Il y a près de 12 ans, à Douarnenez, naissait un groupe au nom énigmatique : The Red Goes Black. Créé par quatre amis de jeunesse, la formation s’affirme aujourd’hui comme l’un des fers de lance de la sphère rock de Bretagne. Après 2 albums inspirés, dont le dernier Fire sorti en 2018, elle nous présente aujourd’hui son dernier né Keep It In Mind, dévoilé le 28 avril 2023 sur son label Les Gamins d’Ys.

The Red Goes Black, c’est le nom d’un quintette dont l’histoire prend sa source dans le Finistère, plus précisément à Douarnenez. Depuis plus de 30 ans, celle qu’on surnomme DZ City est effectivement un bastion à part du rock français et accueille de nombreux musiciens dans ses Locos, salles de répétition de sa MJC où plusieurs formations phares de la ville ont fait leurs armes. C’est là qu’au milieu des années 2000, répète un quatuor d’amis liés depuis l’adolescence : le bassiste Grégory Ralec (alias Joe Chatterton/Chatter) et le batteur Ludovic Féchant (aka Tsunam), qui officient au sein de Billy Bullock & The Broken Teeth, ainsi que le guitariste Pierre Hernio (alias Pete) de The Octopus et Damien Gadonna, chanteur et guitariste alors membre du groupe punk Taxi Brousse.

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The Red Goes Black en quatuor (De gauche à droite: Tsunam, Damien, Chatter,& Pete). Photo: Fred Beveziers.

Quelques années plus tard, en 2010, ils fondent tout d’abord Mojo Factory en compagnie du chanteur Nutz Blattmann et plusieurs autres musiciens, dont une section de cuivres. Un groupe dans lequel ils interprètent exclusivement des reprises tirées du répertoire blues et soul afro-américains. Au fil du temps, la formation subit plusieurs changements, dont le remplacement de Nutz par Damien au chant principal. Puis en juillet 2011, l’ensemble se disloque et le projet s’interrompt, laissant seuls Chatter, Pete, Damien et Tsunam. Au lieu de se décourager, ces derniers le prennent comme un nouveau départ et décident d’écrire leurs propres compositions. C’est sur cette base qu’un mois plus tard, naît le projet The Red Goes Black. Un nom choisi en double hommage à la ville natale des quatre compères, surnommée la « ville rouge », ainsi qu’à leur inspiration commune dans le répertoire des musiques populaires afro-américaines.

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The Red Goes Black en quatuor (De gauche à droite: Damien, Chatter, Pete & Tsunam). Photo: Fred Beveziers.

Ensemble, ils mettent sur pied une première salve de chansons originales, qu’ils interprètent tout d’abord dans les bars de Douarnenez et du reste de la Bretagne. Quatre d’entre elles sont enregistrées et forment leur premier EP éponyme, qui sort le 11 février 2013 chez French Wine Records. La même année, leur toute jeune carrière connaît un véritable tournant, lorsqu’ils sont sélectionnés pour le tremplin Jeunes Charrues en Pays de Cornouaille, qu’ils remportent peu après. Cette première distinction les expose rapidement à une plus grande médiatisation, attirant l’attention des programmateurs de festivals et de SMACs qui les intègrent à leurs évènements.

C’est alors qu’en octobre 2013, le groupe est invité par Miossec à jouer le mois suivant comme « backing band », pour une pléiade d’artistes venus fêter les 51 ans du Vauban, cabaret incontournable de Brest. A cette occasion, les quatre amis rencontrent Thomas Schaettel, claviériste havrais qui s’est illustré notamment aux côtés des Rennais de Santa Cruz. Ce dernier sympathise rapidement avec la formation, si bien qu’il est amené à en assurer les parties clavier lors des concerts suivants, avant de la rejoindre finalement en tant que membre permanent.

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The Red Goes Black (De gauche à droite: Tsunam, Damien, Thomas, Pete & Chatter). Photo: Fred Beveziers.

