Backlash groupe Vertigo
Backlash, groupe Vertigo, jeu Philippe Bodet. Théâtre l’Archipel à Fouesnant. Photo : Caroline Ablain.

Après trois mois de représentation au Théâtre de Belleville à Paris, Backlash du groupe Vertigo revient au Tambour de Rennes, le 9 avril 2024. Programmé par le service culturel de Rennes 2, ce spectacle co-créé par Guillaume Doucet et Bérangère Notta évoque la montée des pensées masculinistes dans un seul en scène habilement interprété par Philippe Bodet. Rencontre avec le metteur en scène, Guillaume Doucet. 

Backlash, ou « retour de bâton », est un terme employé par les mouvements féministes afin de désigner une réaction violente face au progrès des droits des femmes. Ce mot a notamment été mis en avant par la journaliste américaine Susan Faludi dans son livre, primé au Pulitzer en 1991, Backlash. The Undeclared War Against American Women.1 En choisissant ce titre pour leur pièce, Bérangère Notta et Guillaume Doucet mettent en lumière ce phénomène prenant de l’ampleur en réponse aux avancées sociales du monde actuel. Ce seul en scène de Penelope Skinner, originellement nommé d’après le youtubeur masculiniste, Angry Alan, sera joué le 9 avril 2024 au Tambour à Rennes. Un récit percutant et sensible du groupe Vertigo

Guillaume Doucet
Guillaume Doucet. Photo : Julien Mota

Unidivers – Pourriez-vous nous relater les rencontres décisives dans votre parcours artistique ? 

Guillaume Doucet – Le premier choc, c’est lorsque j’étais ado, je commençais tout juste le théâtre et j’ai rencontré Blandine Jet, une metteuse en scène qui est maintenant devenue scénariste. Ça a été une double rencontre : à la fois en atelier avec elle, ainsi que ses spectacles. Blandine a vraiment été la bascule complète : j’ai su que je voulais être acteur. La rencontre suivante a eu lieu des années plus tard, à l’école du TNB, dirigée par Stanislas Nordey. C’est la première personne avec qui j’ai travaillé après. Je pense qu’ensuite, les deux personnes les plus importantes pour moi dans le théâtre sont celles avec qui je travaille en ce moment : Bérangère Notta et Philippe Bodet. J’ai rencontré Bérangère lorsque je donnais un atelier à l’INSA de Rennes, c’était mon tout premier atelier. C’était super, les étudiants ont ensuite créé une compagnie ensemble. La plupart ne sont plus ingénieurs… Les parents me détestent ! [Rires] Bérangère a ensuite rejoint la compagnie et c’est comme ça que celle-ci s’est structurée, qu’elle a pris la forme qu’elle a aujourd’hui. On est vraiment des partenaires de création depuis 10 ans.

Unidivers – Pourquoi avoir choisi le nom « groupe Vertigo » pour votre compagnie ?

Guillaume Doucet – À l’origine, la compagnie avait un autre nom : elle est devenue le groupe Vertigo avec l’arrivée de Bérangère, en 2010. « Groupe » rejoint l’idée de géométrie variable : des points centraux où l’on peut engager des gens qui reviennent en fonction des projets. L’idée de « groupe » a aussi un sens un peu actif qui nous plaisait bien. « Vertigo », c’est d’abord Hitchcock et, dans son film, l’effet de cinéma qui s’appelle « l’effet vertigo ». Cela consiste en un travelling arrière avec un zoom avant ou inversement, ce qui crée une espèce de vertige et de changement de rapport à l’objet, alors que rien n’a bougé, seulement notre regard. La question du vertige nous intéresse : c’est un terme qui évoque très bien le théâtre, c’est-à-dire un aller-retour entre conscience et abandon. Une partie du travail consiste à être lucide et une autre à s’abandonner, se lâcher à l’intérieur de la chose construite. Il y a également les consonances du mot, le fait que le groupe Vertigo nous évoquait un petit groupe de résistants qui a mis une bombe sur des rails. [Rires]

Backlash groupe Vertigo
Backlash, groupe Vertigo, jeu Philippe Bodet. Théâtre l’Archipel à Fouesnant. Photo : Caroline Ablain.

