Jusqu’au 5 juin 2019, le réalisateur Johan Michel propose au public de découvrir l’installation photographique et sonore Vies modestes, vies épatantes à la MJC Le Grand Cordel. « Allez chez lui, chez elle. Écouter leurs paroles, glaner leurs photos »… Plongé dans le noir et muni d’une lampe torche, le public arpente un labyrinthe où se dessine une cartographie humaine de ceux qui travaillent la terre dans leur quotidien… Entretien avec Johan Michel.

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Johan Michel

Unidivers : L’installation Vies modestes, vies épatantes est la suite d’un projet né en 2011. Il donne la parole aux agriculteurs en montrant leur travail et leur savoir-faire. D’où vient cette idée de réaliser « une cartographie humaine des personnes qui travaillent la terre » ?

Johan Michel : En amont du projet, il y a le portrait de Claude Michel, mon père. En 2011, je lui ai écris une lettre alors que je venais de déménager pour le travail. Je viens d’Oudon à la base, un village entre Nantes et Angers. À mon arrivée à Lyon, j’avoue avoir été effrayé par cette ville qui allait beaucoup trop vite. Elle était extravagante et criante, mais en même temps pudique… Ces impressions m’ont donné envie d’écrire à travers une parole agricole et des gestes qui ont suivi mon enfance. Écrire ce portrait était une manière de rejouer cette période de ma vie et de faire renaître l’empire de l’enfance.

Unidivers : Quelle est votre histoire avec l’agriculture justement ?

Johan Michel : Mon grand-père du côté de ma mère était agriculteur. Claude, mon père, travaille chez EDF, mais possédait une pratique agricole. Nous avions des moutons, des oies, des poules, un grand jardin et des vignes. Gosse je passais le plus clair de mon temps dans les plates bandes du jardin avec du radis à la bouche et quelques cadavres de sauterelle dans les poches (rires).

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Reproduction d’une photographie de famille et des commis de la ferme familiale de Johan Michel en 1916. Son grand-père a trois ans, on le voit tenir la main de sa soeur

Unidivers : Le projet de Vies modestes, vies épatantes ne se résume pas à collecter des photos et écrire un texte. On y voit l’importance de la rencontre, du travail agricole et des liens qui se créent à travers eux…

Johan Michel : J’ai mis sept ans à terminer le portrait de mon père, de même pour celui de Tanguy Quedillac. Rencontrer un agriculteur et le regarder faire ne suffisent pas à écrire ou à trouver les mots justes selon moi. Il est nécessaire de passer par le travail de la terre afin de comprendre, aller planter les poireaux avec Tanguy par exemple. Le temps du travail sculpte et remue le texte.

Avec Vies modestes, vies épatantes, l’idée est vraiment d’être saisi et pas de saisir. Il ne s’agit pas d’écrire sur les gens, mais plutôt avec eux.

Ils ne sont pas physiquement présents au moment de l’écriture, mais je rentre dans leur quotidien, je travaille et vis avec eux. Pour autant je n’ai pas la prétention de vouloir dire par l’écriture qui ils sont, je cherche plutôt à écrire des impressions qui ressembleraient à des images. L’idée était de montrer le plaisir de prendre le râteau, la pelle, la pioche et celui de papoter aussi.

Unidivers : Quelles a été la première réaction des agriculteurs quand vous êtes allés à leur rencontre ?

Johan Michel : Je me rappelle des grognements étouffés dans la bouche de mon père (rires), un mélange de tendresse et de méfiance. La rencontre avec Tanguy a été différente, mais les choses se sont faites naturellement.

Tanguy venait d’acheter son terrain quand il m’a amené le voir. Il regardait la terre, m’en parler autant avec la bouche qu’avec ses mains…… je l’ai trouvé beau. Le portrait parle de ses gestes qui ressemblent à ceux d’un musicien ou d’un ornithologue. Contrairement à celui de mon père, l’écriture du portrait de Tanguy s’est révélée compliquée, trouver les bons mots n’a pas été chose facile. Dans ces cas-là, je regarde, recueille le plus possible et bannis ma propre imagination. Selon Gilles Deleuze, on est foutu quand on entre dans l’imagination d’un autre. Avec le peu d’imagination que j’ai, les agriculteurs s’en sortent bien (rires). Je ne compte pas le nombre de réécritures que j’effectue avant d’aboutir au portrait final. Je cherche à être au plus proche de ce que je vois afin de ne pas les enfermer dans des clichés ou des idées que j’aurais a priori. Mon écriture est en perpétuelle rectification.

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Unidivers : Dans la lettre adressée à votre père, point de départ de ce projet, vous dites « écrire un portrait de toi, pour tordre le coup à la communication ». Qu’entendez-vous par là ?

