Qui se cache derrière Vivian Maier, cette photographe franco-américaine majeure découverte en 2009 après sa mort ? Dans une riche biographie, Ann Marks trace un portrait subtil et précis d’une énigme artistique.  

vivian maier photo
Vivian Maier, Highland Park, années 1950 © The Estate of Vivian Maier, courtesy Collection John Maloof

C’est l’ouvrage qui manquait. C’est le chainon manquant d’une histoire débutée en 2007 lorsque un jeune agent immobilier, John Maloof, achète à Chicago, au cours d’une vente aux enchères, des cartons emplis de photographies, de films non développés, de négatifs. Peu à peu il perçoit la qualité potentielle des photos achetées, il acquiert d’autres lots à d’autres enchérisseurs. En 2009, il découvre, par un avis de décès, l’identité de la photographe : Vivian Maier.

vivian maier
Photographe inconnu, Vivian Maier dans les Hautes-Alpes, 1950 ©The Estate of Vivian Maier

La suite on la connait : photos sur Internet, engouement mondial, premières expos, premières monographies, un livre romancé remarquable de Gaelle Josse Une femme en contre jour, un documentaire de Maloof À la recherche de Vivian Maier, et actuellement une exposition au Musée du Luxembourg (jusqu’au 16 janvier 2022). Cette chronologie incroyable ne dit pas pour autant la femme qui se tient derrière l’objectif, un mystère que les enquêtes journalistiques, les polémiques ne résolvent pas : Française et Américaine, visible et recluse, bienveillante et froide, les adjectifs antinomiques pour qualifier la photographe sont innombrables. Ann Marks, ancienne cadre de grandes entreprises, décide alors de combler les lacunes d’une biographie originelle syncopée et de tenter d’approcher la psychologie de la femme aux dizaines d’autoportraits. 

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Des recherches généalogiques vont lui permettre de reconstituer l’enfance désagrégée entre une mère irresponsable et un père absent, violent et manipulateur. Son frère Carl, que Vivian ne verra presque jamais, donne en creux de nombreuses indications sur la vie de sa soeur ou du moins ses difficultés à vivre. L’autrice va rechercher et contacter de nombreuses personnes l‘ayant côtoyé du Champsaur en France, en passant par Chicago et surtout New-York la ville où elle réalisa, dans les années 50, probablement ses plus beaux clichés de rue sachant capter les différences sociales, la ségrégation raciale en utilisant l’humour, la causticité, la beauté formelle.

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On comprend à la lecture que lors de ses premières prises de vue l’ambition photographique professionnelle est réelle, mais sans aucune relation, d’un abord difficile, il ne lui est pas aisé de se se faire un nom. Grâce au talent d’Ann Marks, l’image de Vivian Maier apparait peu à peu sous le révélateur photographique, une image dévoilée et marquée à jamais par l’absence d’affection, d’amour notamment.

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L’ambition photographique professionnelle déçue est remplacée peu peu par une maladie mentale, celle du syndrome d’accumulation, pour la première fois vraiment prise en compte, qui la verra entasser les bobines de films non développés et des tonnes de journaux, les clichés virtuels, ne devenant plus qu’une « collection »  comme les autres, envahissant ses pièces de vie ou ses multiples garde-meubles.

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La nounou, garde d’enfants pendant des décennies, véritable chroniqueuse de la famille américaine de la classe moyenne, en perpétuel déménagement, va sombrer sous les journaux qu’elle photographie inlassablement comme une double possession. On la découvre féministe avant l’heure, attentive aux droits des Noirs, socialement progressiste, étrangère aux bonnes manières, distante et même effrayée par les hommes, mais aussi terriblement attachante, intelligente, brillante, capable contre toutes les conventions de partir seule pour un tour de monde initiatique.

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Les photos du livre, pour la plupart en miniatures, par leur impression chronologique balisent le parcours des états d’âme de la photographe dont les autoportraits et leur portée symbolique témoignent des dépressions, des périodes de bonheur.

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Vivian Maier, Chicago, 1975 © The Estate of Vivian Maier, courtesy Collection John Maloof

Bien entendu, l’exploitation des photos de Vivian Maier n’a pas fini de créer polémiques et critiques. Le principal reproche est de ne pouvoir classer, comme le veulent tous les spécialistes, son oeuvre dans la hiérarchie des photographes du XXe siècle: pas de sélection, pas de recadrage, aucune indication de tirage. A contrario, les grands noms de la photographie comme Cartier Bresson et encore plus Willy Ronis, ont donné une importance extrême à ces trois balises d’un oeuvre, établissant même pour ce dernier, un véritable mode d’emploi de ses photos soigneusement sélectionnées de toute une vie.

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Vivian Maier, Chicago, 1977 © The Estate of Vivian Maier, courtesy Collection John Maloof

En l’absence de consignes, les photographies de l’artiste franco-américaine, ne peuvent donc être vues qu’à travers les choix des découvreurs, puis des éditeurs, des conservateurs, des commissaires d’expos, donnant lieu à de nombreuses controverses comme l’exposition parisienne actuelle.

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Toute exposition ou édition sera obligatoirement critiquée et sans réponse objective possible. Alors l’amateur se moquera de cette classification et préfèrera admirer cette femme de dos à la robe blanche dans la nuit de Miami. Évanescente, elle se dirige comme une étoile vers la profondeur de la nuit. Mystérieuse et lumineuse comme l’œuvre de Vivian Maier. Une grand oeuvre inclassable mais que l’on comprend mieux quand on découvre son existence. 

Ann Marks
Ann Marks

Vivian Maier révélée, une enquête sur une femme libre d’Ann Marks. Editions Delpire & Co. novembre 2021. 366 pages. 29€.

SOMMAIRE DÉTAILLÉ DU LIVRE

Introduction

– Les origines familiales
– L’enfance (1926-1938)
– Une adolescence new-yorkaise (1939-1949)
– Premières photographies françaises (1950-1951)
– Premières photographies de New York (1951-1952) – Ambitions professionnelles
– Vivian Maier street photographer
– 1954, une année prolifique
– En route pour la Californie
– Chicago et les Gensburg
– Autour du monde (1959)
– Les années 1960
– Un nouveau départ
– Le poids de l’enfance
– Un second souffle
– La disparition d’une famille
– Les dernières années (1980-2009)
– La découverte du fonds Vivian Maier (2007)

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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