Le revenu universel est-il à la mode ? Les élections présidentielles de 2017 l’ont mis sur le devant de la scène, d’une certaine manière grâce à Benoît Hamon, candidat socialiste vainqueur de la primaire citoyenne. Reste à savoir ce que recouvre son/le revenu universel. La France, en la matière, affirme-t-elle sa vocation universelle ? Plusieurs pays en Europe et dans le Monde ont déjà tenté de l’appliquer. En France, une expérimentation se prépare en région Nouvelle-Aquitaine. Entretien avec Martine Alcorta en charge du projet.

 

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineLe revenu universel a trouvé son exposition, et pas n’importe où : au Sénat. Le 8 février 2017, toute la complexité de cet enjeu de société trouvait son expression. Les forces en présence ? La revue Multitudes et sa cohorte de philosophes et sociologues, les sénateurs « de tous bords politiques » et leur rapport, rendu le 9 octobre 2016, le Mouvement Français pour un Revenu de Base, un conseiller de Benoît Hamon, et dans la salle, Réseau Salariat, partisans, opposants, néophytes ! En somme, presque toute la sphère qui gravite autour de ce revenu universel si controversé. Le MRFB, une association créée en 2013, qui se donne « pour mission de promouvoir le revenu universel dans le débat public, jusqu’à son instauration », propose aux organisations politiques de se poser en acteur et consultant. Elle donne du revenu de base une définition qui aide à le comprendre : il est versé à chaque individu (individuel), de sa naissance à sa mort (permanent), sans aucune contrepartie (inconditionnel), quel que soit son revenu ou sa situation professionnelle (universel), en s’additionnant aux autres revenus et à certaines allocations (cumulable). À cela, rajoutons qu’il est un droit fondamental pour tous les citoyens (inaliénable).

Mais les choses se compliquent. La journée d’étude organisée par le Sénat et la revue Multitudes l’a montré. Trois éléments créent des divergences, intrinsèquement liées les unes aux autres : la question du montant, du financement, des enjeux idéologiques. Associations, partis politiques, économistes, philosophes, de Thomas Pikkety à Bernard Friot en passant par Benoît Hamon (PS), Frédéric Lefebvre (Les Républicains) ou de Basquiat, on compte des dizaines de versions du revenu universel. Le montant ? De 450 à 1000 euros : autant dire, un gouffre ! Reste l’épineuse question du financement. Grâce à l’impôt sur le revenu ? Ou encore sur le patrimoine ? Par la taxation sur la consommation ? Ou sur la robotisation ? Ou encore par une réformation de la création monétaire ? De même, les opinions divergent quant à la suppression ou la sauvegarde de certaines allocations : faut-il créer un « revenu de base enfant » ? Supprimer les allocations chômage ? Voire même l’assurance-maladie ?

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineLa dimension idéologique conditionne le montant et le financement de ce revenu universel. Deux visions, pour résumer, s’opposent : la première, plus libérale, propose un revenu bas (entre 450 et 600 euros), c’est-à-dire suffisamment bas pour contribuer au retour au travail ; la deuxième, plus disruptive, propose un revenu entre 800 et 1000, voire 1200 euros, qui puisse satisfaire les besoins de base. En somme, c’est la valeur du travail qui oppose ces deux visions. Les partisans d’un revenu universel le plus haut, contrairement à leurs adversaires libéraux, repensent à l’échelle sociétale la valeur du travail salarié ou marchand. N’est-ce pas travailler que de s’occuper des tâches domestiques, de l’éducation, de la création, du bénévolat, de la vie de son quartier ? Travailler nécessite-t-il forcément une rémunération ? Qui plus est, certaines de ses théories progressistes s’appuient sur l’accroissement du chômage, la robotisation croissante de nos sociétés, la décroissance ou, plus simplement, la nocivité du travail en régime capitaliste.

