Le festival Politikos entend donner un coup de projecteur sur les films consacrés à l’exercice du pouvoir du 1er au 4 novembre au Couvent des Jacobins de Rennes. À la clé : l’élection du meilleur long-métrage politique (documentaire ou fiction, sous forme de film ou de série). Pour cette première édition très (trop ?) subventionnée, les invités s’avèrent à la fois prestigieux et conventionnels. Suffiront-ils à réfléchir les différents aspects de « l’exercice du pouvoir » ? À n’en pas douter selon Jean-Michel Djian, le président du festival Politikos et documentariste auteur de « Hollande, le mal-aimé ». Décryptage d’un festival très politique et très médiatique…

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Affiche du festival Politikos

Quel est l’objet officiel de ce festival ?

Le film politique consacré à l’exercice du pouvoir. « L’objectif est d’attirer les gens qui se posent des questions sur le pouvoir et la politique », résume Jean-Michel Djian, président du festival Politikos. Allier cinéma et politique afin d’aiguiser la curiosité des Rennais, voilà l’ambition de l’équipe. Dans ce cadre, onze films ont été sélectionnés. « C’est un projet qui n’a qu’un an à peine. La mise en scène du pouvoir passionne les Français, mais, paradoxalement, cet angle du politique n’est que rarement abordé, à part dans quelques magazines ou études », estime Jean-Michel Djian. D’où la présence de cinéastes et de journalistes spécialisés. C’est aussi l’occasion de fêter les 60 ans de la Ve république. Au menu : de nombreux débats sur le pouvoir et son exercice. D’où la présence de plusieurs acteurs politiques. Le festival Politikos prend donc appui sur deux jambes : cinéma et politique. Mais, le cinéma va-t-il faire politique ou le politique faire (encore une fois) son cinéma ?

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Les 11 films en compétitions au festival Politikos

Organisation et système

En tête d’affiche, l’ancien président de la République François Hollande auquel Jean-Michel Djian a consacré un documentaire flatteur intitulé « Hollande, le mal-aimé ». Malgré un quinquennat peu glorieux et un net rejet par les Français*, François Hollande se verrait bien de nouveau à l’Élysée en 2022 ; il soigne sa communication littéraire, audiovisuelle et festivalière à cet effet. À ses côtés, l’ancien président médiatique de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, lequel a toujours affectionné les caméras, les vins du Sud-Ouest ainsi que Chirac (puis Emmanuel Macron avant de s’en éloigner). Tous deux, ils débattront des métamorphoses du pouvoir sous la Ve république. Un moment de communication d’une rare intensité intellectuelle en perspective ? Rendez-vous à l’auditorium du couvent des Jacobins, le jeudi 1er novembre, à la fin de la projection du film De Gaulle, Le Dernier Roi de France prévue à 19h30. L’occasion sans doute de rappeler que le grand Charles n’affectionnait pas particulièrement le régime des partis…

Parmi les autres invités : Adrien Quatennens (France Insoumise), Najat Vallaud Belkacem (PS), Hervé Berville (LREM) ou encore Xavier Bertrand (anciennement Les Républicains). Tous les partis politiques sont représentés hormis l’extrême-droite, l’extrême-gauche, les écolos et les petits partis méconnus et/ou non-médiatisés. « Nous voulons parler de pouvoir et non de contre-pouvoir », clarifie Jean-Michel Djian. De fait, dans ce choeur uni aucune voix n’apparait dissonante. Souhaitons, alors, que ces débats ne servent pas à promouvoir des idées politiques, tel ou tel parti ou livre ou candidature à venir, voire la promotion de sa propre personne (sacrée ou non)…

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Les discussions seront animées par des journalistes tels Ariane Chemin, grand reporter au Monde, ou la distrayante Nathalie Saint Cricq, responsable politique à France 2. Stéphane Vernay, journaliste à Ouest-France, partenaire média du festival, viendra mettre une touche d’exotisme provincial parmi ces sympathiques représentants du Gotha médiatique parisien.

Gageons également que ces débats politiques ne feront pas écran à la projection des films des réalisateurs sélectionnés pas plus que les performances des acteurs invités (tel le communiste bon teint Jean-Pierre Darroussin). Politikos est un festival de cinéma avant tout. Certes. Même si aucun critique de cinéma n’a été invité à participer aux débats… « C’est une première édition, nous saurons ce qui était bien ou pas après. Il y aura forcément un manque quelque part » rassure Jean-Michel Djian.

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39 films projetés durant Politikos

Le jury de Politikos est présidé par Frédéric Mitterrand ; il ne manquera pas d’y apporter sa touche d’intelligence et sa solide expérience en matière de cinéma et de politique. Il règnera sur des jurés inexpérimentés : 10 étudiants en Science politique issus des différentes régions de France. « On veut tout faire pour que des jeunes s’intéressent à notre événement », précise Jean-Michel Djian. De fait, tout l’enjeu n’est pas d’attirer un public déjà politisé curieux de la question de la représentation du pouvoir, mais « un public éloigné ». (Une louable intention qui – faut-il tout de même le rappeler – préside à quasiment tous les événements de ce genre, surtout quand il sont subventionnés.) Afin de réussir ce pari « d’aiguiser l’esprit critique d’une population qui est en manque d’aiguillage, l’équipe du festival a travaillé avec l’association Unis-Cité pour attirer tous types de jeunes. »

C’est ainsi que les événements proposés par le festival Politikos ne se limitent pas aux débats et aux projections. Ils se doublent de cafés politiques qui auront lieu à 15h dans le Couvent des Jacobins ainsi que des dédicaces les après-midi à partir de 13h30. Reste à voir en pratique la profondeur d’ouverture et le pluralisme, réel ou feint, de ces débats et autres conférences dont les thèmes s’avèrent de fait intéressants. Enfin, une exposition se concentre sur des photos en rapport avec l’exercice du pouvoir (avec 345 images, dont certaines inédites, de la collection de l’AFP). Toujours dans le but de rendre accessible la politique à tous, cette expo devrait ensuite circuler dans les milieux scolaires.

