Avec Jumelle, paru aux éditions Dargaud, Florence Dupré la Tour continue à raconter son enfance et les fondements de sa future identité si particulière car placée sous le signe de la gémellité. Drôle, violent et toujours honnête ce récit s’adresse à tous ceux qui ont été enfants. C’est dire.

Jumelle

Après Pucelle, Jumelle. Deux titres secs à la consonance proche. Avec ce dernier album, Jumelle de Florence Dupré la Tour, on est donc en terrain connu. Outre le titre qui claque à l’identique, la couverture nous rappelle immédiatement celles de Pucelle, le précédent diptyque. On devine que l’autrice poursuit son travail autobiographique avec sa quête de l’intime. De l’enfance d’expatriés en argentine à la maison champenoise de Nagot. Après avoir exploré sa découverte de la sexualité, elle recherche cette fois-ci la dimension qui « la définit le plus et en même temps l’empêche de se définir » : la gémellité. Être unique tout en ayant un double. Tout au long de ces 176 pages ce paradoxe est décliné à la recherche d’une réponse impossible. On retrouve là tout le talent de l’autrice qui par des procédés, a priori simples, est capable d’exprimer la complexité de la vie surtout quand elle touche à l’intime.

Jumelle

Son dessin très coloré, désormais identifiable, qui allie l’innocence de l’enfance à la violence des sentiments et des colères, est une clé de voûte parfaite de cette quête. Comment mieux exprimer l’unicité qui attache Florence et sa sœur Bénédicte qu’en les plaçant sous une bulle symbolique ? Une rouge et une bleue, mais un corps unique qui dit « on » à la place de « je », que l’on appelle indissolublement Florence et Bénédicte et où la pensée commence par « nous ». Jumelle sans S dit le titre car il s’agit bien de la vision personnelle et unique de Florence qui nous est contée, de la cohabitation dans le liquide amniotique jusqu’à l’âge de onze ans et la découverte des premiers émois physiques.

Jumelle

Comme dans Pucelle, l’autrice réussit à retrouver les sentiments originaux, bien entendu à les interpréter mais encore plus sûrement à les comprendre à l’aune de sa pensée d’adulte. Tripp confiait qu’il était possible en se concentrant, en se replongeant dans le passé, de ressentir des décennies plus tard les sentiments d’origine, même ceux de la plus petite enfance, de la manière la plus intense possible. Florence Dupré la Tour confirme cette affirmation. Elle n’a rien oublié des détails qui font la vie mais aussi les moments de bascule anodins sur l’instant mais marqueurs profonds des bouleversements de l’existence.

Jumelle

La gémellité est ainsi mise à l’épreuve au cours d’une partie de billes, ou de l’escalade d’un mur pour ouvrir une porte, qui vont créer des brèches dans le sentiment d’unicité et de fusion que sont les deux sœurs jumelles. Force à la naissance et au cours des premiers mois, quand les fœtus puis les corps se protègent mutuellement, la gémellité devient de plus en plus souvent une source de questionnement à l’heure de la construction, de l’apprentissage, de la prise de conscience personnelle. Le « Je » s’invite alors et les premiers émois physiques accentuent le trouble surtout lorsque Florence ne peut s’imaginer qu’en garçon. Fille elle doit alors de contenter de n’être qu’un « non garçon », une peur presque aussi forte que celle de devenir un « Toutseul », ces êtres étranges capables de vivre sans un double.

Jumelle

Jumelle est aussi une chronique de l’enfance ordinaire. Jamais l’autrice ne néglige la violence inhérente à cette période de la vie où les filtres n’existent pas et où les sentiments s’expriment de manière abrupte. Le père qui ignore les jumelles à leur naissance, la mère concurrente à son insu, ces parents devenus rivaux, les enfants de l’école perçus comme étrangers et étranges, autant de souvenirs qui font également de cet album un album de souvenirs de nos propres vies.

Jumelle 1, a comme sous-titre « Inséparables ». La dernière phrase de l’album le complète en posant la question : « Mais pour encore combien de temps ? ». Le second tome à paraître nous le dira bien qu’on le pressente, Florence va s’émanciper et Jumelle perdra définitivement son pluriel.

 Jumelle de Florence Dupré la Tour. Tome 1: Inséparables. Éditions Dargaud. 176 pages. 20,50€.

Pour plus d’infos et lire un extrait de la BD

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