire. L’histoire de la littérature l’a laissé dans l’ombre. Il est pourtant le personnage central de l’album, celui qui traîne autour des deux artistes, Rimbaud et Verlaine et va croiser sans cesse leurs vies tourmentées. À Londres, Paris, Bruxelles. De 1872 à 1877, de tribulations connues comme le coup de feu tiré par Verlaine sur son jeune amant à Bruxelles ou l’attachement de plus en plus fort de Verlaine au catholicisme, un point commun unit les trois compagnons : des poèmes inédits, des mots entrelacés comme jamais ils ne l’ont été. Des mots que Rimbaud, tourmenté à l’extrême, tente de discipliner dans une nouvelle manière d’écrire :

« Eh bien … jusque là c’était comme si je laissais venir à moi les visions … Je les attrapais puis je tentais de les dompter avec les mots. Mais désormais ce sont les mots qui semblent précéder mes visions… »

Ces mots, générateurs d’images, il les écrit sur des bouts de papier, perpétuellement insatisfait, rêvant décrire l’indicible. Les feuillets écrasent ses lecteurs, Verlaine mais aussi Nouveau, un patronyme qui colle parfaitement à ces innovations poétiques, à ces fulgurances. Ces pages incandescentes, qui semblent brûler les mains de ceux qui les détiennent, vont finir par être publiées, dans l’ignorance totale de leur auteur. Elles vont devenir ces « Illuminations », ce mot anglais qui veut dire « gravures coloriées ». Il s’en est fallu de très peu que ce chef-d’œuvre poétique termine sa vie dans l’âtre d’une cheminée ou l’eau d’une rivière. De Verlaine à Nouveau, de Nouveau à Verlaine, elles vont arriver enfin chez Fénéon, qui va publier ce qui sera la dernière œuvre de l’Homme aux semelles de Vent. Il n’a pas 20 ans et n’écrira plus rien que des lettres banales à sa mère et à sa sœur. Les Illuminations restera une déflagration mais dans l’esprit des autres.

Jean Dytar, l’auteur notamment du remarquable # J’accuse met son immense talent graphique au service de cette transmission de poèmes traités comme des reliques, des chefs-d’œuvre sacrés, presque dangereux, avant même qu’ils ne soient connus du grand public. Les gares de Londres évoquent celle de Saint-Lazare peinte par Monet. Les traits sont flous, témoignant de l’état permanent de latence et d’irréalité dans lequel vivent les trois artistes. Entre vie de bohème, existence nocturne, misère physique et matérielle, les images démontrent la capacité du dessinateur à reconstituer une époque mais aussi une ambiance de marginaux où la Création dépasse toute autre envie existentielle.

Rimbaud décède dans des souffrances atroces en 1891, Verlaine meurt dans la déchéance totale en janvier 1896, Nouveau, dont l’existence n’a fait que suivre ou recouper celle des deux autres, termine sa vie dans son Var natal. Dans la BD, il quête à la sortie des églises, vagabond mendiant. Illuminés par Les Illuminations, les trois poètes, créateurs ou lecteurs, ont atteint le sommet des mots et peut-être des étoiles. Des lieux où l’on se brûle, où l’on se perd. Plus qu’une description chronologique, cette magnifique BD rend parfaitement compte de cette quête d’idéal inaccessible.

Les Illuminés. Scénario : Laurent-Frédéric Bollée. Dessin et couleur : Jean Dytar. Éditions Delcourt, Collection Mirages. 144 pages. 29,95€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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