Unidivers – Au sein de la compagnie, il y a un intérêt pour les textes contemporains, notamment britanniques : pourquoi cette volonté de mettre en scène ceux-ci ?

Guillaume Doucet – Oui, c’est complètement central. Contemporain, c’est parce qu’on veut absolument parler du monde d’aujourd’hui, de sujets d’aujourd’hui, avoir un rapport très direct au monde. Pour les textes britanniques, il y a plusieurs raisons. L’écriture anglaise est une espèce d’entre-deux : elle raconte des histoires, mais avec une langue ciselée qui se sert de la présence des spectateurs, du moment de cet art unique. Raconter quelque chose à des personnes dans un espace réel et vivant et, en même temps, avec beaucoup de fiction. Et puis, il y a un rapport très fort avec l’actualité, en prise avec le réel, beaucoup plus discuté dans l’espace public et j’aime beaucoup ça. Sur le pouls du monde, il y a un retard dans l’écriture française parce qu’il y a aussi une idée de l’artiste inspiré, qui a nourri son œuvre pendant longtemps. En Angleterre, c’est beaucoup plus cash, mais aussi avec de l’humour : la critique sociale et l’ironie du pince-sans-rire. On partage à la fois cet humour-là, cette virulence politique en prise avec le réel et cet entre-deux de formel et de storytelling.

Unidivers – Il est beaucoup question du « plaisir du jeu » au sein de votre compagnie : comment le traduisez-vous dans vos créations et votre travail avec les interprètes ?

Guillaume Doucet – Faire des choix doit être un plaisir partagé : c’est une manière de ne pas snober le public ni de l’ennuyer. Il n’y aucune forme d’intimidation intellectuelle, pas de démonstration didactique. Et puis, on parle beaucoup de ce que Meyerhold appelait la « joie créatrice » : lorsque l’on est confronté à un film, une histoire, un roman génial, même si le sujet est hyper dark, il y a une espèce de joie, de plaisir de l’écriture, des bons mots… Pouvoir partager au public ensemble cette complicité-là, y compris quand le sujet parle des masculinistes et que c’est insupportable.

Backlash groupe Vertigo
Backlash, groupe Vertigo, jeu Philippe Bodet. Théâtre l’Archipel à Fouesnant. Photo : Caroline Ablain.

Unidivers – Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la représentation d’un point de vue masculiniste dans la pièce de Penelope Skinner

Guillaume Doucet – J’avais commencé à m’intéresser à cette thématique parce que, au sein des réflexions féministes, avec une place d’allié, il y a l’envie de laisser ça à des copines. S’occuper du contrecoup mascu [masculiniste, ndlr] était un sujet dont j’étais peut-être plus légitime de m’emparer. C’est aussi le fait que ça soit très peu médiatisé par rapport à l’importance que ça a. Pauline Ferrari en parle dans son livre Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux. Elle crée le profil d’un jeune de 17 ans et like deux ou trois trucs et, en 7 minutes, elle est sur du contenu mascu dur.

On parle de Zemmour et tout ça, mais ça se répand beaucoup plus que ça, sans que l’on sache que ça vient de là. Par exemple, le « on ne peut plus rien dire », on a l’impression que c’est une phrase apparue comme ça, dans les bistros ou les discussions de famille, mais non. C’est une expression et une pensée délibérément insufflée d’abord par les mascu, la droite et l’extrême droite. Il y a plein de pensées qui sont en train de nous envahir sans qu’on en voit la provenance.

