Raconter l’affaire Dreyfus en BD avec exclusivement des documents d’époque, tel est le pari réussi de cette BD de Jean Dytar, publié aux éditions Delcourt. Un album appelé à devenir un classique du genre.

Un lecteur de Bd est sensible normalement à la qualité de l’édition. Un album est aussi un objet que l’on prend, reprend, regarde sous toutes ses facettes: illustration de couverture, format, pagination. Les éditeurs sensibles à cette demande soignent de plus en plus leur « emballage ».

En prenant dans les mains #J’accuse …!, impossible d’abord de ne pas remarquer la forme: un coffret superbe, avec à l’intérieur un clavier d’ordinateur dessiné, un marque pages explicatif, et un album souple, format à l’italienne inséré dans la boîte. Très vite on comprend que cette BD se veut connectée. À chaque fois que figure le signe + sur une page, l’onglet donne droit à des documents numériques complémentaires (biographie, fac-similé) accessibles après avoir téléchargé une application spécifique. Rien de superficiel dans ces ajouts, mais une manière remarquable d’informations complémentaires utiles dans une BD où les archives constituent la base de l’ouvrage. Ce sont des pages ouvertes sur un ordinateur qui défilent devant nos yeux, comme si l’Affaire Dreyfus, car c’est bien entendu de cela qu’il s’agit, était contemporaine et enflammait les réseaux sociaux.

j'accuse jean dytar
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Cette magnifique mise en forme n’est pas proposée pour « faire beau », mais constitue une véritable volonté éditoriale. Jean Dytar a « été tout simplement sidéré par les résonances avec notre époque » en travaillant sur ce dossier. Avec lui, le lecteur en effet ne peut cesser d’imaginer cette affaire couverte aujourd’hui par les réseaux sociaux et les médias actuels. On constate alors que la haine si souvent évoquée, l’absence de recul par rapport aux informations immédiates étaient déjà la règle il y a plus d’un siècle.

La presse papier, dont de nombreux articles seraient aujourd’hui interdits, n’hésitait pas à vomir, une haine antisémite d’une violence totale. La Libre Parole, Le Temps, Le petit Parisien et tant d’autres au mépris de la vérification des faits condamnent, insultent au nom d’une idéologie qui ne repose sur aucun fait avéré. Comme l’écrit cyniquement Barrès en justifiant tout mensonge ou falsification: « la foule est une enfant et l’opinion publique une véritable mineure ». On pense alors aux complotistes et extrémistes de tout poil. Seuls surnagent Le Figaro, qui accueille dans un premier temps Zola, puis l’Aurore gagné peu à peu à la cause dreyfusarde, dans lequel est publié le fameux article « J’accuse » et, moins connu, La Fronde journal fondé en décembre 1897 par Marguerite Duran, « le journal de toutes les femmes françaises », une pépite d’intelligence dans ce tas d’ordures. Ainsi surnagent dans ce torrent de boue des personnages étonnants, courageux, magnifiques qui réhabilitent l’âme humaine: Mathieu Dreyfus, frère du colonel, Auguste Scheurer-Kestner, homme politique exceptionnel et Bernard Lazare, par leur honnêteté intellectuelle, renvoient plus bas que terre les Maurice Barrès, Daudet, Henri Rochefort et consorts, dont certains écrits annoncent, mot pour mot, l’arrivée du fascisme et du nazisme.

Le procédé utilisé par Jean Dytar de mise en image de la presse quotidienne de l’époque est efficace. Les amateurs de BD historique qui avaient lu ces deux remarquables précédents ouvrages, La Vision de Bacchus, puis Florida, savent combien la rigueur et la précision sont les qualités premières de l’auteur. Contrairement à ces deux ouvrages précédents, il ne craint pas cette fois-ci de s’attacher à un fait incontournable de l’histoire de France et mille fois traités. Grâce à une narration très dense, mais d’une grande fluidité, la complexité de l’affaire est parfaitement traduite en un récit clair, précis, où l’auteur n’intervient que par le choix éclairant des textes qu’il met en lumière sans commentaires personnels. Un regard de spectateur.

L’éditeur s’interroge pour savoir si « l’impact de l’affaire Dreyfus sur ses contemporains aurait été différents s’ils avaient été informés par les médias d’aujourdhui ? ». On peut légitiment douter de la réponse. À l’heure des réseaux sociaux et de leur immédiateté, lire cette formidable Bd doit nous inciter, encore et toujours à penser, à réfléchir, avant d’écrire. Il n’y aura peut être pas toujours des Zola pour rétablir la vérité.

La Bombe avait démontré combien la BD pouvait se révéler l’égale des livres d’histoire traditionnels. On peut ajouter désormais ce #J’accuse…! comme lecture incontournable de cet ignoble épisode de notre Histoire.

#J’accuse…! de Jean Dytar, éditions Delcourt, album broché dans un coffret cartonné. 312 pages. 29,95€.

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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