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineMais les choses se compliquent encore. Soit le revenu universel est considéré comme un alibi à la paresse, à l’oisiveté, à l’assistanat, dans une vision sacralisée du travail marchand, soit il est envisagé comme un instrument de libération existentielle pour chaque individu. Si l’on surmonte ce désaccord (énorme) sur la valeur travail, on trouvera encore d’autres problématiques. Le revenu universel le plus haut, par son caractère profondément disruptif, attire à lui toutes les nouvelles tendances de la société. Lors de la journée d’étude, on l’a constaté avec les interventions des philosophes et sociologues : Yves Citton y place son économie de l’attention, Sandra Laugier sa théorie du care, Antonio Casilli le « revenu universel numérique » et la question du digital labor. De même, cette unique journée semble ouvrir la voie à l’appropriation (voire à la déformation, le plus souvent) de l’idée de revenu universel par la sphère politique. Le rapport du Sénat ainsi que les propositions de Benoît Hamon pour un revenu universel à 750 euros par mois tendent à le prouver.

Entre les propositions politiques au rabais, lancées dans la précipitation des élections présidentielles, et l’exigence a priori féconde des philosophes, de Multitudes ou d’autres encore, on trouve également l’expérimentation. Le MRFB, du reste, pour faire suite au rapport du Sénat, « appelle le gouvernement à engager dès à présent les financements nécessaires à l’expérimentation d’un revenu de base en France, qui permettrait de démontrer sa nécessité sociétale dans le but d’aboutir, à terme, à son instauration réelle ».

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineQuelles expérimentations pour le revenu universel ? On sait, par le passé ou actuellement, que plusieurs pays ou régions dans le Monde ont expérimenté voire intégré des formes de revenu universel à leur système : par exemple le Canada, l’Inde, l’Alaska ou encore le Brésil. Et en Europe : la Finlande (voir notre article) et les Pays-Bas. Le premier a d’ailleurs commencé son expérimentation le 1er janvier 2017 sur un panel de 2000 demandeurs d’emploi âgés de 25 à 58 ans, pour un montant mensuel de 560 euros. Le but ? Promouvoir l’emploi, l’entrepreneuriat et la mobilité. En Hollande, la ville d’Utrecht mène un projet sur plusieurs groupes socio-économiques divers pour un revenu universel de 900 euros par mois (1350 euros pour un couple). Et la France ? C’est dans la région Nouvelle-Aquitaine que la première expérimentation du revenu universel devrait avoir lieu. Nous avons rencontré Martine Alcorta (EELV), conseillère régionale déléguée à l’innovation sociale et sociétale, en charge de ce projet unique dans l’Hexagone.

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineUnidivers : Comment est né ce projet de tester le « revenu universel » en Nouvelle-Aquitaine ?

Martine Alcorta : J’étais élue régionale dans la mandature précédente. En juin 2015, on avait déposé une motion pour inscrire au futur budget une étude de faisabilité pour l’expérimentation. Au départ, elle a été mal accueillie. On nous disait que c’était « n’importe quoi ». Les gros partis n’ont pas pris part au vote. Le président de la Région, Alain Rousset, n’était pas favorable. Mais le projet a été voté à l’unanimité (les autres groupes se sont abstenus). Une feuille de route a été mise en place en septembre 2016.

U : Comment avez-vous procédé ?

Martine Alcorta : L’idée, c’était de le faire de manière participative. Si on n’associe pas les acteurs de la société civile, c’est perdu d’avance. Parce que c’est un sujet qui demande de changer ces imaginaires par rapport au travail. Alors, comment l’avons-nous organisé ? Avec un comité de réflexion qui invite la société civile, sous forme d’ateliers. Et sous forme de thématiques. La première : « quel revenu universel, et pour quels changements sociétaux ? ». La suite, c’est la question du financement. Je tiens à dire que le projet a commencé bien avant que le sujet ne soit à la mode. D’ailleurs, je pense que s’il est à la mode, ce n’est pas pour rien. J’en suis assez contente : ce qui m’intéresse c’est le contenu, pas les manœuvres politiciennes. J’ai donc décidé que je suspendais le projet pendant la campagne et qu’on reprendrait la préparation en septembre.