Il y avait l’envie absolue d’en parler, de montrer que ça arrive dans l’espace public. Parce que plus on les repère, plus on peut nommer les propos mascu. Pouvoir dire d’où ça vient, qu’est-ce que c’est et qu’est-ce qu’il y a dessous. Backlash est très bien écrit et plein d’humour : je considère que mon travail est de passer par la fiction, par l’empathie. Claude Régy parle de « faire passer de l’être, pas du discours » : dans la pièce, on voit un pauvre type qui se fait avaler par ce mouvement, on comprend comment ça fonctionne de l’intérieur. On saisit aussi très bien que le point de vue de la mise en scène n’est pas un point de vue mascu. Le point de vue est à la fois d’un féminisme sans concession et très intelligent, mais en même temps, ce n’est pas uniquement un discours. Pauline Ferrari va traquer, va faire un travail de journaliste. Le nôtre c’est de raconter des histoires. 

Unidivers – Pourquoi avoir choisi le titre Backlash plutôt que le nom d’origine de la pièce ?

Guillaume Doucet – J’avais très envie que ce soit ce mot-là qui soit affiché publiquement, qu’on en parle, qu’on s’interroge sur sa définition. J’avais besoin que ce mot soit présent. La première fois que j’ai rencontré Penelope Skinner, elle était avec Donald Sage Mackay qui a joué le rôle et qui est son compagnon. C’est une des premières choses que je lui ai demandées dans la conversation. « J’ai un truc à vous dire : on ne va rien changer au texte sauf.. le titre ! » [Rires] Ils ont adoré, ils ont trouvé que c’était un meilleur titre. À partir de là, tout allait bien.

Backlash groupe Vertigo
Backlash, groupe Vertigo, jeu Philippe Bodet. Théâtre l’Archipel à Fouesnant. Photo : Caroline Ablain.

Unidivers – Comment le travail de création a-t-il été abordé avec Bérangère Notta ?

Guillaume Doucet – La particularité de Bérangère, c’est qu’elle a beaucoup de postes dans la compagnie. Elle fait autant de l’assistanat que de la mise en scène, de la régie générale, de la régie vidéo, de la scénographie, des ressources humaines, de la direction de production… On a trouvé ce terme de « conception » fidèle à la réalité : à l’intérieur, c’est notre tambouille. 

Unidivers – Et avec Philippe Bodet ?

Ça fait trois mois que Philippe joue à Paris et que les gens sont scotchés, il y a plein de gens qui ne le connaissaient pas en tant qu’acteur. Je trouve que ce type est extraordinaire, il est fabuleux de sensibilité et d’intelligence humaine. Je pense que c’est la première raison d’aller voir la pièce. On a choisi la pièce ensemble, on a pensé la pièce pour lui. C’est une discussion permanente : comment arriver à faire sentir ce qui est en train de se passer à la fois pour Danny, le personnage, qui se fait embrigader et, en même temps, le point de vue de l’autrice et du comédien qui se rejoignent, évidemment. Philippe est au cœur du processus de création. Tout se joue là-dessus : il n’y a que lui. C’est aussi une performance d’acteur pour lui.

Unidivers – Dans Backlash, on peut observer une prise de position scénographique avec projections vidéos. Qu’avez-vous voulu mettre en évidence avec l’utilisation de ce médium ? 

Guillaume Doucet – Il y a deux choses dans les vidéos projetées. D’abord, les vidéos mascu en elles-mêmes, qui sont projetées en même temps et qui sont intégrées à la scénographie. Tout le reste, c’est le décor, l’ambiance, l’atmosphère de la pièce. C’est vraiment tranché : on y va vraiment fort dans les couleurs, dans les images. L’écran prend toute la taille de la scénographie et vient jouer avec les couleurs : on peut avoir le corps de Philippe Bodet bleu ciel et l’ensemble de l’espace derrière rouge bordeaux. 

Unidivers – Quelle part la création sonore prend-elle dans cette pièce ?

