Après avoir passé une partie de sa carrière dans un répertoire orienté électro, le chanteur-guitariste-compositeur australien Redon Brown (alias Rhyece O’Neill) avait décidé de renouer avec une esthétique ancrée dans la musique électrifiée. Ce qu’il fit avec son premier groupe Greta Mob, puis sa formation actuelle, les Narodniks, avec lesquels il avait sorti l’album Übermensch Blues en 2017. La sortie en juin dernier de leur dernier opus Death of a Gringo, sur le label rennais Beast records, a été l’occasion d’entamer une tournée internationale, marquée en France par leur passage au Binic Folks Blues Festival du 27 au 29 juillet. Nous avons eu le plaisir de les revoir mardi dernier au théâtre de verdure du Thabor, dans le cadre d’une soirée off du festival de Binic.

RHYECE O NEILL THE NARDONIKS

Mardi dernier, avait lieu le Binic Folks Blues Fest Strike Back, after du Binic Folks Blues Festival du week-end dernier. Pour l’occasion, la première partie a été assurée de façon brillante par le duo rockabilly normand The Slighty Old Ones. La soirée a ensuite débuté par le set électrisant des italiens de Big Mountain County et leur rock psychédélique, suivi du groupe post punk australien Bench Press. Puis dès 22h, la nuit est enfin tombée sur le théâtre de verdure. Autant dire que les conditions étaient réunies pour que Rhyece O’Neill et les Narodniks puissent commencer leur prestation et placer le décor de leur univers musical ténébreux. Dans cette tâche, le chanteur et guitariste australien était ainsi épaulé de Karli Jade au chant, Rick Studentt à la basse, Liam Wilkerson aux claviers, Mark Sibson à la batterie et Tim Deane comme second guitariste.

RHYECE O NEILL THE NARDONIKS
Photo Titouan Massé https://www.facebook.com/titouanmassephoto

En premier lieu, on peut définir leur esthétique comme faisant écho aux musiques de l’Americana. Ainsi, les deux premières chansons ont mis en évidence les influences blues de Rhyece O’Neill. La première était effectivement construite sur le rythme de la mesure dite « gospel », une métrique ternaire omniprésente dans les chansons lentes de blues rural et urbain. La deuxième, The Petite Bourgeois Blues (2013), présentait quand à elle la pulsation syncopée des chansons rapides de ce même répertoire. C’est cette même pulsation qu’on peut entendre par exemple dans le Boom Boom (1962) de John Lee Hooker. Rhyece O’Neill, pendant la période Greta Mob, avait d’ailleurs évoqué les grands bluesmen comme le même John Lee Hooker, Howlin’ Wolf et Lightnin’ Hopkins parmi ses influences.

Dans les autres chansons sont présents d’autres éléments incontournables du blues : outre la rythmique ternaire syncopée, elles présentent de courts motifs récurrents, énoncés par Rhyece O’Neill sur sa Fender Jaguar. De même, le songwriter australien exploite des procédés lyriques communs avec celle des bluesmen et des rockeurs. Parmi eux, son recours fréquent au vibrato Floyd Rose qui renforçait d’autant plus l’ambiance de « western noir » qu’il a voulu restituer dans sa musique. Par ailleurs, sa vocalité alterne entre un timbre caverneux, parfois comparé à celui de Nick Cave ou Leonard Cohen et une voix plus nasillarde ainsi qu’un lyrisme communs avec la vocalité de Bob Dylan. Cependant, il serait réducteur de se conformer à de telles comparaisons, d’autant plus que l’aspect plus traînant de sa vocalité, à travers ses inflexions et son phrasé, lui confère une identité vocale à part entière.

RHYECE O NEILL THE NARDONIKS

D’autres éléments semblent quant à eux puisés dans la musique savante occidentale. Ainsi, le rythme de valse viennoise constitue la trame des chansons Sea Shanty for the Coming Inferno et How They Roared. L’association de ce rythme dansant à cette esthétique musicale sombre et électrifiée renforce, par effet de contraste l’aspect maléfique et inquiétant de la musique des Narodniks. De même, la majorité des chansons est construite autour de tonalités mineures (hormis la première chanson, articulée autour de la gamme blues pentatonique). Alliées à la réverbération sonore et le rythme pesant de batterie dans la plupart des titres, elles participent de cette même ambiance, comme par exemple dans la chanson The Fire In You (2017). Cet élément omniprésent et accentué par la lourde ligne de basse semble tiré des esthétiques désenchantées du post punk et du grunge. On les retrouve ainsi dans certains morceaux associés à ces genres emblématiques, comme dans la chanson titre de l’album The Winding Sheet (1990) de Mark Lanegan et certains titres de Nick Cave avec les Bad Seeds.

BEAST RECORDS

La chanson Death of a Gringo, single et chanson titre de l’album, illustre parfaitement l’atmosphère à la fois fantômatique et très Americana des Narodniks. Précédée d’une introduction et suivi d’une outro magistrales, elle raconte le trépas puis l’ensevelissement d’un homme assassiné par un hors la loi mexicain. En accord avec le contenu des paroles, le discours musical semblait ici presque sorti d’outre tombe, comme une évocation évanescente. Davantage que dans les arrangements des versions studio, l’instrumentation était ici centrée sur le jeu guitaristique de Rhyece O’Neill et son guitariste, rendant l’ambiance plus tendue et expressive. Le geste musical qui traverse cette chanson peut rappeler celui du guitariste de rock américain Link Wray. Death of a Gringo est en effet basée sur des éléments similaires à ceux du fameux Rumble (1958) : un rythme de batterie quasi tribal, des accords de guitare saturée tranchants comme une lame de rasoir et un parcours harmonique épuré, ici fondé sur la gamme mélodique andalouse. Tous ces éléments réunis permettent de se figurer aisément le décor de la chanson, situé à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.

L’univers musical crépusculaire de Rhyece O’Neill et des Narodniks, loin d’être rhédibitoire, s’avère redoutable d’efficacité, tant il est envoûtant. Une dimension ensorcelante à laquelle contribuent la belle voix caractéristique et les lentes chorégraphies épurées mais non moins sensuelles de Karli Jade. De fait, la performance de Rhyece O’Neill et de son équipe semble avoir captivé la plupart des spectateurs du Thabor et on peut estimer qu’elle a bien retenu leur attention. Un concert qu’on n’oubliera pas de sitôt.

Rhyece O’Neill et les Narodniks.

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Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

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