Ravel est un roman de Jean Echenoz qui raconte la vie du compositeur entre les deux guerres, au faîte de sa gloire, assombrie par le cruel déclin physique et mental, irrémédiable et tragique, du compositeur, sec et « grand comme un jockey », irrémédiablement solitaire et plongé dans la dépression pendant ses dix dernières années de vie, entre 1927 et 1937.

RAVEL ECHENOZ

Voilà un roman typiquement « échenozien », la phrase s’y fait précise, concise, sans fioritures ni longues digressions, technique même quand le romancier s’attarde sur la fascination de Maurice Ravel pour les machineries puissantes qui entraînent les navires transatlantiques sur lesquels notre musicien aime embarquer. Ravel, non content d’admirer l’horizon depuis le pont de ces vastes et luxueux navires, tient toujours en effet à plonger dans le ventre de ces monstres des mers dont « la chaleur et le fracas donnent une idée de l’enfer. » Et « le musicien a toujours bien aimé la mécanique et les usines, les fonderies et l’acier rougi. » Ravel est pareillement fasciné par les puissantes et clinquantes voitures comme cette « Stutz Bearcat décapotable, carrossée grenat-lavande avec pneus à flancs blancs » qui l’emmène à Hollywood. Subjugué aussi par les trains, dont il découvre le raffinement digne des paquebots de croisière, ces « flèches » ferroviaires américaines nommées « Zephyr , Empire State Express ou Santa Fe de Luxe. »

MAURICE RAVEL
1ère page du manuscrit musical de la « Fanfare » de Maurice Ravel de l’oeuvre collective « L’Eventail de Jeanne » (1927), manuscrit de la version pour piano à 4 mains ayant servi à la gravure de la partition aux éditions Heugel.

Jean Echenoz construit une biographie rigoureuse et sobre enrichie de détails d’une impeccable et implacable précision. Le romancier nous fait revivre un singulier musicien à la mise raffinée, un homme qui a été « le premier en France à porter des chemises pastel, le premier à se vêtir entièrement de blanc », un esthète « qui se déshabille puis après avoir hésité devant ses pyjamas, dans le rayon des verts et opté pour lui seul en faveur d’un émeraude plutôt que d’un véronèse, déplie l’un de ses vingt-cinq vêtements de nuit. » Un homme sanglé dans des costumes impeccablement coupés et portant chaussures vernies de dernier cri quand il est au milieu de brillantes réceptions, qu’il assiste à un concert ou conduit un orchestre. « Pendant les répétitions, il fait vive impression sur les instrumentistes en assortissant différemment, du jour au lendemain, les couleurs de sa chemise et de ses bretelles : une fois roses, une fois bleues. »

MAURICE RAVEL

En tournée aux États-Unis, c’est la gloire musicale et mondaine qui l’attend chaque soir. Ravel triomphe partout où il passe, notamment à New York où il fête ses 53 ans en écoutant Gershwin jouer pour lui « The Man I Love. »

On le couvre d’honneurs, aussi bien en Europe qu’outre-Atlantique. Avec un humour qui ne manque jamais de nourrir chacun de ses livres, Jean Echenoz nous montre un Ravel paradoxal et inattendu qui refuse énergiquement le prestige du ruban rouge mais accepte bien volontiers l’honneur « d’être reçu docteur Honoris Causa de l’Université d’Oxford, avec éloge en latin, ça ne se refuse pas. »

Et la musique dans ce roman d’un musicien ? Elle nous est donnée, bien sûr, dans deux épisodes particuliers. Ravel compose son « Concerto pour la main gauche » pour le pianiste Ludwig Wittensgtein, privé à la guerre de l’usage de son bras droit. Mais le rigoureux compositeur se prend de bec avec lui quand il entend l’interprète, en concert, trahir régulièrement la composition en agrémentant la partition d’ornementations mélodiques imaginaires.

Ravel
New York City, 8 mars 1928. Oscar Fried, Eva Gauthier, Ravel, Manoah Leide-Tedesco, George Gershwin.

Quant au fameux « Boléro », sa naissance est étrange, liée à la fascination de Ravel pour les machines industrielles et le bruit répétitif de leurs « rouages [qui] lui donnent des idées rythmiques. » Le « Boléro » c’est « juste du rythme et de l’arrangement, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l’arme est le seul élargissement du son » lui fait dire Echenoz. Bref, à en croire l’écrivain, Ravel n’aurait pas fait là œuvre musicale ! L’imagination du romancier trouble le lecteur, mais Ravel l’a dit lui-même : « Je n’ai écrit qu’un seul chef-d’œuvre, le Boléro, malheureusement il ne contient pas de musique. » Une manière « échenozienne » de manier l’humour un siècle avant le romancier.

Le belvédère Maurice Ravel

Dans sa petite maison de Montfort L’Amaury, le compositeur, toujours plus insomniaque et dépressif, plongera peu à peu dans un insondable ennui et souffrira d’une « acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois. »

La fin du livre est pathétique, où l’on voit le malheureux compositeur perdre complètement ses dernières facultés motrices et mnésiques. La partition de toute une vie s’achève, qui nous serre la gorge. Une hasardeuse intervention de chirurgie cérébrale n’y fera rien :

« Il meurt dix jours après, on revêt son corps d’un habit noir, gilet blanc, col dur à coins cassés, nœud papillon blanc, gants clairs, il ne laisse pas de testament, aucune image filmée, pas le moindre enregistrement de sa voix. »

Qu’importe, Echenoz, grand romancier, nous le fait revivre comme personne.


Ravel de Jean Echenoz, Les Éditions de Minuit, 2006, collection Romans, 128 pages, ISBN 978-2-7073-1930-2, prix : 13.50 euros.

Feuilletez le livre.

Photos issues de la page Facebook des amis de Maurice Ravel

Site de l’association des amis de Maurice Ravel

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