Avec le spectacle W.i.t.c.h.e.s Constellation, la chorégraphe et danseuse Latifa Laâbissi présente Ecran Sombambule et Witch Noises, tirés de sa collection de sorcières. C’est à la Cité de la danse de Rennes, le Triangle, les vendredi 30 à 20h et samedi 31 mars à 19h30. Entretien.

witches constellation latifa laabissi le triangle

Après des études au Conservatoire classique, Latifa Laâbissi a étudié au Studio Cunningham à New-York où elle a appris les rouages de la danse abstraite américaine. Danse conceptuelle où le visage et le récit sont mis de côté dans une volonté esthétique.

Intéressée autant par les pratiques urbaines que par les danses d’expressions, la chorégraphe redéfinit les formats et bousculent les codes – en bonne voie vers l’académisme ? – de la danse contemporaine. Sa pratique mêle les genres et se développe dans un décor anthropologique où se dessinent des histoires, des figures et des voix. La voix et le visage deviennent alors des outils indissociables de l’acte dansé et le corps le support privilégié de toutes métamorphoses.

Depuis un an maintenant, Latifa Laâbissi a posé ses valises au Triangle, la Cité de la danse, pour une résidence d’artistes associés qui court sur trois ans, de 2017 à 2019. «C’est une maison vraiment très riche dans la diversité de ce qu’elle met en place. Tout n’est pas programmé pour trois ans, des projets s’inventent au fil des rencontres. – Explique la chorégraphe – La maison a l’intelligence de savoir créer des choses sur le long terme mais elle sait être réactive également face à des choses plus impromptues».

Avec le spectacle W.i.t.c.h.e.s Constellation, elle revisite la pièce majeure de l’expressionnisme allemand, La danse de la sorcière de Mary Wigman (1926).

Unidivers : Dans Écran Somnambule, vous reprenez Hexentanz de Mary Wigman (1926). C’était une danse extrêmement contemporaine pour l’époque. Comment vous l’êtes vous appropriée dans le contexte de la danse contemporaine d’aujourd’hui ? Répond t-elle toujours aux mêmes problématiques ?

Latifa Laâbissi : Elle a toujours son potentiel subversif pour moi. En ça, je trouve que cette danse est un peu hors temps. La danse es très transformée vu que le temps est étranglé, on passe de 1’30 à 32′, ce qui est extrême comme extension. C’est Hexentanz sans l’être. C’est exactement la même partition mais dans une temporalité qui fait voir la danse à la loupe et redessine en même temps un autre récit. C’est ce choc temporel qui m’intéressait. Cette figure a été un ovni total pour l’époque. Que ce soit dans les arts visuels ou le cinéma, de jeunes personnes connaissent Mary Wigman et veulent en savoir plus sur cette danse. Qui est Mary Wigman ? Qu’est-ce que cette danse ? Il y a une puissance à l’œuvre toujours aussi présente.

Je l’ai fait dans des contextes bien différents, avec des enfants, au Freud Museum à Londres et en Allemagne dans un milieu plus queer. J’aime ces différentes couches, ces différentes histoires. Ce n’est pas le même public et à chaque fois, c’est une tout autre perspective. Cette figure est polysémique et c’est ce qui est passionnant. C’est la visée de la sorcière comme subversive, très politique et féministe. A partir de cette danse, ça m’a intéressé de construire une sorte de collection de sorcières.

Unidivers : Le deuxième spectacle Witch Noises est en effet une reprise de La danse de la sorcière mais cette fois transmise par Mary Anne Santos Newhall.

Latifa Laâbissi : On a qu’une archive de 1’30 d’Hexentanz mais Mary Newhall a appris la danse de Mary Wigman en entier. Elle était l’élève d’une danseuse de Wigman, Hanya Holm. C’est une sorte d’enquête presque archéologique, elle a appris le solo par elle mais ça fait des années. C’est transmis par un tiers, qui le transmet à nouveau et ainsi de suite. Je ne fétichise pas mon rapport à cette danse mais le fait qu’à plusieurs générations, des femmes l’ont apprises et en ont fait quelque chose m’intéresse. Je m’intéresse beaucoup à des danses japonaises, pas dans la tradition, plus via Hijikata Tatsumi, un danseur de buto. Il ne parle pas vraiment de danse de sorcières mais de demons ce qui est un peu semblable. Il était très connecté avec la danse de Mary Wigman, des liens se forment.

U. : Vous avez déjà fait référence à Mary Wigman dans Phasmes (2001), comment en êtes-vous venus à travailler sur la danse de la sorcière ?

L. L. : Je viens d’une toute autre école, j’ai étudié dans un conservatoire classique et ensuite au studio Cunningham aux États-Unis. Tout en étant formée là, j’ai toujours été intéressé par les danses dites d’expressions, que ce soit du côté du Japon ou de l’Allemagne. J’aime ces danses qui ne renoncent pas au récit. J’ai vu pour la première fois la danse de la sorcière au Conservatoire. C’était à côté de tout ce que j’avais fait. Mary Wigman est une icône dans l’histoire de la danse donc je ne m’autorisais pas à apprendre la danse même si j’en avais très envie.

