La Supplication est un film de Pol Cruchten qui interroge, trente ans après, la catastrophe de Tchernobyl.cinéma, film unidivers, critique, information, magazine, journal, spiritualité

 

Lundi 28 novembre 2016. Tiens !, ils ont ressorti Jean-Claude Bourret de la naphtaline pour nous expliquer comment allait fonctionner, pour le prochain siècle, le sarcophage de fer construit au-dessus de la centrale de Tchernobyl. Marre !, depuis le temps qu’on en parle, ils pourraient changer de sujet!

la supplicationRappel: il est 01h23 à Tchernobyl, en Ukraine le 26 avril 1986, lorsqu’à l’occasion d’un test, le réacteur numéro 4 s’emballe à cause de mauvaises manipulations. Le résultat ne se fait pas attendre, une énorme explosion, suivie d’une colonne de flammes et de fumées, va inexorablement commencer, au gré des vents, à contaminer toute l’Europe. Il faudra attendre le 14 mai, pour qu’enfin, Mikhaïl Gorbatchev, avec cette franchise et cette ouverture d’esprit que l’on connaît de l’ex Union soviétique, reconnaisse l’existence de la catastrophe. Cela aura été, à n’en pas douter le plus beau concert de fausses vérités, d’affirmations mensongères, d’hypocrisies d’État, qu’il nous aura été donné de vivre. En France, le pouvoir politique en place à l’époque n’hésitera pas à affirmer que le territoire national a été épargné, le nuage toxique ayant eu la sagesse de s’arrêter à nos frontières. En Ukraine, c’est une zone d’exclusion de trente kilomètres qui va être mise en place autour de la centrale, elle est toujours en fonction.

la supplicationBasé sur le livre éponyme de Svetlana Alexievitch, lauréate du prix Nobel de littérature en 2015, ce film documentaire nous invite à focaliser notre regard sur les oubliés de Tchernobyl. Pour cela, Pol Cruchten, le metteur en scène, donne la parole aux plus modestes, à ceux qui ont tout perdu dans la catastrophe et se sont retrouvés sous une chape de plomb, quand la centrale était recouverte d’une chape de béton. Les témoignages, qui alternent, filmés sur fond d’un décor urbain ravagé et silencieux, mettent en avant des personnages qui nous regardent droit dans les yeux, sans remuer les lèvres, mais nous racontent leur simple et terrible drame, comme pour nous culpabiliser, non pas pour ce qui s’est produit, mais de notre relative indifférence. Pour eux, même trente ans après, la souffrance est toujours présente. Dur, très dur d’écouter le récit de cette femme dont le mari, pompier professionnel, présent auprès des victimes dés les premiers instants du drame, mourra comme tous ceux qui l’accompagnaient, dans de terribles douleurs, sans que le rapport avec les événements de la centrale soit reconnu.

la supplicationPire encore la naissance de leur enfant, et de beaucoup d’autres, dont la seule réalité sera celle de l’hôpital, qu’ils reconnaissent comme leur maison, faute d’en avoir vraiment connu une autre. Beaucoup se sont éteints, la liste est loin d’être close. Cet autre n’a sauvé de sa maison que la porte d’entrée, qu’il a emporté des lieux défendus, sous les balles de la milice. Curieuse tradition, mais à son décès, son père fut allongé dessus, avant d’atteindre sa sépulture. Sa fille de six ans, consciente du danger lui dit « papa, je n’ai que six ans, je veux vivre », c’est pourtant allongée sur cette même porte, qu’elle attendra à son tour, « un cercueil pas plus grand qu’une boîte de poupée ». Comme elles sont douloureuses ces images d’écoles ravagées où l’on croit encore entendre les cris des jeux d’enfants qui ce sont abolis dans les vapeurs délétères et les radiations, seules subsistent des classes éventrées, aux vitres brisées et aux pupitres moisis jonchant un sol infecté.