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39 films projetés durant Politikos

Un festival sur fond de polémiques

« Nous n’avons connu aucun répit », déplore Jean-Michel Djian. Il faut dire que l’attribution fin juin, comme l’a détaillé Unidivers le 4 juillet, de plusieurs centaines de milliers d’euros de subventions – dont la région (190 000 €), Rennes Métropole (100 000 €) et le département (30 000 €) – a fait grincer des dents. D’une part, l’importance du montant en a surpris plus d’un, a fortiori s’agissant de la première édition d’un festival. D’autre part, les invités, à l’image des animateurs et de l’équipe encadrante, peuvent paraître tellement parisiano-médiatico-star-system que la question se pose d’organiser en province ce festival que certains estiment hors-sol. Dans cette veine, les associations bretonnes spécialisées dans le domaine audiovisuel et politique ont regretté ouvertement de n’avoir pas été associées à un tel projet centré sur le film politique (certaines organisent en réaction et en parallèle un festival POLITIK’OFF, notamment au théâtre de la Parcheminerie). Quant à la mairie de Rennes, elle a refusé tout bonnement de contribuer financièrement.

Jean-Michel Djian

On touche ici l’ambiguïté et le cœur du problème de la mise en place de Politikos par Jean-Michel Djian. D’un côté, tout citoyen épris de démocratie espère sincèrement que ce festival concrétise ses aspirations : déconstruire et éclairer, ne serait-ce en partie, le fonctionnement de la fascination des Français pour l’exercice du pouvoir. Un projet fort utile alors que la société française prend l’eau et que les coutures de la Ve République n’en finissent pas de craquer. Mais, si tel est l’objectif, le parterre d’invités ne mériterait-il pas une plus grande variété de profils et de sensibilités ? De l’autre, son organisation outrecuidante fait craindre à plusieurs Bretons – toutes orientations politiques confondues – qu’il se résume à un long week-end de cocktails onéreux organisé en Bretagne aux frais de la duchesse pour les copains de Paris et de la Hollandie. Dans tous les cas, 400 000 euros de subventions et le soutien des partenaires médias, France 3, Ouest-France et Le Point sont utiles.

Jean-Michel Djian
Jean-Michel Djian

« On a toujours été transparent sur tout », se défend Jean-Michel Djian, sans pour autant détailler son propos. Le journaliste documentariste estime aussi que les critiques sur un festival « trop parisien » sont injustifiées : « Je viens de la Bretagne. Si on avait voulu le faire à Paris, on l’aurait fait à Paris. Ça aurait été même plus simple ». Dernière critique soulevée par les opposants contre la tenue de ce festival : la rémunération des invités. « C’est une fake news », conclut sans ambiguïté Jean-Michel Djian.

Bref, le festival Politikos connait une grosse pression pour son lancement. Gageons que la réussite de son déroulement lèvera en partie les présentes réserves. Du reste, Jean-Michel Djian réfléchit déjà à un deuxième round en 2019. Une nouvelle demande de subventions rencontrera-t-elle le même élan, spontané et généreux, dont ont fait montre les élus bretons, métropolitains, départementaux et régionaux ? À n’en pas douter si la candidature de François Hollande à la présidentielle de 2022 est d’ici là confirmée. Mais est-ce bien crédible ?

* Selon une enquête IFOP pour Le Figaro au mois d’août 2018, seulement 17% des Français souhaitent que François Hollande soit candidat à la présidentielle de 2022. Un sondage Odoxa-Dentsu consulting du mois d’octobre 2018 pour franceinfo et le Figaro dresse le classement des meilleurs Présidents. Le général de Gaulle a volontairement été écarté de l’étude, laquelle a uniquement pris en compte les quarante dernières années. François Mitterrand arrive en tête (31%) devant Jacques Chirac (26%), Nicolas Sarkozy (14%), Valéry Giscard d’Estaing (13%), Emmanuel Macron (10%), François Hollande (4%).

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Informations transmises par l’équipe du festival le 4 novembre :
Pour cette première édition, 6000 personnes ont participé au festival. 55% des festivaliers sont venus de l’ensemble du territoire national.
Les films primés
Première campagne d’Audrey Gordon (2018)
Plus jeune journaliste du service politique de France 2, Astrid Mezmorian couvre sa première élection présidentielle. Elle suit le plus jeune des candidats, qui vit lui aussi sa première campagne… Et qui va devenir le prochain président de la République.
An Insignificant Man de Khushboo Ranka et Vinay Shukla (2016)
Le lancement et l’essor rapide du parti politique indien Aam Aadmi Party (AAP) décidé à défier la corruption qui pollue la plus grande démocratie du monde. Nous assistons à l’ascension spectaculaire de l’activiste Arvind Kejriwal et de son parti, à ses moments de doute et à ses succès.

Un article de Nicolas Roberti et Alexandre Hodicq

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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