Les Présidents de la République française ont recours à ce qu’on appelle des « plumes » pour écrire leurs discours importants. Emmanuel Macron a fait appel à Sylvain Fort, normalien, critique de musique classique et germaniste. François Hollande avait appelé à ses côtés Pierre-Yves Bocquet, énarque et critique reconnu de… rap américain ! Nicolas Sarkozy s’était fait aider par une femme, Marie de Gandt, normalienne elle aussi, qui avait accepté d’écrire les discours présidentiels d’un homme dont elle ne se sentait pourtant pas proche. Mais elle a tenté l’expérience, et en a témoigné en 2013 dans un ouvrage très vivant intitulé « Sous la plume, petite exploration du pouvoir politique ».

plume marie de gant

Pendant près de cinq ans, l’auteur, une agrégée de lettres classiques, a travaillé en qualité de « plume » de Nicolas Sarkozy. Marie de Gandt fut auparavant la « plume » de Dominique Bussereau, Xavier Bertrand et Hervé Morin.

Défi pour cette jeune universitaire, spécialiste de Stendhal, mais nullement sociologue des milieux politiques. Défi aussi pour elle-même, femme plutôt de gauche, quand son ami d’hypokhâgne, un certain Laurent Wauquiez, alors député et ministre UMP,  lui  a proposé de travailler pour la majorité politique de l’époque. « Je ne parle pas la droite », lui avoua-t-elle, ajoutant : « Je ne connais rien de plus éloignée de la poésie [que le discours politique] ».

Marie de Gandt se lança donc dans l’aventure. Les interrogations et inquiétudes ne tardèrent pas à la gagner, notamment  à l’occasion d’un débat public entre Xavier Bertrand (dont elle venait d’intégrer l’équipe) et François Hollande. Elle mit alors en doute sérieusement l’authenticité des arguments échangés et l’alternative gauche/droite : « Joute de mots sans prise sur le monde, jeu d’acteurs sans conviction, scènes d’ego face au public. Tout à la dramatisation des deux bords [les débatteurs] miment l’antagonisme, mais rien sur le fond ne les distingue ».

Sa sensibilité politique la tiendra à distance de certaines orientations et personnalités : « Mon Styx est tracé : je ne travaillerai pas pour Hortefeux au ministère de l’identité nationale et de l’immigration ». Et quand le Secrétaire général d’Élysée lui demandera la trame d’un discours sur la sécurité et la lutte contre la délinquance, suite aux événements de Grenoble de juillet 2010, son texte, axé sur la refonte de l’esprit de société et la défense des institutions républicaines, sera sèchement retoqué (« Qu’est-ce que c’est que ce discours de fillette ? »). Le discours final rédigé par des conseillers parlera des « Français d’origine étrangère ». Elle, la femme de lettres soucieuse de « l’attention aux mots », ne relèvera pas à temps, pour tenter de la corriger, la dérive verbale, juridique et politique. « Et aujourd’hui encore, la honte ne me quitte pas », avoue-t-elle. « Je ne penserai pas ce qui me paraît dégradant », rappellera-t-elle encore à la fin de l’ouvrage.

« L’écriture d’un discours est un travail de groupe ». Cela est vrai au sein d’un ministère, où l’entente, voire l’amitié, entre conseillers, généralement, domine. Cela l’est beaucoup moins, ou très différemment, à l’Élysée, du temps de Nicolas Sarkozy tout au moins : « Entre les réunions [de conseillers],dispersion, chacun travaille pour soi, enfermé dans son bureau, comme un résistant préparant des données cruciales pour une organisation souterraine dont il ignore l’étendue et dont il n’a jamais rencontré les véritables chefs []. Il y a l’équipe Guéant, l’équipe Diplo, l’équipe Eco, l’équipe Madame, l’équipe Guaino, composée de lui seul ».

Marie de Gandt, elle, jouissait, dans cette singulière géographie élyséenne, d’une sorte de statut d’extra-territorialité, n’appartenant à aucun de ces groupes, mais, revers de la médaille, son travail passait par les interminables filtres et incontournables échelons : conseiller en charge du dossier, chef de cabinet, directeur de cabinet, secrétaire général, et enfin PR [i.e. le Président dans le jargon élyséen]. À la « plume » de veiller, autant que possible, à ce que son travail ne se transforme pas, au final, en un « sabir compréhensible des seuls ingénieurs des Ponts » et qu’elle sache le maintenir dans « la fiction du discours improvisé ». Bref, la quadrature du cercle !

L’Élysée réservait à Henri Guaino les discours de commémorations et à Marie de Gandt, le plus souvent, les discours de remise de décorations, qui n’étaient d’ailleurs pas forcément les plus légers ou les plus faciles. Tel celui-là, proche du discours mémoriel, à l’adresse de dix rescapés de la Shoah honorés par Nicolas Sarkozy. Comment bien parler d’eux, de ces témoins « de l’amas déraisonné d’horreurs, du déferlement du mal sur des individus répété des millions de fois » ? Elle trouvera les mots justes, adressés à chacun d’eux « qui a trouvé le Mal pour porter par sa vie le message du Bien vainqueur ».

Le livre de Marie de Gandt, brillamment écrit, est la photographie très éclairante d’un milieu politique largement méconnu du grand public où se côtoient, collaborent, s’affrontent moult personnalités. Les conseillers diplomatiques avaient toute son admiration. « Jusque dans le savoir le plus pointu et le plus vital pour le pays, leur merveilleuse irrévérence allège la prose du monde » dit-elle joliment. Mais pour de brillantes individualités, combien d’autres, « paternalistes traîtres, effusifs visqueux, affectifs débridés qui vous perdent dans l’hystérie collective » ! Les énarques n’ont guère reçu son indulgence, eux non plus, « par une complète absence d’intelligence émotionnelle et une quasi-absence d’intelligence sociale ». Quant au sexisme, tellement ancré dans la sphère politique, l’Élysée n’y échappait pas, dit-elle, « temple masculin, comme tout lieu de pouvoir ».

À la veille de quitter l’Élysée, et quand démarra la nouvelle campagne électorale  (à laquelle elle refusera de prêter son concours), Marie de Gandt tira quelques conclusions, notoirement sombres et amères. Les propositions de l’influent, et très droitier conseiller politique, Patrick Buisson, qui ont orienté, selon elle, la deuxième campagne du candidat Sarkozy vers de dangereuses divisions et crispations sociales lui faisaient craindre un virage vers un « populisme conservateur, tendance lourde des années à venir, pas seulement à cause de la jeunesse de Marine Le Pen, mais parce que ce sujet hante la droite comme la gauche ».

Marie de Gandt a affirmé ne plus vouloir revenir vers une nouvelle expérience élyséenne : « Je veux m’éloigner de la politique. L’art est la seule façon de vivre heureux sans fuir le conflit et sans renoncer à agir pour les autres ». Le monde politique a donc perdu une « plume », mais la recherche universitaire en a retrouvé une !

Les « plumes » ne cesseront d’exister bien sûr. Quelques-unes, et non des moindres, sont même passées de l’ombre des cabinets à la lumière du pouvoir, comme Pompidou, Juppé ou Fabius. Fabius qui disait avec humour : « On commence en écrivant des discours qu’on ne prononce pas. On termine en prononçant des discours qu’on n’a pas écrits » !

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Marie de Gandt

Sous la plume : petite exploration du pouvoir politique Marie de Gandt, Ed. Robert Laffont, mai 2013, 19€

 

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