Dans Trois saisons d’orage de Cécile Coulon, un médecin de ville s’installe à la campagne. Sujet banal que l’auteure transforme en véritable tragédie antique où la nature et ses orages dominent l’homme et son histoire. Quand la chronique d’un lieu se transforme en théâtre universel…

 

CECILE COULONIl y a du Giono chez Cécile Coulon. Certes, l’auteure de vingt-sept ans n’a pas encore écrit l’œuvre monumentale de l’écrivain de Manosque, même si elle a connu déjà un certain succès avec Le Roi n’a pas sommeil. Il y a du Giono de ses débuts : celui de Colline, de Un de Baumugnes, de Regain. Ainsi commence Colline : « Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts. C’est entre les collines, là où la chair de la terre plie en bourrelets gras ». Trois saisons d’orage débute par ces mots : « La maison, ou ce qu’il en reste, surplombe la vallée ; ses fenêtres, quatre grands yeux vides, veillent à l’est du massif des Trois-Gueules ». Chez les deux écrivains domine l’expression de l’espace naturel universel qui se meut en espace imaginaire confrontant l’Homme à ses origines. Cet espace qui fonde le roman et anime la vie de ses personnages, Cécile Coulon l’évoque donc dès les premières lignes : ce sera le Massif des Trois-Gueules et le village qui l’accompagne, « Les Fontaines ».

CÉCILE COULON
Cécile Coulon

On naît ici ou on n’est pas. Naître ici, c’est avoir connu les champs à perte de vue où l’on tombe au sol entouré de ses vaches, où l’on est devenu « fourmi blanche » dans les nouvelles carrières créées par les frères Charrier, entrepreneurs de la moitié du XXe siècle, nouveaux venus dans un monde rural et pourvoyeur de travail, d’éducation, de logements. Être des Fontaines, c’est aussi repousser au loin la ville, cet être tentaculaire où l’on ne se rend jamais, mais qui effraie. Être des Fontaines c‘est encore participer à la nature, dans sa dimension épique, celle qui donne « l’herbe, la pierre, l’eau, les arbres », qui génèrent surtout ces « forces » omniprésentes qui régissent la vie des hommes : « elles n’avaient pas de nom, pas de forme, elles étaient le vent qui soufflait à travers les arbres, l’orage qui démontait les toits des maisons, les torrents énervés au pied des carrières, elles étaient le froid qui tombait brutalement à la fin deux mois d’octobre, les cailloux qui s’enfonçaient dans les pieds nus des adolescents. Les forces étaient partout ».

CECILE COULONAussi quand un jour surgit André, jeune médecin fuyant la ville pour oublier ses fantômes de guerre, une forme de révolution débute dans le village. Son arrivée symbolise un peu de la présence de la ville, crainte et repoussée, à la campagne. À son tour, son fils Bénédict, époux d’Agnès, poursuit le sillon de son père et reprend le cabinet avant que leur fille Bérangère ne tombe amoureuse de Valère, fils d’un paysan local. Trois générations comme autant de marches pour que des « étrangers » puissent enfin devenir des « gens d’ici », statut auquel le prêtre Clément, guetteur et conteur des évènements, ne parviendra jamais : « Je connais les Fontaines comme si j’y étais né. Je connais leur histoire, leurs blessures, leurs carrières de pierre. Je connais chacun de leurs habitants, chaque ancêtre de leurs habitants. Mais je suis un étranger ».

Cette arrivée du premier médecin à la « Cabane » maison adoptive, véritable personnage, jusqu’à son acceptation par les habitants du hameau, Cécile Coulon l’accompagne de son style poétique et de procédés narratifs efficaces : le lecteur passe insensiblement d’un roman bucolique et sage, lent comme le lever du soleil, où les sentiments amoureux sont contenus, à un roman à suspense et dramatique bouleversé par la passion amoureuse, violent comme les vents furieux de l’automne. Semblable à une tragédie antique, un amour impossible et interdit va transformer l’ordonnancement millénaire d’un lieu et de la vie de ses habitants. Malgré la présence de ces trois figures symboliques que sont dans la France rurale de cette moitié du XXe siècle, le curé, le maire, le médecin, nous sommes loin de la littérature de terroir et de ses clichés. L’activation des « forces », la présence humaine de la nature vont donner un souffle épique, qui comme l’orage final, transporte le lecteur d’un paradis originel à une forme d’enfer.

Quand on referme l’ouvrage, lu d’une seule traite, on ne peut s’empêcher de penser aux cartes géographiques électorales de l’après-second tour des présidentielles et de leurs commentaires : opposition ville-campagne, mobilité sociale, peur de « l’étranger », sentiment d’appartenance, rôle des femmes, industrialisation et son évolution, différences culturelles, autant de thèmes sous-jacents dans ce roman qui démontre son caractère universel. Un grand et beau livre où la poésie et la tragédie rejoignent l’actualité.

Cécile Coulon Trois saisons d’orage, éditions Viviane Hamy, 5 janvier 2017, 264 pages, 19€

Ce livre fait partie de la sélection du Prix du Livre Inter et de la dernière sélection du Prix de la Société des Gens de Lettres. Il était aussi retenu dans le dernier choix du Prix de La Closerie des Lilas remporté par Hadamar.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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