Généraliste, la revue Reflets vendue en kiosque consacre son dossier de l’été à la poésie. Avec succès semble-t-il, prouvant ainsi que l’idée n’est pas saugrenue et que les lecteurs sont capables de curiosité. Et si presse et poésie n’étaient peut-être pas irréconciliables ?

Presse et poésie, deux mondes qui s’ignorent

En quelques décennies, la poésie a pratiquement disparu de la presse et des médias, y compris des titres qui touchent à la sphère culturelle. Non seulement il n’y a plus d’espace dans les journaux pour la publication d’un poème, mais les articles culturels n’en parlent tout simplement plus. Rares sont les présentations de livres de poésie, les entretiens avec des poètes. Il faut généralement un événement exceptionnel comme l’attribution du prix Nobel de littérature à un poète, par exemple à Tomas Tranströmeren 2011, pour qu’apparaisse le mot « poésie » dans un article.

On note cependant depuis quelque temps la timide et irrégulière présence d’un extrait de poème dans les pages « livres » du magazine hebdomadaire Télérama, mais par ailleurs les articles sur la poésie y sont portion congrue. Sa sélection d’ouvrages pour l’été ne présente pas un seul livre de poésie, alors que la saison se prête volontiers aux expériences et aux découvertes de lecture. Un quotidien breton avait également semé quelques espoirs en publiant dans ses pages « Cultures » du samedi un billet « Poésie » signé Philippe Simon. Informatif et relié à une actualité éditoriale, chaque article donnait à découvrir un poète d’aujourd’hui. Cette louable initiative, pourtant appréciée par beaucoup de lecteurs, a hélas pris fin sans qu’elle ait eu le temps de trouver véritablement sa place.

Plus grave, le mot « poésie » et ses dérivés sont désormais détournés de leur sens. Accolé à un mot, « poétique » signifie souvent léger, sentimental, voire un peu mièvre. Quant au mot « poète », sans référence à l’art, il est devenu un terme dépréciateur employé pour désigner une personne dénuée de sens pratique, bref un rêveur !

Alors quand on apprend qu’une revue généraliste vendue en kiosque consacre un dossier de plus de trente pages à la poésie dans son numéro de l’été, on n’en croit pas ses yeux !

revue reflets

Un important dossier sur la poésie  

La revue Reflets a été créée en septembre 2011 par Christian et Thérèse Roesch et parait selon une fréquence trimestrielle (1). Généraliste, elle propose une approche de l’actualité qui donne sens aux événements, en dépassant l’anecdote et l’aspect émotionnel, pour mettre en avant ce qui se joue pour la société et notre futur. Elle pose un regard spirituel ouvert sans exclusive sur le monde. Outre des sujets d’actualité, la revue Reflets publie des dossiers, comme celui sur la poésie dans le n° 28 (2).

L’initiative de la revue Reflets pour son numéro de l’été 2018 (juillet-août-septembre) est un pari courageux et un exemple à suivre. Sur 83 pages du numéro, le dossier en comporte 32, ce qui est en soi une gageure. Richement illustré, en particulier par Nadejda Menier artiste spécialiste de la manière noire, il est agréable à lire et accessible aux lecteurs non-avertis. Dans ces pages abondamment éclairées de poèmes et d’extraits d’auteurs d’hier et d’aujourd’hui (Jacques Prévert, Saint-Exupéry, Tagore, François Cheng, Xavier Grall, Jean Lavoué par exemple), pas de savantes gloses universitaires, ni de jargon de spécialistes, mais des entretiens et des articles écrits à la première personne qui établissent d’emblée une proximité avec le lecteur.

Il a été réalisé avec le concours actif et éclairé de la poète Brigitte Maillard, qui n’a de cesse de sortir la poésie et les poètes de la confidentialité et de leur entre-soi mortifère. Installée depuis quelques années sur la côte sud du Finistère où elle a créé les éditions Monde en poésie, elle a rencontré beaucoup de poètes de Bretagne. C’est naturellement qu’elle a invité quelques-uns d’entre eux dans ce dossier, tant « cette terre de Bretagne produit d’artistes ».

 « Poésie, Dire l’indicible »

Le dossier « Poésie, Dire l’indicible » se structure entre quatre thèmes qui pourraient être les points cardinaux de la poésie : « s’émerveiller », « renaître à la vie », « les enfants sont des poètes », « l’invisible devient visible ».