Johan Michel : Je ne cherche pas à être dans la communication, c’est une action de domination sur l’autre, il s’agit plutôt de partir d’une idée, d’un sentiment ouvert. J’écris pour me rappeler : des moutons disparus du champ de mon père à mon retour, du renard aperçu furtivement au bord de l’étang, des fêtes dans la cave, de leurs vacarmes insolites,… il faut pouvoir les convoquer. Pour autant écrire pour moi n’est pas communiquer. Communiquer, c’est déjà vouloir convaincre, c’est utiliser les mots comme outils de persuasion, je vois l’écriture comme une succession d’impressions. Quand j’écris, je suis habité par la même disposition que j’avais lorsque je faisais l’école buissonnière, en restant un peu caché du monde et de ses mots d’ordre, en tout cas c’est ce à quoi j’aspire.

L’écriture doit être une ouverture et pas un cloisonnement. C’est se laisser aller vers des créatures verbales que l’on ne prévoyait pas.

Unidivers : Comment définissez-vous le rapport entre les images et les portraits sonores dans Vies modestes, vies épatantes ?

Johan Michel : Ici, les images et les portraits sonores se troublent, il n’y a entre eux pas de rapport d’adéquation, ils ne se répondent pas naturellement et c’est ce qui m’intéresse. Georges Didi-Hubermann (philosophe et historien de l’art français, N.D.LR.) nous dit dans le livre Peuples exposés, peuples figurants que lorsque que des mots appellent spontanément des images qui leur correspondraient et inversement alors nous pouvons dire que les mots, comme les images, ont été réduits à rien qui vaille : des stéréotypes. Selon moi, les phrases ne doivent pas illustrer les images, l’écriture c’est se laisser aller vers des créatures verbales que l’on ne prévoyait pas.

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Unidivers : Pourquoi avoir fait le choix de mélanger des photographies d’archives familiales et des photographies prises par vous ?

Johan Michel : Au départ, je ne voulais que des photographies d’archives sans auteurs, mais certains n’en avaient plus, comme Jean-Louis Lapouge. J’ai passé trois ou quatre jours avec lui afin de prendre des photos. C’était compliqué, car j’ai besoin de faire tout autre chose avant de penser à photographier un lieu. Il faut que je le vive. Comment ressentir le lieu ? Comment respire t-il ? Comment Jean-Louis bouge dans cet espace ? Prendre des photos ou écrire revient à la même chose.

Mes photos ne sont pas signées car la question de l’anonymat m’intéresse beaucoup dans ce projet, tout comme celle des fantômes et des présences. Avec ces photos de fermes et de personnes, une histoire se construit, quelque chose qui relève de la mémoire.

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R.V et R.G. avant 1939

Unidivers : Une mémoire que l’on effleure quand on parcourt l’installation sous forme de labyrinthe. Armé d’une lampe-torche, le public est plongé dans le noir et déambule dans l’espace sans autre repère que cette lumière. Peut-on dire qu’arpenter le labyrinthe relève d’une sorte de recherche archéologique vers la découverte d’un patrimoine agricole, un des plus vieux métiers du monde ?

Johan Michel : Je n’ai pas cherché à créer une installation ludique avec le labyrinthe. Le fait que le visiteur soit plongé dans le noir lui permet d’être plus sensible à ce qui l’entoure, son ouïe en est développée. Notre regard est tellement habitué aux flots d’images que j’ai voulu interroger cette notion d’économie du regard aussi. Cela me semblait important.

Le labyrinthe peut avoir diverses significations : la chambre noire, le visiteur voit de grands espaces alors qu’il se trouve dans un espace confiné ; la cabane également. Petit, j’avais les cabanes les plus épatantes du quartier à Oudon. L’installation constitue une cabane énorme au final, un endroit où l’on cache des objets précieux…

Je veux réaliser des récits qui se partagent de gueule en gueule et faire acte de mémoire. Comme les chants traditionnels qui se partageaient de chants en chants et se modifiaient petit à petit…

Unidivers : Au final, écrivez-vous comme les agriculteurs plantent leur pioche ?

Johan Michel : Peut-être oui, avec des fantômes qui soufflent toujours aux alentours (rires). Selon moi, l’écriture relève du manuel et de l’artisanal…

Du 23 avril au 5 juin 2019. Vies modestes, vies épatantes, Le Grand Cordel MJC. 

ACCÈS
Le Grand Cordel mjc
18 rue des Plantes 35700 RENNES

Bus C1, 50 : Arrêt Turmel ou Mirabeau
Bus C3, 14 : Arrêt Docteur Quentin ou Lycée Chateaubriand

HORAIRES ACCUEIL
Du lundi au vendredi > 14H-20H30
Samedi > 9H-13H

Pendant les vacances scolaires : Du lundi au vendredi > 9h-12h30 et 14h-18h

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