Le quatuor Albrecht Knust, compagnie d’artistes contemporains, s’est intéressé à pleins d’œuvres du répertoire de la danse allemande, américaine et autres. Ils faisaient un travail extrêmement scrupuleux sur les partitions. Ça m’a donné une forme de légitimité. L’art n’est pas un deus ex machina, il y a des inspirations, des couches d’histoires et c’est justement intéressant de reformuler les choses. Je trouve ça passionnant de jouer avec le passé et le présent, de créer un choc temporel.

adieu et merci latifa laabissi l
Adieu et Merci, 2013

Ecran Sombambule est une commande de Boris Charmatz qui lui même travaillait à partir de Hijitaka Tatsumi. Dans un de ses textes La danseuse malade, Hijikata dit que la chose qui le met au travail dans la danse c’est d’étrangler le temps à l’extrême. Boris Charmatz a proposé à trois chorégraphes de ralentir une pièce qui existait dans son répertoire. Il y avait déjà ce rapport au temps dans mon répertoire, dans Self Portrait Camouflage ou dans Adieu et Merci. En discutant avec Boris, un peu pour rire, je lui ai dit que l’extrême serait de ralentir la pièce la plus courte que je danse, Hexentanz. C’était un vrai défi. Pour m’aider, j’ai donné la musique à un ingénieur du son en lui demandant d’étirer le temps avec les machines électroniques. Il m’a donné trois versions : 10′, 17′ et 32′. Dans la dernière version, on reconnaissait la musique mais c’était aussi la plus étrange c’est donc celle que j’ai choisi. Apprendre la même chorégraphie et l’étirer sans rien rajouter était très compliqué à certains moments mais ça m’a réellement passionné. Ce n’est pas seulement se dire qu’on ralentit le temps, c’est une reconfiguration de l’imaginaire.

U. : L’imaginaire semble une part importante dans W.I.T.C.H.E.S Constellation, quels ont justement été les choix scénographiques ?

L. L. : Nous étions d’accord avec Nadia Lauro, avec qui je travaille depuis longtemps, que la scénographie n’était pas nécessaire pour ce spectacle. Je lui ai commandé le costume d’Écran Somnambule. Le costume et le masque sont très particuliers, c’est un travail extrêmement précis et il n’y a besoin de rien d’autre. Dans la deuxième pièce, il y a le travail live du musicien Cookie. Sa place est vraiment scénarisée, scénographiée même.

On a décidé de faire le spectacle dans la grande salle du Triangle qui est un peu impressionnante. Elle est très bien faite, il y a un rapport de regard scène-salle qui est absolument génial. Yves Godin se charge du travail lumière, c’est vraiment de la dentelle. C’est une des rares personnes qui essaie d’enregistrer le moins possible et de faire à la main au moment du spectacle. Il a sa console et fait du sur mesure même si parfois il est obligé d’écrire parce qu’il doit transmettre la régie lumière à une autre personne. Pour lui, ce n’est pas un lieu parmi d’autres, la lumière est adaptée à la salle du Triangle. C’est toujours le cas mais je tiens à insister parce que c’est quelqu’un qui a une attention et une finesse particulière.

La lumière rajoutera la dimension scénographique, un climat, une épaisseur. On a parfois l’impression qu’elle lévite. C’est sur la lumière que tout va se jouer, la possibilité de plonger dans un imaginaire. Pour ce spectacle, on a vraiment besoin d’un imaginaire autour de cette figure qui puisse se décrocher du théâtre.

U. : Une dernière, vous êtes candidate pour la direction du Centre National Chorégraphique – Musée de la danse. Comment envisagez-vous cette opportunité ?

L. L. : Le Musée de la danse est le projet de Boris Charmatz donc il part avec. Je suis en effet candidate avec Fanny de Chaillé pour le direction du Centre National Chorégraphique. Le fait que dans l’appel à projets il y ait la possibilité de postuler à plusieurs était pour moi très important. Selon moi, ces lieux réclament une forme d’alliance avec d’autres. C’est vraiment l’idée de collaborer avec un autre artiste qui me plaisait. La résidence au Triangle a aussi joué parce qu’il y a son propre travail, la façon dont il est visible en France et à l’étranger, c’est important mais ça ne doit pas être au détriment d’un projet pour sa région. On le disait tout à l’heure, une œuvre existe dans un contexte bien précis. Ce lieu est dans un contexte bien précis, dans une région avec une communauté d’artistes bien présente. C’était passionnant d’écrire le projet en considérant ces deux aspects là, l’aspect national et international avec nos travaux mais aussi de considérer le projet au niveau de la région.

Il y a aussi le fait que Fanny ne soit pas de Bretagne alors que moi si. Elle a une vision extérieure, la mienne est plus implantée. C’est un peu le moment aussi parce qu’on est en bonne santé artistique, on a actuellement une visibilité internationale. C’est important dans le sens où on ne va pas dans un lieu pour s’abriter. C’est très important pour moi de ne pas attendre qu’un lieu soit la solution à tout.

C’est aussi très stimulant de passer après un très bon projet. Le projet du Musée de la danse est exceptionnel à pleins de niveaux. Certains disent que c’est inhibant mais je trouve qu’au contraire c’est ultra stimulant. C’est un bâton de relais, ça donne envie de se surpasser. Se dire le projet était génial mais qu’il faut peut être renforcer ça ou ça. Ca donne la force de réfléchir après un bon projet qui a donné un renommée et un aura internationale au lieu.

TARIFS

16€ plein
12€ réduit
6€ -12 ans
4€ / 2€ SORTIR !
PASS Triangle :
12€ plein
9€ réduit
7€ -30 ans
5€ -12 ans

Entretien avec LATIFA LAABISSI, Self portrait camouflage

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