En janvier 2014, The Red Goes Black prend la route du studio du Millet à Beuzec Cap-Sizun, tenu par leur ingénieur du son Charlie Robial. Commence alors une longue période de résidence, pendant laquelle le désormais quintette enregistre son premier album I Quit You Dead City, dévoilé en janvier 2015 en autoproduction. Trois ans plus tard et en amont d’une nouvelle tournée, la formation remets le couvert avec un second opus intitulé Fire, distribué cette fois-ci via le label parisien Hold On Records. Réaffirmant leur ancrage rock et soul, il bénéficie également de la participation au chant de Lisa Kekaula des Bellrays et de Lady Wray, artiste phare du label Big Crown Records.

Après 3 autres années d’absence discographique et scénique, le groupe reprend le chemin des studios et planche sur 10 nouvelles chansons, écrites entre deux des trois confinements de 2020 et 2021. Elles composent leur nouvelle création Keep It In Mind, sortie le 28 avril dernier sur leur maison de disques Les gamins d’Ys.

Dès la première écoute, la musique de The Red Goes Black frappe et séduit par son esthétique captivante et composite. Riche des diverses influences de ses membres, elle offre depuis ses débuts une synthèse stylistique rafraîchissante, une démarche artistique qui évite la copie fidèle. Ce même esprit se retrouve ainsi sur cet opus, à travers lequel les quatre musiciens renouent un peu plus avec la version britannique du rock qu’ils affectionnent, celui des années 60 et 70. Le morceau-titre, par exemple, s’appuie sur une rythmique syncopée et un parcours harmonique rayonnant, ainsi qu’un sens mélodique digne d’un Paul McCartney ou de Ray Davies des Kinks.

Dans ce même mouvement, le groupe s’appuie aussi sur un héritage plus récent et jusque là presque absent de sa production artistique : celui de la britpop des années 90. On est donc agréablement surpris à l’écoute de « Lift Up Your Head », un titre dont les refrains énergiques sont portés en outre par ses accords plaqués de guitare électrique issus du garage rock et du punk. Y résonne également la voix de Damien Gadonna, tour à tour douce et passionnée, qui rappelle celle de Noel Gallagher avec Oasis et ses actuels High Flying Birds.

En parallèle à ces références « british », les influences outre-Atlantique de The Red Goes Black ne sont jamais bien loin. Sur ces morceaux planent toujours ses inspirations fondatrices, puisées principalement dans le blues rural et urbain, ainsi que les éléments de la soul et du gospel. En témoigne notamment le lyrisme vocal de Damien durant le morceau final « Pretty Remedy », dont les envolées dans l’aigu et les mélismes laissent transparaître l’influence vocale de Stevie Wonder. Pendant ce temps, la rythmique carrée à la batterie de Tsunam, la basse mouvante de Chatter et les interventions à la guitare de Pete se rapprochent du style instrumental de Booker T. & The MG’s du label Stax.

Par ailleurs, d’autres influences tirées de la musique populaire américaine se révèlent également sur cet album. C’est notamment le cas pendant le majestueux « When The Raindrops Fall », traversé d’un délicat picking de guitare folk et de couleurs harmoniques évoquant des groupes comme Crosby Stills Nash & Young. Dans un autre registre, on distingue également quelques charmantes colorations country via les suites d’accords de « My Everything », ou à travers la pedal steel de la chanson titre « Keep It In Mind».

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Thomas de The Red Goes Black au festival God Save The Kouign 2022 à Penmarch. Photo: Cédric Péchié.

Dans cette direction esthétique, on mentionnera également l’apport essentiel de Thomas Schaettel qui s’illustre par un jeu de clavier polyvalent, occupant parfois une place centrale dans la composition. Il apporte sa touche, entre autres, sur le solo de piano de « In The Chest » inscrit dans un registre jazz, ou encore la partie piano de « Keep It In Mind », dont le riff et les contours mélodiques ne sont pas sans rappeler le style New Orleans d’Allen Toussaint. Sur d’autres morceaux, il vient également parer les arrangements de parties mélodiques et d’accords de synthétiseur, dont les sonorités électroniques viennent enrichir un peu plus l’univers du groupe. Sans oublier les solos inspirés de Pete à la guitare électrique qui, très souvent, visent juste et saisissent par leur intensité expressive.

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The Red Goes Black (De gauche à droite: Pete, Damien, Tsunam, Thomas Schaettel & Chatter). Photo: Chama Chereau.