la supplicationPrix de la critique au festival du cinéma de l’environnement, au Brésil en 2016, grand prix du documentaire, au festival de Minneapolis en 2016, « La supplication » pointe un doigt accusateur sur tous ceux, qui, faute d’avoir eu le courage de prendre des décisions, de passer outre une écrasante hiérarchie bureaucratique, ont laissé mourir des milliers de personnes par crainte de déplaire aux petits chefs assis juste un étage au-dessus. À Tchernobyl, il y avait plusieurs centaines de kilos d’iode, destinés à être utilisés en cas d’incidents nucléaires. Faute d’initiative et de courage, ils sont restés stockés dans les entrepôts d’État.

la supplicationPlus douloureux encore, le pouvoir en place a tout tenté pour étouffer dans l’œuf cette triste histoire reniant par la même la souffrance de tout une communauté, punie pour avoir osé parler de sa douleur. En collaboration avec l’association « sortir du nucléaire », cette coproduction, Autriche, Luxembourg, Ukraine doit être impérativement vue. Elle est le cri d’alarme poussé, non pas par les pouvoirs publics, mais par les gens du quotidien, les petits, les obscurs, les sans voix, elle nous conduit à nous interroger sur le futur que nous souhaitons.

LA SUPPLICATION, Tchernobyl chronique du monde après l’apocalypse un film de Pol Cruchten
d’après le livre de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de Littérature 2015

Production
Jeanne Geiben
Réalisation
Pol Cruchten
Scénario
Pol Cruchten, d’après « La Supplication – Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse » de Svetlana Alexievitch (Prix Nobel de Littérature 2015)
Interprétation
Dinara Drukarova, Iryna Voloshyna, Vitaliy Matvienko
Voix
Dinara Drukarova, Camille Saltet de Sablet, Marc Citti, Éric Caravaca, Laurence Côte, Salomé Stévenin, Robinson Stévenin
Image
Jerzy Palacz, AAC
Son
Oleg Goloveshkin, Sergiy Stepanskyy, Ingo Dumlich, Mike Butcher, Hélène Ducret
Décors
Ivan Levchenko
Montage
Dominique Gallieni
Musique originale
André Mergenthaler, Luma Luma Earthsounds
Sortie
Luxembourg : 27 avril 2016
France : 23 novembre 2016

La Supplication fait partie des cinq finalistes nommés pour le Prix du Meilleur documentaire aux Trophées Francophones du cinéma 2016 qui sera remis le 3 décembre prochain à Beyrouth au Liban.

Projeté dans le cadre du Festival International du Film d’Environnement de Paris, il y a remporté le Grand Prix, décerné à l’unanimité et remis par le président du jury Luc Jaquet. Quelques jours plus tard, le Minneapolis St. Paul International Film Festival aux États-Unis lui décernait à son tour le prix du Meilleur documentaire.

Trieste Film Festival 2016 – Première mondiale
Luxembourg City Film Festival 2016 – Compétition documentaire
Festival Itinérances d’Alès 2016
Festival International du Film d’Environnement de Paris 2016 – Grand prix
Minneapolis St. Paul International Film Festival 2016 – Best documentary (Winner)
DOK.fest München 2016 – Panorama
Festival International Étonnants Voyageurs de Saint Malo 2016
Festival Internacional de Cinema é Video Ambiental / Goias 2016 – Grand prix, Prix de la critique

Crédits photo : © Red Lion / Jerzy Palacz

https://www.youtube.com/watch?v=I6QS9VDUnIA

https://www.youtube.com/watch?v=arVk1Y8ZFG4

Tchernobyl : les dates-clés de la catastrophe

Tchernobyl pypriatDu 26 avril 1986 jusqu’en novembre 2016, retrouvez les étapes de cet accident nucléaire majeur, dont les conséquences ont été bien plus graves et dramatiques que les autorités ne l’avaient envisagé.

26 avril 1986 : 1 h 23 du matin, le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl en URSS (l’Ukraine aujourd’hui) explose. La dalle supérieure (pesant 2000 tonnes) du réacteur est soufflée. Un dysfonctionnement du système de régulation serait en cause. Mais également une accumulation d’erreurs techniques. Rejet à l’extérieur de produits radioactifs contenus dans le cœur. Une partie du cœur du réacteur est pulvérisée sur les bâtiments voisins. Les pompiers de la ville voisine accourent pour éteindre l’incendie. En vain. Sans protection, deux soldats du feu meurent, 27 décèderont dans les mois suivants.

