Si le spectre d’un Daesh régnant en maître sur le monde arabo-sunnite tend à s’éteindre, si la vague d’attentats qui a frappé l’Europe dans les trois dernières années semble régresser (même si Strasbourg se réveille aujourd’hui meurtrie par l’action d’un désaxé fiché S), l’Occident doit garder un œil alerte quant aux émergences de nouvelles actions de ce conflit militaro-culturel dont la matrice destructrice est loin d’être périmée. Présentation de la Fabrique de la radicalité avec Laurent Bonelli et Fabien Carrié, Un temps pour haïr de Marc Weitzmann et des Espions de la terreur de Matthieu Suc.

Dans la mouvance de ces épisodes sanglants, beaucoup de strates de la société se sont mobilisées qui pour défendre, qui pour comprendre : militaires, policiers, magistrats et avocats, médecins, psychologues et enfin journalistes d’investigation. À tel point que d’aucuns suggéraient non sans humour quelque peu noir qu’« il y avait bientôt plus de gens à vivre du djihadisme que de djihadistes… »

Trois ouvrages récents apportent leur contribution à la compréhension d’une telle situation : d’où viennent ces djihadistes en particulier français, nés pour la plupart en France, quelle est leur idéologie plus que leur pratique religieuse, comment ont-ils fonctionné pour réaliser ou tenter de réaliser ces attentats.

LA FABRIQUE DE LA RADICALITE

Le premier La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français est le travail en collaboration de deux sociologues français Laurent Bonelli et Fabien Carrié. Le premier est universitaire et le second docteur en sociologie. Ils se positionnent tout à fait dans la lignée de l’école française de sociologie et de son maître Émile Durkheim qui entendait rechercher sous une problématique, le fait social coercitif qui amenait l’individu à un comportement : cette problématique est superbement analysée dans son ouvrage de référence, Le Suicide publié en 1897.

Cette enquête est basée sur l’analyse systématique de 133 dossiers judiciaires de mineurs poursuivis pour des affaires de terrorisme ou signalés pour radicalisation, la plupart pour des faits relevant du djihadisme, mais aussi dans le cadre d’une idéologie d’extrême-droite ou autonomiste. L’enquête met rapidement en avant les déterminismes sociaux : situation familiale, cursus scolaire, intégration sociétale, etc., etc. Tout et son contraire peut être observé : des familles intégrées ou franchement pathologiques, des parcours scolaires chaotiques ou brillants, des enfances difficiles ou au contraire heureuses et protégées.

RADICALISATION

 

L’intérêt est de déterminer quatre groupes dont on devine rapidement qu’ils n’ont pas le même background socioculturel, mais surtout que leur trajectoire et leur radicalité n’auront pas la même expression. Le rôle parfois péjoratif ou insuffisant des institutions dans l’enfance et la préadolescence de certains sujets est mis en exergue : la violence potentielle d’un Mohamed Merah a été détectée très tôt, mais son enfance, sans excuser quoique ce soit, fut un calvaire entouré de brutes et de malades. Comprendre les déterminants sociologiques en particulier chez les convertis explique en bonne partie la totale inefficacité des centres de déradicalisation qui furent des rentes de situation pour certain(e)s. Si l’ouvrage est brillant et efficace, il reste cependant écrit dans un langage très sociologique qui peut rebuter le lecteur non averti de la matière.

UN TEMPS POUR HAIR WEITZMANN

Le second ouvrage Un temps pour haïr écrit par un ancien rédacteur des Inrockuptibles, Marc Weitzmann, s’intéresse au fond idéologique et culturel de ces attentats et de leurs auteurs. Là encore un travail très fouillé remontant aux origines de la colonisation française en Algérie et à la séparation sociale des communautés religieuses et ethniques de cet ancien département français. S’y mêlent des rapports d’écoutes et d’audition qui éclairent sur la pauvreté culturelle ou même la santé mentale de certains protagonistes et des comptes-rendus d’enquête ou de jugements. La qualité de l’ouvrage repose sur la pertinence d’un certain nombre de données. Il pêche cependant à vouloir privilégier une origine franco-française à ces terribles événements : ce serait comme expliquer que les attentats ferroviaires de 2004 en Espagne étaient une réponse à la Reconquista. Qu’il y ait un fond réel d’antisémitisme chez certains musulmans de différentes natures au demeurant n’est pas niable, mais en faire la source primale de ces attentats pêche contre la raison : ce que les auteurs des attentats de 2015 combattaient c’était la liberté culturelle, le mode de vie émancipé, la joie et le droit de vivre selon ses propres canons, eux qui avaient compris au fond d’eux-mêmes que tout cela leur échapperait à jamais, eux qui étaient des « perdants radicaux » selon la formule d’Hans Magnus Enzensberger (Le perdant radical). C’était comme pour le fascisme une attaque contre l’esprit des Lumières. Vouloir limiter le primum movens à l’antisémitisme serait que d’expliquer la Seconde Guerre mondiale et les trente années qui la précèdent et la génèrent par l’Holocauste.

Les espions de la terreur

Le troisième ouvrage Les espions de la terreur de Matthieu Suc est lui aussi un travail de quatre ans très étayé, fruits de recherches et de contacts avec les autorités chargées de la défense du territoire dont on mesure à la fois l’efficacité et la difficulté de cette lutte au quotidien contre un ennemi mouvant, mobile et adepte de la dissimulation. Il peut se lire à la fois comme une enquête, mais aussi comme un excellent thriller tant le sujet est palpitant. L’auteur analyse bien les différents services chargés de la répression et des attentats dans le système Daesh. Si on ne peut pas nier au début un certain professionnalisme hérité des services irakiens de Saddam Hussein, ces premiers maîtres-espions furent rapidement éliminés en particulier par les Américains et remplacés par des gens plus brutaux, mais moins sophistiqués. Les recrues « françaises » s’illustrèrent dans certains de ces actes sans nom. Si l’on ne peut nier le carnage du 13 novembre ou de la Promenade des Anglais, le fait qu’un Abdelhamid Abaaoud ait dû se déplacer en personne pour organiser, avec une équipe de bras cassés sans logistique, ces attentats montre que les relais organisationnels de Daesh en Europe étaient réduits. Certains épisodes font penser aux Pieds nickelés, tel ce djihadiste chargé de déposer une bombe dans un cinéma porno d’Amman, tellement absorbé par le film qu’il en oublie sa mission et y perd les jambes. Des trois ouvrages précités, celui-ci est celui qui se lit le plus facilement.

TERRORISME

  • La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français. Laurent Bonelli et Fabien Carrié. Le Seuil.
  • Un temps pour Haïr. Marc Weitzmann. Grasset.
  • Les espions de la terreur. Matthieu Suc. Harper Collins
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Marc Gentili
Marc Gentili vit à Rennes où il exerce sa mission de médecin anesthésiste. Il est passionné par les sciences humaines et le cinéma.

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