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineU : À cause des élections présidentielles ?

Martine Alcorta : On ne voulait pas le lancer comme un instrument électoral et créer des stéréotypes. On l’a vu dans le débat de la primaire socialiste, le discours s’est réduit à « si on est pour le revenu universel, on est contre la valeur travail ». C’est une aberration parce que ce n’est pas du tout ainsi que les choses doivent être présentées. Pour moi, le revenu universel n’est pas une politique de protection sociale, c’est une politique publique qui pose la question du rapport au travail au XXIe siècle. Comme la Région a la compétence économique et se préoccupe de l’emploi, je trouvais bien de l’inscrire dans ce cadre-là.

U : Quelle sera donc la suite du projet ?

Martine Alcorta : La question du financement. Avec le comité de réflexion, j’ai créé un comité de scientifique, avec des chercheurs pluridisciplinaires. Ils ont pour mission de réfléchir aux paramètres de faisabilité. C’est-à-dire ce que peut être cette expérimentation. Ce n’est pas simple : déjà, par définition, une expérimentation ne peut pas être universelle. Ensuite, en bénéficier pendant un ou deux ans, ou toute sa vie, ce n’est pas la même chose. L’idée, ce serait de voir, pour répondre au débat : est-ce que cela crée l’oisiveté ? Certains le prétendent. Est-ce que cela augmente la créativité ? L’entrepreneuriat ? Est-ce que cela augmente le niveau de formation ? Les activités de bénévolat ? Est-ce que cela diminue le temps de travail ? On se rend compte que ce n’est pas opposé au partage du travail, cela peut au contraire dynamiser le partage du travail.

U : Faut-il repenser la notion de travail uniquement marchand ?

Martine Alcorta : Il faut interroger la notion de travail, aujourd’hui. Trop souvent, on réduit le travail à l’emploi, qui est un travail marchand. Mais il y a aussi des activités non marchandes qui sont du travail.

U : Quelles formes prendrait cette expérimentation ? Par exemple, quel serait le montant du revenu universel ?

REVENU UNIVERSEL nouvelle-aquitaineMartine Alcorta : Ce que je peux vous dire : personnellement, je suis pour un revenu de base à 1000 euros. Dans le cadre de l’expérimentation, un revenu de base à 1000 euros s’accompagnerait d’une modification de la fiscalité. Dans ma vision des choses, tout le monde a le droit à 1000 euros. Mais ce revenu est cumulable avec d’autres revenus. Fiscalement, lorsqu’on décide par exemple d’atteindre 3000 ou 4000 euros tout compris, vous rendez ces 1000 euros. Ces 1000 euros, c’est la soupape de sécurité, dans la vie, quand vous voulez diminuer votre travail salarié pour vous adonner à d’autres activités, pour vous former, pour pallier aux accidents de la vie, pour les agriculteurs en fonction des aléas climatiques, pour les étudiants. Il n’y a pas beaucoup de gens qui se contenteront d’un revenu à 1000 euros. Ils pourront donc cumuler avec un autre revenu. Le comité scientifique va réfléchir à ces données. Comme je l’ai dit, le projet a été suspendu à cause de la campagne électorale. On a décalé la chronologie. Maintenant, on rendra notre copie en 2018. Tant mieux si d’autres, avec plus de moyens, nous devancent. On n’y est pas pour rien dans ce qui se passe actuellement avec le revenu universel. L’idée n’est pas de faire son expérimentation à soi. Je participe à des réunions, avec le MRFB. Expérimenter permet d’ouvrir le débat.

Consulter le site du Mouvement Français pour un Revenu de Base (MRFB)

Consulter le rapport du Sénat sur le revenu de base

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