Contrairement aux sujets des opus précédents, Keep It In Mind se démarque par une nouvelle direction thématique. Ici, les musiciens de The Red Goes Black ont voulu insuffler une aura plus solaire que soulignent les tonalités majeures, lesquelles s’affirment davantage dans cet album. On le remarque particulièrement pendant « When The Raindrops Fall », qui retranscrit avec profondeur la beauté ressentie par Damien Gadonna à la vue du Douarnenez automnal. De même, l’hédonisme et la sensualité sont également de la partie : ils sont la trame du funky « Summer Night » et de « Pretty Remedy », écrits autour des plaisirs de la fête et de la sensualité, conçus comme échappatoires à la ville et son tumulte parfois anxiogène.

En dépit de ce nouveau cap plus radieux, la mélancolie n’est pas tout à fait absente. Elle vient même teinter le morceau « Lift Up Your Head », dont les paroles révèlent nos troubles et nos démons intérieurs, tout en nous incitant au lâcher prise et à aller de l’avant pour mieux les affronter. Dans une veine différente, « In The Chest » nuance aussi cette même morosité et oscille entre mode majeur et mineur : tour à tour, Damien Gadonna y chante le paysage gris de DZ City en automne, puis sa fierté d’appartenir à cette ville singulière dans laquelle il a pu poursuivre sa vie. L’occasion également pour lui de célébrer la force des liens familiaux, comme sur« Everything » qui évoque sa récente paternité.

Du reste, ces introspections et cette apparente légèreté ne confinent pas au repli sur soi ou à une quelconque déconnexion. En effet, plusieurs chansons de Keep It In Mind exposent aussi une critique sociale, qui fait le lien entre l’esprit des contre cultures d’hier et celui des mouvances d’aujourd’hui. Plusieurs de ces 10 morceaux, écrits pour la plupart par Damien, pointent les vicissitudes de notre monde et soufflent un vent de révolte et de résistance, qui se révèle sous divers aspects. Il apparaît sans détour via le ton acerbe d’« Underwater », dont le propos s’insurge entre autres contre la folie et le cynisme des puissants, comme des fanatiques de tous bords. Les paroles de « Rebels In The Street », quant à elles, laissent transparaître un éveil aux inégalités et problématiques que nous connaissons en ce moment, entrant en solidarité avec les nombreux mouvements de lutte qui secouent les quatre coins du globe. Dans le même temps, ces compositions transmettent l’idéal de paix et l’espoir de « lendemains qui chantent », déjà incarnées il y a 6 décennies et qui, encore aujourd’hui, se rappellent parfois à notre bon souvenir.

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The Red Goes Black (De gauche à droite: Pete, Damien, Chatter, Thomas Schaettel & Tsunam). Photo: Chama Chereau.

Avec Keep It In Mind, The Red Goes Black poursuit brillamment sa ligne artistique déjà solide, tout en l’enrichissant et en l’affinant avec talent. On savoure sans retenue les 10 morceaux de cet album vivifiant, porté par de bonnes vibrations et un dynamisme qui nous transportent de bout en bout, de la première à la dernière seconde. De ce fait, le quintette parvient à retranscrire une variété d’humeurs et de sentiments certes contrastés, mais souvent en nous donnant de la vigueur et, parfois aussi, du baume au cœur. Un alliage des plus appréciables, qu’on a hâte de retrouver en live à l’occasion de la tournée du groupe qui se poursuit. D’ici là, nul doute que ce nouvel opus continuera de tourner en boucle sur nos platines. Et ses riffs et refrains dans nos têtes…

L’album Keep It In Mind de The Red Goes Black est sorti le 28 avril dernier chez Les gamins d’Ys/Daydream Music/French Wine Records.

Disponible à l’écoute sur les plateformes : ICI

En commande sur Bandcamp

La formation poursuit sa tournée et donnera plusieurs concerts en Bretagne :

Le 19 mai en « release party » à la MJC de Douarnenez (29)
Le 20 juillet au festival Les Notes Salées de Plobannalec Lesconil (29)
Le 15 août à la Fête du 15 août de Combrit Ste Marine (29)
Le 18 août au festival Chez Hubert au Juch (29)
Le 19 août au Coota d’Erdeven (56)
Le 22 décembre au Vauban de Brest (29)

Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

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