Régis debray dégagements
Dégagements de Régis Debray, éditions Gallimard, collection Blanche, 2010.

Réunissant ses articles publiés, jusqu’en 2010, tour à tour dans la revue Medium, puis successivement dans les Cahiers de médiologie puis dans Médiologie depuis 2007, Régis Debray nous donne à lire dans Dégagements une série d’analyses, comme des « échappées plus ou moins saugrenues que je livre au lecteur », écrit le philosophe. Ces Dégagements forment une suite d’observations de nombre de phénomènes de société, politiques, sociaux ou artistiques, déclinés dans la sphère médiatique dont beaucoup, selon Debray, ne restent traités qu’en surface, comme réduits à de simples épiphénomènes.

« [Mes observations] relèvent d’un mauvais esprit assez particulier qui consiste, quand un sage montre la lune, à regarder son doigt. Faire ainsi l’idiot, comme dans le conte chinois, est le vice propre au médiologue, dont il fait une vertu, et dont je fais mon miel, à tout bout de champ. » Et ce miel se déguste avec délice ! D’une écriture tour à tour amusée, caustique, ironique, cinglante, et toujours brillante, Régis Debray cerne les personnages, les attitudes et les modes des temps actuels qui meublent la vidéosphère : Obama, ce « Martin Luther King revu et corrigé par Harvard », idole des années 80 et de la politique mondiale, escorté d’adorateurs éphémères et de groupies de circonstance, escorté d’un Al Gore, révérend prêchant pour la nouvelle Sainte Église écologiste, relayé à l’époque dans l’hexagone par son épigone Yann-Arthus Bertrand à la dégaine de cowboy « Marlboro » et Nicolas Hulot, « émérite et prestigieux apôtre de la nouvelle religion audiovisuelle », Mickaël Jackson, icône planétaire célébrée dans un « Te Deum cosmique », éclipsant Bouddha et Jésus-Christ réunis…

Régis debray

Régis Debray dénonce une vision du monde où l’écrivain et le penseur, ces « has been » à stylographes et vieux dictionnaires, cèdent face au pseudo-événement, à l’artifice, au spectaculaire déclinés à longueur de tabloïds et d’articles de presse à sensation ou d’émissions de télévision prétendument populaires et informatives, où les cercles de pouvoir ont cessé d’être des cercles de pensée, où l’image cinématographique, télévisuelle et imprimée se fait d’autant plus creuse, insignifiante ou ambigüe qu’elle est démultipliée, spectaculaire et esthétisante, où « l’échelle des revenus est l’échelle des valeurs, seule unité de mesure », où c’est le film Avatar qui délivre un message quand Les Misérables, à présent comédie musicale, n’ont plus l’écho qu’ils portaient encore au XXe siècle.

Notre philosophe garde malgré tout sa capacité d’admiration et ce livre, heureusement, en porte aussi la marque. Ainsi Julien Gracq, géant littéraire, amusé de l’amnésie des temps modernes, « qui savait relier passé et présent avec la profondeur de temps de l’historien et du géographe ». Ainsi Daniel Cordier, proche de Jean Moulin, Résistant de la première heure, auteur de l’admirable recueil de Mémoires Alias Caracalla, mais trop peu entendu et écouté, hélas, des jeunes générations.

Régis debray dégagements
Dégagements de Régis Debray, éditions Gallimard, Folio, 2011.

Régis Debray achève son ouvrage en rapprochant la mort de deux intellectuels majeurs : l’un, homme de gauche, un temps promis au Panthéon par la droite, Albert Camus, l’autre, « une grande intelligence qui pourrait se dire de droite » et porté par la gauche, Claude Lévi-Strauss. Les célébrations posthumes et très officielles dont ils ont été l’objet au début des années 2000 ont ainsi renversé les images, sinon les idées. « La gloire est le deuil éclatant de l’exactitude » constate notre philosophe, mais, ajoute-t-il, « il faut être hypocrite avec les morts. Cela leur fait du bien et à nous, du même coup, qui respirons encore mieux en admirant qu’en vérifiant. » Régis Debray parle d’or. Et la leçon ultime de ce livre qui aspire « plutôt au bonheur de faire trace qu’au plaisir de faire sensation » nous est donnée là, juste et bienveillante.

Dégagements par Régis Debray. Éditions Gallimard, collection ‏Folio. Parution : 17 novembre 2011. 320 pages. Ce livre est paru initialement en 2010 en collection Blanche.


La revue Médium, interrompue en 2005, a été remplacée par Les Cahiers de Médiologie, puis Médium et Médiologie, visible sur le site, toutes revues créées et dirigées par Régis Debray.

Régis Debray publie également ses articles éditoriaux sur le site marianne.net


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