Guillaume DoucetMaël Oudin a fait la création sonore. Il travaille beaucoup pour le cinéma et la commande était de faire une création semblable au cinéma, c’est-à-dire d’avoir une bande-son continue. Il y a des plages de silence mais ce n’est pas par défaut du silence, c’est parfois un évènement musical. On avait envie d’être baignés dans la scène : quelques fois, le son a une fonction plus narrative, mais aussi une fonction atmosphérique. Il y a tout un jeu qui est plus proche du cinéma que ce dont on a l’habitude au théâtre, c’est une vraie envie que l’on avait pour accompagner la pièce.

Backlash, groupe Vertigo.

Unidivers – Le spectacle est en lien avec la programmation de Sirennes : que pouvez-vous dire des liens thématiques avec ce spectacle ?

Guillaume Doucet – Ce n’était pas exactement par rapport à la science fiction, mais plus par rapport à une forme d’anticipation, à l’idée de « voir venir ». Je pense que tout le monde voit la montée de l’extrême droite arriver, pas seulement en tant que parti, mais également leur propos dans l’imaginaire collectif. Ça, c’est quelque chose qui peut déjà être un peu dystopique. Par exemple, quand j’entends Macron parler de réarmement démographique, ça me fait penser à The Handmaid’s Tale… Il y a quelque chose comme ça dans l’air que Sirennes associe à ce spectacle dans cet état d’esprit là, un regard sur les dangers qui pourraient nous guetter.

Unidivers – D’autres représentations sont-elles prévues pour Backlash en 2024 ?

Guillaume Doucet – Nous jouerons Backlash le 15 mai 2024 au Mans, à EVE qui est la scène universitaire du Mans, dans le cadre du temps fort Le Genre en question.

Unidivers – Avez-vous d’autres créations en diffusion ou en création pour cette année 2024 ?

Guillaume Doucet – En diffusion, il y a un spectacle, L’affaire Anaïs Gourvais, une affaire de justice et de harcèlement. Le spectacle se joue dans les établissements scolaires. Puis, il y a des projets en germe : Bérangère Notta a un projet de mise en scène, Déserteuses, qui est sur les nullipares – ce mot est horrible mais ça fait partie des sujets du spectacle – c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas d’enfant et, en particulier, les femmes n’ayant pas d’enfant par choix. Elle voulait travailler là-dessus depuis un moment et, en entendant la question du réarmement démographique, elle a décidé de l’appeler Déserteuses ! [Rires] Ce n’est pas encore en création, notamment parce que l’on est dans un moment très étrange où toutes les compagnies sont dans une énorme galère financière et de production. Il y a quand même toute une partie de notre écosystème qui est en train de s’effondrer. Les nouvelles coupes budgétaires vont sans doute l’achever, le Covid a un peu accéléré les choses. Il y a aussi la baisse de dotation de l’État aux collectivités et, en parallèle, l’augmentation des charges, type de chauffage etc. Tout cela a mis un grand coup, invisible du grand public, mais qui conduit beaucoup de lieux à réduire drastiquement leurs budgets de production. Il y a plein de tribunes qui se signent en ce moment. On est dans cette période un peu particulière, dans la fin d’un système. Ça serait bizarre de ne pas en parler car c’est notre préoccupation majeure, au quotidien, en parallèle du succès de Backlash, qui va très bien.

Unidivers – Je vous remercie Guillaume Doucet. 

1 « Le ‘Backlash’ c’est quoi ? », Tilt !, le 07/03/2023.

Backlash de Bérangère Notta et Guillaume Douvet, avec Philippe Bodet

Le 9 avril 2024 au Tambour, Université Rennes 2

À 20h / Durée : 1h10 / À partir de 15 ans 

Tarifs : 15€ / 5€ / SORTIR ! 3€ /Gratuit pour les étudiant·es des universités de Rennes

Billetterie 

Groupe Vertigo : site officiel / instagram / facebook

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