L’émerveillement suscité par la poésie peut prendre diverses directions. Christian Bobin, pour qui la poésie « n’est pas une décoration, une joliesse », écrit dans son dernier livre Le plâtrier siffleur (3), qu’il y trouve matière à contemplation par un contact intense avec le réel, mais aussi une manière de comprendre et d’habiter le monde autre que par une réflexion analytique. Dans un article clair et précis, Pierre Tanguy, ancien journaliste et poète, évoque le « caractère concret et sensoriel (une vraie ouverture aux cinq sens) » du haïku, genre poétique bref d’origine japonaise et art du dépouillement qu’il pratique avec bonheur.

De l’émerveillement à la renaissance, il n’y a qu’un pas, franchi par Brigitte Maillard, à l’origine de ce dossier. Elle évoque dans un entretien son chemin d’éveil et son retour à la vie. Atteinte d’un cancer, la poésie a été son « lieu de renaissance » (4). Un passage du roman Le monde commence aujourd’hui de Jacques Lusseyran évoque aussi le secours de la poésie dans les traversées difficiles. Stéphane Hessel, dans un entretien radiophonique donné à Brigitte Maillard en 2011 et reproduit partiellement, confirme que la poésie a eu dans sa vie une place déterminante, notamment lorsqu’il fut enfermé dans les camps de concentration. Précédé par des poèmes d’Apollinaire et d’Aragon pour conjurer les horreurs de la guerre, un article est consacré au poète Robert Desnos, résistant et déporté, terrassé lors de la libération par les privations et les mauvais traitements, qui sut toujours garder sa dignité et « un abri dans la poésie ». Face aux drames, à la maladie, aux guerres, le poème se révèle un précieux recours.

Jean-Luc Pouliquen (5), qui a consacré un livre à son expérience de la poésie à l’école, témoigne que « les enfants sont des poètes », spontanément enclins aux inventions verbales et mêlant leur perception du monde réel à leurs rêves. Il confirme par là que la poésie n’a pas besoin d’être analysée, disséquée, expliquée pour être appréciée et comprise. Aux adultes que nous sommes d’en retirer la leçon en gardant intacte notre capacité d’émerveillement !

Le comédien Laurent Terzieff, lecteur passionné, considère la poésie comme « l’expression même de la vie » et comme une « ouverture vers cette face invisible du monde qui nous relie à tout et à tous ». Le poète Gilles Baudry, moine à l’abbaye de Landévennec, le rejoint dans cette quête de l’invisible. Si tous deux revendiquent leur foi chrétienne, il serait erroné de réduire leur approche du poème à celle-ci. Gilles Baudry parle de la poésie comme d’« une fenêtre qui s’ouvre » sur la vie et sur le monde. Cette quête concerne tout un chacun, quelles que soient ses convictions. Le dossier se ferme sur Joe Z, poète américain, pour qui la poésie « est ce qui nous garde vivants ».

marie josée christien

Ce riche dossier témoigne que la poésie peut être abordée avec simplicité et qu’elle n’est pas un art obsolète. Quand bien même elle ne concerne pas un large public, elle a un rôle essentiel pour reconstruire du collectif là où il n’y a plus que des individus et des ego en concurrence. L’enjeu est de taille. En osant la poésie, la revue Reflets y contribue pleinement. Puissent d’autres revues et journaux oser la poésie à leur tour.

(1) Publiée par l’association Sens et Vie,la revue Refletsest en vente dans de nombreux kiosques, relais H, magasins de presse, dont la liste est disponible sur le site www.revue-reflets.org/.

(2) Commande et abonnement possibles en écrivant à : contact@revue-reflets.org/. Renseignements au 03.80.62.89.86, à Gilly-lès-Cîteaux.  Prix du n° : 7,90 €

(3) Lettre de Christian Bobin et extrait de son livre Le plâtrier siffleur: https://www.revue-reflets.org/?p=3162

(4) Entretien avec Brigitte Maillard (extrait) : https://www.revue-reflets.org/?p=3136

(5) Extrait de l’article de Jean-Luc Pouliquen « Les enfants sont des poètes » : https://www.revue-reflets.org/?p=3146

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Marie-Josée Christien
Marie-Josée Christien est poète et critique. Elle est responsable de la revue annuelle Spered Gouez / l’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991. Lauréate du prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre, traduite en allemand, bulgare, espagnol, portugais et breton, elle est présente dans une trentaine d’anthologies et d’ouvrages collectifs. Elle a publié une vingtaine d’ouvrages dont Lascaux & autres sanctuaires (Jacques André Editeur), Conversation de l’arbre et du vent (liste de référence du Ministère de l’Education Nationale en 2013, Tertium éditions), Les extraits du temps (Les Editions Sauvages), Aspects du canal (Sac à mots éditions), et en 2014 aux Editions Sauvages, Temps morts (préface de Pierre Maubé) et Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier).

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