Rennes d’hier, aujourd’hui : l’imprimerie de la famille Oberthür. Le paysage urbain de la capitale bretonne évolue sans cesse. Coup de projecteur sur l’ancienne imprimerie Oberthür, bien connue pour ses almanachs postaux.

Imprimerie Oberthur
Photo Anonyme, 1901.

L’ère de la vapeur et du charbon

Construite par la famille alsacienne Oberthür, fraîchement arrivée à Rennes, l’imprimerie familiale ouvre ses portes en 1852. Au tout début du Second Empire, Napoléon III  s’autoproclame empereur des Français. Ce dernier (associé de ses gouvernements successifs) développe l’économie du pays en s’appuyant sur les innovations de l’époque. En effet, le XIXe est un siècle de progrès technique. L’Europe est le siège de mutations rapides dans le domaine industriel (métallurgie) et énergétique (extraction du charbon, machine à vapeur, chemin de fer). Ces nouvelles technologies ont un impact direct sur les conditions de vie des habitants. La population ouvrière augmente, les conditions de vie s’améliorent doucement, l’éducation se développe et entraîne avec elle une meilleure alphabétisation des foyers. La loi Guizot, promulguée en 1833 (précurseur de la loi Jules Ferry), en est un exemple, en organisant et structurant un meilleur enseignement primaire et supérieur.

La diffusion des écrits est, de fait, une évidence. Ainsi, loin de l’industrialisation massive de sa voisine Nantes, Rennes voit naître plusieurs petites imprimeries. Au fil des époques et des agrandissements de la structure, les architectes de l’usine sont au nombre de trois : Martenot (1828-1906, connu pour ses halles rennaises, place des Lices), Jobbé-Duval (1846-1929, gendre de l’imprimeur Oberthür) et Coüasnon (1868-1941).

Imprimerie Oberthur
Anonyme.

L’almanach illustré : une réussite familiale

En 1854, François-Charles Oberthür a une idée nouvelle : illustrer de gravures les annuels calendriers de la poste. Cette édition enrichie de l’Almanach annuel postal classique fait fureur à l’époque. Les almanachs sont sertis d’imagerie populaire, une forme d’art graphique qui naît en Bretagne dans la deuxième moitié du XIXe. Ces images pieuses ou moralisatrices ont autant une fonction de transmission de valeurs que de décoration, car l’almanach est souvent accroché au mur de la pièce commune, à côté de la photo de famille (pour les familles les plus riches). Il est à son échelle un petit vecteur de connaissances. Ce calendrier devient progressivement un objet témoin de la société française entre le XIXe et le XXe siècle.

L’almanach du facteur repose sur deux techniques d’impression : typographique (pour les textes) et lithographique (pour les images). La typographie repose sur un procédé très simple : les lettres sont gravées sur une surface, assemblées afin de former des mots puis trempées dans l’encre. L’impression se fait par pression de l’encore sur le papier. C’est la technique la plus classique et la plus connue d’impression. La lithographie (à ne pas confondre avec la lithogravure) repose sur un principe de répulsion entre l’eau et une encre grasse : les dessins (ou tracés) sont faits sur une pierre calcaire puis imprimés de façon limitée sur le papier.

Calendrier Oberthur
Calendrier Oberthur de 1854

À Rennes, le chemin de fer est mis en place en 1857 et permet une grande diffusion des almanachs aussi bien à l’échelle nationale que dans la campagne bretonne (en effet, le train traverse Rennes, reliant Paris à Brest). L’imprimerie Oberthür obtient progressivement le monopole de production des almanachs sur la France entière en 1860. Dix ans plus tard, en 1870, la concurrence arrive en grande pompe sur le marché des almanachs. La famille Oberthür reste leader de la production, mais perd le monopole. Afin de rester suffisamment compétitive, l’entreprise élargit son offre : impression d’agendas, d’annuaires téléphoniques, preuve d’une démocratisation des lignes téléphoniques dans les foyers les plus riches, mais aussi de manuels scolaires. Là encore, témoignage d’un essor de l’éducation dans la société française. Ces produits phares font, sans aucun doute, le succès de l’imprimerie.

