La Centrifugeuse du poulpe est le laboratoire artistique de la compagnie de théâtre rennaise Kali & Co. Implanté dans les futures Halles en commun de la capitale bretonne, l’antre de l’octopode voit grandir depuis mars 2023 la dernière création de la Cie : Un Poulpe peuple la ville. Deuxième volet d’une trilogie initiée en 2019, elle est de nouveau portée par des comédiens sans formation professionnelle et interrogera ce qui nous lie… En collaboration avec Les Tombées de la nuit, la compagnie propose de découvrir la première étape de la création en cours lors d’une générale samedi 7 septembre à la prison Jacques Quartier.

Une effervescence nouvelle agite le quartier de la Courrouze depuis plusieurs mois. Derrière les barrières blanches de l’ancienne chaufferie industrielle Euro-Shelter, associations et structures locales se sont installées, de manière éphémère ou pérenne selon les projets, dans les algecos et hangars… Prochainement, les clôtures de fer tomberont et un foisonnement de vie culturelle et d’économie sociale et solidaire, que l’on nomme les Halles en commun, accompagnera la vie de ce quartier en plein développement. Au cœur de cette friche en pleine réhabilitation, la compagnie de théâtre du cru Kali & Co a trouvé l’écrin idéal pour mettre en forme sa prochaine création. Surnommé La Centrifugeuse du poulpe, l’espace renferme en son sein les coulisses d’un nouveau spectacle aux prémices de sa création, Un poulpe peuple la ville. Le deuxième volet de la trilogie débutée avec Le Rance n’est pas un fleuve (2019-2021) interrogera les liens, ceux qui nous accompagnent depuis notre naissance, mais aussi ceux que l’on choisit et que l’on crée au fil de notre vie.

Le poulpe Kali & Co ne possède pas huit tentacules, mais plus d’une dizaine. Supervisée par le metteur en scène Massimo Dean, fondateur de la compagnie en 2004, et la coordinatrice Céline Bouteloup, la troupe est actuellement composée des comédiens et comédiennes Asma, Emmanuelle, Myriam, Katy, Marc, Jérôme, Ema, Klem, Eria et Tamara. Tous et toutes œuvrent à la mise en scène d’Un Poulpe peuple la ville. L’équipe, dont la plupart des membres étaient déjà présents dans le premier spectacle, fait la richesse et l’originalité de la compagnie rennaise.

Kali & Co s’inscrit depuis ses débuts dans un théâtre au plateau classiquement contemporain, mais le désir de Massimo Dean à travailler avec des comédiens non formés professionnellement l’a amené à des endroits atypiques et singuliers de la création artistique. En 2018, il collabore notamment avec le lycée de Bréquigny dans le cadre du festival Mythos. 200 élèves et étudiants avaient alors travaillé sur un texte inédit que leur avait écrit l’artiste italien engagé Ascanio Celestini. « Le travail avec des non professionnels permet de travailler directement avec l’humain et avec des personnes qui n’ont pas encore construit leur posture d’interprètes, qui ne sont pas façonnées par une formation », déclare Céline Bouteloup, coordinatrice de la compagnie.

Attaché à ce jeu plus à vif, authentique, le binôme commence ainsi une aventure de création théâtrale dont la singularité est de travailler avec des personnes avec qui le monde du théâtre ne travaille pas habituellement. « Quand on reste ce qu’on est, c’est là que ressort la poésie de chacun », exprime-t-elle. C’est une manière pour eux de ne pas être enfermés dans la boîte noire et sacrée que peut représenter le théâtre, « d’être au monde artistiquement et de rester en lien avec ce qui l’entoure ».

compagnie kali&co
© Richard Louvet

En 2019, le metteur en scène, alors rejoint par Céline, se lance dans un projet aussi ambitieux que singulier. Le binôme rassemble dix personnes sans formation théâtrale (Asma, Emmanuelle, Myriam, Katy, Marc, Jérôme, Chris, Thomas, Tiago et Anne-Laure) qu’il met en relation avec des artistes professionnels dans le but de créer un objet artistique, Le Rance n’est pas un fleuve. « Pour nous, ce n’est pas une création amateur ou un projet participatif à destination des amateurs », souligne la coordinatrice. « C’est une création avec des comédiens à la base non professionnels, qui ont une appétence pour le théâtre, une force, mais à qui on ne laisse pas la place. » Pendant les trois ans que dure la création, Kali & Co crée une dynamique qui trouve sa source dans les personnes issues des marges, qui ont été ou sont en rupture avec la société, avec une grande hétérogénéité.

Non formée, la troupe se professionnalise néanmoins au fur et à mesure de l’avancée de la création. Elle expérimentera même le jeu au plateau en se produisant sur la scène du TNB en 2022. Une aventure extraordinaire qui aura le mérite d’ouvrir à un plus large public un milieu parfois enfermé dans un entre-soi.

centrifugeuse du poulpe
Le Rance n’est pas un fleuve, représentation mars 2022 au TNB © Richard Louvet

Un poulpe peuple la ville reprend le schéma qui a fait le succès de Le Rance n’est pas un fleuve. « Plus de la moitié des comédiens et comédiennes du premier volet seront présents. » Alors que le premier interrogeait l’humanité dans des parcours de vie individuels, le second s’attachera à ce qui nous lie, les liens familiaux et d’où on vient, les liens qu’on recrée et les familles qu’on se crée.

