À la lisière des vagues, paru aux éditions Avallon, est le dernier roman de l’écrivaine Béatrice Hammer. L’auteure nous embarque dans l’histoire de Mona qui, après que son conjoint a mis fin à 30 ans de vie commune, se trouve devoir reprendre en main le gouvernail de sa vie. Or, comment arriver à bon port quand le phare qui a toujours guidé votre vie n’aiguille plus votre route ?

A la lisière des vagues Béatrice Hammer

L’actualité nous accable des grandes catastrophes et des pires tragédies qui, malheureusement, peuplent notre quotidien. Mais qu’en est-il des petits drames de chaque jour qui, pour qui les vit, sont des catastrophes, voire des tragédies ? Béatrice Hammer, qui n’oublie pas qu’elle est sociologue, au fil d’une œuvre multiple – une quinzaine d’ouvrages, dont La Princesse japonaise, prix Goya 1995 – aime à se pencher sur l’intimité des êtres, mais loin de l’autofiction tellement en faveur aujourd’hui, elle choisit tel personnage – féminin, de préférence – et filme avec une rare précision langagière son histoire, son destin, son espoir. Car elle s’attache toujours à la bonne solution de toute vie problématique, à sa résolution. Nous rendions compte ici-même de son précédent roman (La Petite chèvre de Béatrice Hammer face au champ littéraire, Unidivers, 15 février 2022), et voilà qu’elle nous revient avec un beau récit attaché au drame de l’épouse quinquagénaire qu’après trois décennies de vie commune et « heureuse » l’époux abandonne, après que ses enfants, devenus grands, ont déserté le nid familial, et la voilà seule… « seule avec son échec ».

Mona est cette femme abandonnée de tous, de la plus inélégante des façons, dès lors qu’à son réveil elle découvre une lettre que lui a laissée l’homme dont elle partage la vie depuis plus de 30 ans où il lui annonce, laconiquement, qu’il part.

« Que faire quand tout s’effondre brusquement ? Privée de son futur, submergée par le sentiment d’avoir échoué, Mona fait un pas de côté : elle s’échappe à son tour. Son errance la mène entre la terre et l’eau : à la lisière des vagues. » Ainsi nous en avertit la quatrième de couverture. Mais l’autrice entend ouvrir une porte de sortie : « Et si la liberté était au rendez-vous ? » en nous laissant les cartes en main. S’agit-il du fameux démon de midi qui conduit tant d’hommes à cet âge frontière de la satanée cinquantaine à aller voir ailleurs si quelque jeunesse peut les ravir à leur angoisse virile ? Ce ne sera pas le cas dans ce récit qui met l’accent sur la monotonie du quotidien et ces clichés qui mettent les nerfs à bout : l’homme à son travail, la femme à la cuisine et aux enfants qu’il a fallu torcher. Sur cette trame, l’autrice interroge cette femme devenue seule et qui, entre deux maux (le suicide n’étant pas exclu), choisit le moindre, c’est-à-dire la fuite en avant avec assez de force pour faire encore quelque chose de ses jours:

« Mona sort dans la rue. Dehors il y a le ciel. Dehors il y a le monde. Dehors, elle est hors de sa vie. »

Le roman se développe alors comme un road movie, une errance qui, comme l’on sait, est à la base du genre appelé roman, depuis que Don Quichotte, apôtre de la liberté, est parti un beau matin sur les chemins de la Manche, hors de son existence de « chevalier à la triste figure » pour affronter le monde et en découvrir, à défaut des monts et merveilles, les travers, les injustices et les misères des hommes… et des femmes. Béatrice Hammer installe sa Mona dans un train, le chemin (de fer) de la liberté, et pour la première fois de sa vie, elle qui s’effaçait toujours derrière son mari et ses deux garçons, elle a pour elle seule le coin fenêtre. Alors elle appuie la tête, la joue, contre la vitre fraiche et son regard parcourt la campagne avec émerveillement. Et voilà qu’elle vit, qu’elle revit, qu’elle naît à une nouvelle existence. Jusqu’à cette plage où la mènent les rails, et c’est pour elle que Baudelaire a écrit – ou plutôt pas écrit  –: Homme libre, toujours tu chériras la mer ! Entre homme libre et femme libre la différence est grande, séparant la liberté de la licence. Mais la romancière est là pour tordre le cou aux clichés et préjugés, encore si tenaces.

La Bretagne l’a toujours su : la mer est espace de liberté, soit qu’on la parcoure, soit qu’on la contemple et Chateaubriand, sur son rocher de Saint-Malo, est, pour l’éternité, ce rêveur de grand large en son for intérieur. La protagoniste de ce récit, dont la vie a basculé dans le vide un beau matin, choisit alors de se hisser à la lisière des vagues, comme l’indique son beau titre. « La mer est grise, avec des reflets jaunes. Mona repousse les pensées tristes. La mer est grise, la regarder l’apaise La marée monte encore, les vagues respirent, leur ronflement la berce… Les vagues font le bruit habituel, sous ses pieds le sable s’enfonce. Tout est en place. »

A la lisière des vagues Béatrice Hammer

Et voilà qu’elle a faim, son estomac le réclame, et voilà qu’elle est curieuse du monde et des gens, et elle rencontre une jeune femme rousse en qui elle reconnaît – rêve avorté – la fille qu’elle n’a pas eue. Son cœur se soulève et s’épanche. Ce séjour à la mer (la Manche ?) lave ses angoisses, la libère, et dès lors elle peut rentrer chez elle, en même temps qu’en elle.

Elle retrouve ses repères, l’équilibre lui est acquis en même temps que la force d’âme, qu’on appelle aussi force de caractère. La fin, pour surprenante qu’elle soit – au lecteur de la découvrir ! – confirme que cette brasse au large des côtes et de la vie routinière, conformiste, asservie qui fut la sienne, l’a définitivement libérée des liens anciens. Désormais le futur est là et la terre est bleue comme une orange, dit le poète. « Dans l’instant, elle ne veut pas penser. Elle ne pense plus. Peu importe la vie, peu importe l’échec. Peu importe le ciel… Une pensée germe en elle, et elle ouvre les bras. »

Et la vie, comme on dit, reprend ses droits. Avec une immense simplicité, cette acceptation des choses : « Le pain est croustillant, le café bien fumant. Pas de raison de s’en priver ». Béatrice Hammer, à travers sa Mona, en fait une règle de vie. Et comme le voulait Mallarmé, l’autrice, conjurant les maux d’une maumariée quelconque, aide ici « l’hydre à vider son brouillard ».

Un jour, Béatrice Hammer nous a confié : « J’écris les romans que j’ai envie de lire, et que je n’ai pas trouvés chez mon libraire ! » On ne peut mieux dire de ce roman, au ton si vrai, si joliment authentique, au thème original alors même qu’il court les rues en ne soulevant jusqu’ici qu’une parfaite indifférence. À la lisière des vagues, drapé de si belle langue, est criant de vérité.

À la lisière des vagues de Bâtrice Hammer, éditions d’Avallon, 2023, 152 p., 16,50 €

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Albert Bensoussan
Albert Bensoussan est écrivain, traducteur et docteur ès lettres. Il a réalisé sa carrière universitaire à Rennes 2.

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