Chacun connaît les zoos – lieu de divertissement pour certains, prison des animaux pour d’autres. Mais saviez-vous qu’il fut un temps où ce n’était pas seulement des animaux que l’on montrait dans les zoos, mais bien des êtres humains ? Des zoos humains. Amenés en Europe à l’occasion des grandes expositions universelles, les habitants des colonies françaises et européennes du début du XXe siècle étaient ensuite exposés dans des spectacles qui tournaient de ville en ville. En mai 1929, après Nantes, Angers et bien d’autres villes, Rennes accueillait un Village nègre.

ZOO HUMAIN

Les « villages noirs » ou « villages nègres » traduisaient dans la société française un voyeurisme, une fascination pour l’exotisme et une hiérarchisation des supposées races humaines. Ces pratiques d’exhibition spectaculaire publique se sont développées au début du XXe siècle. La période était marquée par l’idée qu’il existait des races humaines et qu’elles méritaient d’être étudiées. Dans ce cadre, les groupes humains étaient analysés par les anthropologues à travers un supposé prisme de « races biologiques » qui débouchaient sur une hiérarchisation ; l’exposé de leurs travaux in situ avec ces êtres humains servait d’exemples. Les théories de l’inégalité des « races » dans le courant du XIXe siècle étaient alors au service de l’expansion coloniale occidentale.

ZOO HUMAIN

Les peuples présents dans ces zoos étaient principalement issus de toutes les colonies d’Afrique et d’Asie. Toute population considérée comme sauvage ou exotique était observée, exposée, mise en scène ; peu de gens y trouvaient à redire, car l’esprit du temps et de la science avait installé cette perception comme normale. Les populations colonisées furent mises en scène dans des reconstitutions de leurs villages natals (certes, avec plus ou moins d’exactitude), avec des costumes parfois inventés (certaines femmes étaient dévêtues ; ce qui ajoutait à l’excitation) et présentés aux côtés d’animaux.

OTA BENGA

Rançon du succès, ces villages nègres devinrent vite des spectacles de masse ; vertus divertissantes pour les populations blanches qui miraient leur propre civilité à travers l’observation du « sauvage ». Le sentiment communautaire se trouvait renforcé par la création d’une opposition : « nous »-« eux » ; eux : les « barbares » proches des animaux. Effet politique : renforcer la convocation de la nécessité des Empires coloniaux dans leur dimension de « mission civilisatrice ». Éduquer les populations indigènes : le fardeau de l’homme blanc…

ZOO HUMAIN

En Bretagne, ce fut à Nantes que furent recensés le plus de spectacles nègres. Sans doute en raison du caractère central de la ville de Nantes dans la traite négrière. (Deux grandes expositions universelles y eurent lieu en 1904 et 1924.)

rennes zoo nègre
30 avril 1929, article de Ouest-Éclair

La ville de Rennes a à son tour accueilli un village nègre en 1929 place Hoche. Comme on peut le lire dans l’article publié sur l’Ouest-Eclair (ancêtre de Ouest-France), les Rennais se rendirent en masse sur la place Hoche au « village nègre ». L’article trahit une condescendance et un racisme à l’égard des personnes exposées dans ces zoos qui entre en résonance avec la mentalité française de l’époque. Cela plaît au public qui se rend en masse sur la place Hoche : près de 2300 Rennais le 3 mai 1924.

Des visites scolaires sont organisées. Elles contribuent à ancrer chez les personnes, dès leur plus jeune âge, une nécessité et une légitimité de la colonisation. En présentant à des enfants ces « sauvages », quasi animaux, dépourvus de civilisation et d’éducation, on renforçait l’idée que les étudier scientifiquement, les enfermer et les coloniser allait de pair.

Pour comprendre pourquoi ces villages nègres et pratiques déshumanisantes ne suscitaient pas de rejet, il faut souligner l’importance de l’éducation et des médias dans la propagande colonialiste de l’époque. Comme on l’observe dans les articles publiés dans Ouest-Éclair, la presse tendait à valoriser ces expositions humaines. De même, on pouvait retrouver dans les manuels scolaires un discours racialiste scientifisé qui légitimait en contrepoint les « zoos humains ». L’État avait intérêt à prolonger cette perception afin de conforter la légitimité de la colonisation.

Village nègre

Pourtant, c’est dès 1919 à la Conférence de Paris que le Japon tenta – sans succès – de faire inscrire le principe de l’égalité des races durant les travaux de la commission chargée de rédiger la Charte de la future Société des Nations (SDN). Il faut attendre la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 pour que soit enfin entériné le principe de l’égalité de « tous les êtres humains ».

Pour autant, cet esprit négrier perdurera dans la culture collective. Alors même que l’inanité de ces zoos humains était largement dénoncée dès l’après Seconde guerre mondiale, des restes de valeurs colonialistes ainsi et l’idée de supériorité raciale persistaient.

village bamboula nantes

C’est ainsi qu’en 1994 a pu s’ouvrir un « village africain » à Port-Saint-Père, près de Nantes. Les personnes africaines qui y résidaient étaient rémunérées contre l’obligation,  « en fonction des conditions météorologiques », qu’elles s’exhibent nues aux yeux des visiteurs. C’est la société de biscuit Saint-Michel qui était à l’initiative de ce projet inattendu. Objectif ? La marque avait lancé en 1988 un nouveau gâteau étonnamment intitulé le « Bamboula » et avait entrepris de le promouvoir à l’aide de ce « parc d’attractions ». Censé être une reproduction d’un village de Côte d’Ivoire, ce zoo humain fut baptisé « Village Bamboula »…
Si la marque Saint-Michel n’a vu aucun mal dans son projet, ce zoo humain provoqua des réactions très vives qui conduisirent à la fermeture du village au profit d’un zoo animalier. C’est bien l’opinion publique et la mauvaise publicité infligée à la marque qui influença la fermeture du village et non une mesure légale. La question de la légalité d’un tel lieu fut posée au Sénat à l’époque qui ne donna pas suite.

En 2014, à Paris, le sujet du zoo humain connut un regain d’existence avec la performance « Exhibit B », œuvre du Sud-Africain Brett Bailey. Elle mettait en scène des « tableaux vivants » d’hommes et de femmes noirs, immobiles, dans ce qui rappelle les « zoos humains » de l’époque. L’exposition suscita de vives critiques tandis que l’artiste argua que son oeuvre constituait précisément une dénonciation du racisme. Reste que l’exposition censée dénoncer ces pratiques semblait les reproduire.

Les archives sont disponibles sur le site de la Bibliothèque Nationale française.

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Maureen Wilson
Maureen Wilson est étudiante en 4e année à Sc. Po. Elle réalise son stage de web-journalisme à Unidivers.

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