L’usine est dirigée par une structure familiale très forte (François-Charles Oberthür s’associe avec son fils en 1865 afin de gérer l’imprimerie) et une politique sociale paternaliste active, instaurant ainsi un socle de valeurs communes aux ouvriers. François-Charles ouvre notamment une école d’apprentissage qui forme les ouvriers à l’imprimerie. Une partie du personnel est embauché dès le départ sur une maîtrise de l’écriture (pour le texte) et de l’art (pour les gravures et illustrations) faisant ainsi des imprimeurs, une certaine élite ouvrière. L’industrialisation et la réussite économique de l’imprimerie transforment le paysage du quartier rennais où elle se trouve. Les salariés les plus riches se font construire une maison individuelle dans ce que l’on nomme aujourd’hui le quartier Jeanne d’Arc, non loin de l’usine, favorisant la croissance urbaine de la ville.

Imprimerie Oberthur
L’imprimerie en 1944. Photo : Joseph Thouault

Le déclin

Si en 1940, elle tire des billets de banque pour la Banque de France et connaît un bel essor, l’usine familiale est vendue en 1960. Quelques années plus tard, le chiffre d’affaires baisse drastiquement. L’usine est définitivement liquidée en 1983 à la suite d’importantes crises financières, mettant 950 ouvriers au chômage. Le syndicat CGT décide alors d’occuper l’usine, en contestation. Le maire de Rennes Edmond Hervé demande à la CGT de cesser l’occupation des lieux. Fin décembre 1983, le syndicat accepte de se retirer de l’usine en échange d’engagements clairs de la part de la municipalité sur la prise en charge des ouvriers licenciés.

Oberthur aujourd'hui

L’entreprise Oberthür renaît alors, divisée en trois sociétés : Imprimerie Oberthür, Oberthür fiduciaire et les Éditions Oberthür. La dernière se relance à Cesson-Sévigné avec 60 salariés. En 1997, le nouveau directeur commercial Christophe Rault diversifie encore plus l’offre de la société, faisant ce qu’est aujourd’hui Oberthür : l’incontournable des fournitures de la rentrée scolaire.

Le temps où l’usine était en périphérie de la ville semble bien loin. Rachetée par la ville de Rennes, l’usine accueille ensuite des ateliers et bureaux. En 2015, Olivier Legris et son entreprise GHO Vannest rachète à la ville de Rennes les 5 200 m2 de l’usine. Après plusieurs années de travaux, l’usine Oberthür est inaugurée de nouveau en 2018. Les presses d’impressions ont fait place à de nombreux bureaux. Aujourd’hui, les murs de l’usine abritent entre autres l’ICG Business School, la crèche Les Zouzous rennais, le restaurant Le Panier vert, divers cabinets médicaux et différents bureaux administratifs, transformant cet espace en complexe administratif dynamique.

Le parc Oberthür

Parc Oberthur

Le parc Oberthür jouxte l’usine rennaise. Aujourd’hui accessible à tous, il n’en a pas toujours été. Le parc est réalisé par les célèbres frères Bühler en 1863 (connus pour avoir conçu le parc rennais du Thabor, mais aussi le Parc de la tête d’or à Lyon). Le parc est alors privé lors de l’ouverture de l’imprimerie, réservé à la famille Oberthür. Les fils, Charles et René, sont tous les deux passionnés, le premier des lépidoptères et le second des coléoptères. Le parc permet alors aux garçons d’enrichir leurs collections entomologiques. Ce parc devient une propriété municipale en 1960, cent ans après sa réalisation.

Parc Oberthur

Sources : Propos d’Éric Morin, dans le Dictionnaire du Patrimoine rennais, éditions Apogée.

https://www.oberthur.fr

Toutes les images d’archives sont tirées de la collection du Musée de Bretagne disponible ici. 

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