À chaque nouvelle création, Massimo Dean aime faire appel à des auteurs connus. L’auteur Yvon Le Men et le musicien Arnaud Méthivier complétait l’équipe du premier volet, l’autrice Jeanne Benameur et la chanteuse de rock Laetitia Sheriff intègrent le processus créatif du deuxième. « Jeanne Benameur avait eu vent de l’aventure et avait lu le livre d’Yvon Le Men [Les Épiphaniques, ndrl.]», précise Céline. « Jeanne a quelque chose de profondément humain et son écriture est douce. » En charge de l’écriture d’un récit comme Yvon Le Men avant elle, l’autrice livrera son texte en février 2024. Ce dernier sera ensuite adapté en pièce de théâtre par le metteur en scène. Quant au choix de la musique : « On voulait aller à un autre endroit et l’univers de Laetitia pouvait amener quelque chose de différent », informe Céline. « Le rôle du musicien est très important pour des personnes qui n’ont jamais fait de théâtre, il donne de l’assise au jeu. »

centrifugeuse du poulpe
Répétition en plein air avril 2021

Durant le premier semestre 2023, le mollusque des halles en commun a déployé ses « tentacules » lors de résidences artistiques ouvertes au public : une première à domicile, une seconde dans l’ancienne prison de Jacques Cartier et une troisième au centre hospitalier Guillaume Régnier. Jeanne Benameur viendra à chacune d’entre elles pour s’imprégner de l’ambiance, de l’effervescence. Mais le récit n’est pas une biographie, mais bien une fiction.

En mars, les comédiens et comédiennes étaient en plein « travail à la table ». Ils s’exerçaient sur trois textes de Jeanne Benameur afin de s’initier à son langage. Le travail de mise en corps a commencé en juillet.

Dans le sillage de César doit mourir des frères Taviani, dont les rôles sont interprétés par des détenus guidés par le metteur en scène Fabio Cavalli, du spectacle Un Poulpe peuple la ville naîtra également un long métrage. Cette création à part entière prendra la forme d’un docu-fiction à l’ancienne et répondra à un désir que Massimo Dean possède depuis 20 ans. Pour ce faire, la compagnie a fait appel à Mélanie Schaan et Corentin Leconte. « Ils verront comment construire un scénario à partir du texte de Jeanne Benameur », indique-t-elle. « Ils viendront parfois nous filmer, et d’autres fois, ils prendront des scènes qu’on rejouera dans des endroits de Rennes. » Le poulpe étendra ainsi ses longs tentacules à plusieurs endroits de la capitale bretonne, véritable terrain de jeu de Kali & Co. Et prochainement, ce sera à la prison Jacques Cartier. Malheureusement la représentation du dimanche 10 septembre est déjà complète, mais il reste encore des places pour samedi 7 septembre, à 17h. Attention la jauge est limitée.

À l’instar de sa présence à la prison Jacques Cartier, le poulpe compte aussi déployer ses tentacules dans le quartier de La Courrouze afin de rendre accessible son repaire, en écho avec la ligne directrice de sa compagnie. Lieu d’accueil du spectacle Buffet à vif de Pierre Meunier, Marguerite Bordat et Raphaël Cottin, l’invitation a permis de mettre un premier pied dans l’antre du poulpe, mais le laboratoire de l’octopode n’est pas voué à devenir un lieu d’accueil et de programmation. « Il existe d’autres espaces pour ça. La centrifugeuse a vocation à accueillir des initiatives ou des événements qu’on organise par rapport à un public ciblé et en lien avec notre projet. » Tous les mardis matins, le lieu accueille notamment Breizh Insertion Sport et Colin Phillebeaux, éducateur sportif détaché 6h par semaine, dans le but de proposer un laboratoire de musique avec le quartier. L’après-midi sera dédiée à la répétition pour que la population du quartier ait un endroit avec du matériel où pratiquer de la musique.

Samedi 7 septembre 023, La Centrifugeuse du poulpe, à la prison Jacques Cartier, 15h et 17h.

Création Un poulpe peuple la ville, avec :
La Ville de Rennes et Rennes Métropole, le Département d’Ille-et-Vilaine, La Région Bretagne, la DRAC Bretagne, le Haut commissariat à la lutte contre la pauvreté, Territoires publiques, Les Halles en commun le TNB, Les Tombées de la Nuit, le CNCA -SeW Morlaix, Les Champs Libres, l’Hôtel Pasteur, Breizh Insertion sport, l’Unité Mobile précarité-Psychiatrie, le CHGR, l’ASFAD, le CLPS, le Relais Centre ville, le SEA35, l’AIS35, l’ADSAO, LE GEM trait d’Union, l’Université Rennes 1 et Rennes 2, le SEW, Mille et Une. films

Réalisation vidéo : Hermine Marcotte

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