27 avril 1986 : largage de 5000 tonnes de matériaux sur le cœur grâce à des hélicoptères. L’évacuation des habitants de la ville voisine de Prypiat commence. L’incendie dure 10 jours.

28 avril 1986 : la Suède alerte la communauté internationale d’un fort taux de radioactivité sur son territoire. Les autorités russes annoncent enfin l’accident.

29 avril 1986 : le nuage de Tchernobyl arrive en France. Une équipe de mineurs est réquisitionnée pour creuser une galerie depuis le réacteur jusque sous le magma. L’eau est vidée et une chambre de refroidissement est créée. Elle sera par la suite remplacée par du béton arrêtant la descente du cœur fondu. Des soldats réservistes (les liquidateurs) viennent également déblayer le toit des débris très radioactifs.

30 avril 1986 : le SCPRI (Service central de protection contre les rayons ionisants) en France annonce que la situation est sous contrôle et qu’aucune hausse de la radioactivité n’a été constatée en France.

1er mai 1986 : les personnes situées dans un rayon de 30 km autour du site sont évacuées. L’opération se déroule jusqu’à la fin du mois d’août.

5 mai 1986 : évacuation de toute la population de la ville de Tchernobyl. Mise en place d’un système de refroidissement à l’azote. On refroidit à nouveau ce qu’il reste du cœur.

6 mai 1986 : La radiation chute en moins de 20 minutes. Le cœur du réacteur s’est solidifié.

Août 1986 : De nouveaux villages sont construits pour accueillir les personnes évacuées.

Novembre 1986 : Les travaux de construction d’un sarcophage de béton autour du réacteur commencent. Entre 600 000 et 800 000 personnes venues de toute l’URSS viennent travailler sur le site entre 1986 et 1992.

1987 : procès à huit clos de la direction de la centrale.

Novembre 1996 : 10 ans après la catastrophe, le réacteur numéro 1 est définitivement arrêté.

1998 : arrêt du réacteur numéro 3 pour des réparations sur les systèmes de refroidissement et de sécurité.

1999 : travaux de réfection des systèmes de surveillance du sarcophage. Et redémarrage du réacteur numéro 3.

28 mars 2000 : construction de l’unité de stockage de combustible irradié.

29 mars 2000 : l’Ukraine prépare la fermeture définitive de la centrale.

Juillet-novembre-décembre 2000 : Séries d’incidents sur le réacteur.

15 décembre 2000 : Sous la pression des Occidentaux, le dernier réacteur opérationnel (le numéro 3) est arrêté, marquant la fermeture définitive de Tchernobyl.

Septembre 2005 : Un rapport controversé de l’ONU estime à 4.000 le nombre de décès avérés ou à venir dans les trois pays les plus touchés. Un an plus tard, l’ONG Greenpeace évalue à 100.000 le nombre de décès provoqués par la catastrophe.

De leur côté, les autorités ukrainiennes avaient fait état en 1998 d’environ 12.500 morts parmi les liquidateurs.

Tchernobyl Pripiat
Le dôme de Novarka

– Nouvelle enceinte –

Août 2010 : Après des années de tergiversations, lancement des premiers travaux, réalisés par le consortium français Novarka, pour une nouvelle chape étanche de 108 mètres de haut. L’assemblage débute en avril 2012. Les travaux, estimés à environ 2,1 milliards d’euros, sont financés par la communauté internationale. Le fonds pour la sécurisation du site est administré par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd).

Novembre 2016 : La gigantesque arche en acier de 36.000 tonnes est glissée au-dessus de l’ancien sarcophage fissuré. D’une durée de vie d’au moins 100 ans, elle va permettre d’effectuer en toute sécurité des opérations de décontamination à l’intérieur du réacteur accidenté.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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