Antoni Campana
Antoni Campana

Hasard éditorial, un catalogue d’exposition – Antoni Campanà : Icônes Cachées aux éditions Hazan – et une bande dessinée – Photographes de guerre aux éditions Albin Michel – mettent sur le devant de la scène trois photographes, observateurs de la guerre civile qui divisa l’Espagne de 1936 à 1939. Trois regards, deux ouvrages pour une même souffrance.

Lorsque l’on évoque la couverture de la guerre civile espagnole, un nom revient, trop souvent seul : Robert Capa. Il est vrai que sa couverture militante du côté des Républicains, sa photographie iconique Mort d’un républicain, à l’authenticité aujourd’hui contestée, la qualité globale exceptionnelle de son travail ont effacé les autres envoyés spéciaux. À ce monopole historique s’ajoute la situation d’époque des photos reporters, soumis au bon vouloir des journaux qui les employaient, disposant de leurs négatifs comme bon leur semblait et « oubliant » souvent de créditer du nom de leurs auteurs les publications.

Depuis quelques années le patronyme de la compagne de Capa, Gerda Taro, et celui de David Seymour dit Chim, sont venus s’ajouter à celui du reporter d’origine hongroise, notamment depuis la découverte en 2008 de la fameuse « valise mexicaine ». Cette « valise », en réalité trois petites boîtes ayant appartenu à Capa, dont la trace avait été perdue depuis 1939, a révélé 4500 négatifs avec des possibilités nouvelles d’attribution. Balbutiement et clin d’oeil exceptionnel de l’Histoire, c’est à une « boîte rouge » cette fois-ci que l’on doit la découverte d’un autre photographe majeur du conflit, le catalan Antoni Campanà (1906-1989) qui fait l’objet d’une exposition à Montpellier et d’un catalogue magnifique (1).

Antoni Campana
Antoni Campana

Cette boîte fut découverte en 2018, par le fils et le petit fils du photographe décédé trente ans plus tôt. Elle renfermait plus de 5000 clichés racontant la Guerre d’Espagne. Photographe reconnu à l’époque, notamment pour un cliché « Traccio de sang » (1933), Campanà n’a jamais voulu rendre publique ces photos dont on devine qu’elle représentait suffisamment de souffrances intimes et de craintes de représailles pour les cacher, les oublier dans un garage jusqu’à sa mort. Cette guerre, lui le catholique, le nationaliste, l’a vécue des deux côtés du conflit avec un regard un peu détaché à ses débuts. Esthète, proche de l’avant garde, il privilégie souvent la spectaculaire contre-plongée en diagonale pour offrir des portraits saisissants de soldats portés par un idéal absolu qu’accentuent des tenues quotidiennes peu adaptées à la guerre. Les regards, les poings serrés, les sourires montrent une détermination farouche et optimiste qui semblent séduire le photographe.

Pourtant, dès le début du conflit, Campanà photographie aussi le revers de la politique républicaine animée d’un farouche et violent anticléricalisme qui fait murer les entrées des églises et déterrer des cercueils de religieuses. C’est une véritable chronique de ces quatre années terribles que le photographe propose à notre regard, un récit que symbolisent deux photos iconiques de femmes : celle souriante de la jeune catalane Anita Garbin, récemment identifiée, sur une barricade telle la Liberté de Delacroix et celle de la Pietà, une mère protégeant son fils des bombardements à Barcelone. Deux images comme un symbole du passage de l’espoir au désespoir. Le catalogue en légendant sobrement mais de manière approfondie chaque photo accompagne cette histoire vécue loin du front pour terminer avec la victoire des nationalistes, la procession du Christ Plaça Catalunya et les défilés martiaux graphiquement épurés. « Oeuvre extrêmement riche et nuancée », dit la préface de l’ouvrage, une nuance que la recherche esthétique omniprésente impose en créant une distance que Campanà n’aura pas envie de réduire. Il préférera garder ses négatifs à l’abri de toute récupération idéologique, les légendes écrites permettant l’appropriation des photos comme le furent ses rares négatifs édités.

  • Antoni Campana
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Cette nuance revendiquée de Campanà dans l’approche du conflit civil, deux autres photographes l’ont aussi vécue. Hans Namuth et Georg Reisner ont fui leur pays, l’Allemagne et son régime nazi, pour rejoindre l’Espagne. Clairement favorables au camp républicain, les deux jeunes photos reporters, ils ont respectivement 21 et 24 ans, sont à Barcelone le 18 juillet 1936 pour couvrir les Olympiades populaires mis en place pour répondre aux Jeux Olympiques de Berlin. Débute en fait ce jour-là ,dans la capitale catalane, une tentative de soulèvement nationaliste violemment réprimée, le début d’une guerre fratricide. Débute aussi ce même jour, comme le catalogue consacré à Campanà, la BD Photographes de guerre de Raynal Pellicer au scénario et Titwane au dessin (2) qui s’attachent dans leur album à décrire le parcours de ces deux photographes de presse étrangers. La Bd a l’immense mérite à travers ce récit personnalisé de raconter l’histoire du conflit de manière claire et didactique, incluant même des cartes du conflit.

photographes de guerre bd

À l’instar de Campanà, les auteurs jettent un double regard critique sur cette période en évoquant bien entendu les atrocités et le non respect de la démocratie des Franquistes mais aussi en montrant la violence, le fanatisme républicain et ses divisions internes, qui conduiront ses membres à s’entretuer. Trotskistes, anarchistes, communistes, chaque tendance privilégiera souvent le combat interne à celui à mener contre les putschistes. Les deux photographes engagés sont les spectateurs désenchantés de ce drame exacerbé par le silence mortel des autres puissances occidentales. Témoins lucides et honnêtes, bien qu’engagés, Namuth et Reisner, sont aussi les artisans avec Capa, Taro, Chim et beaucoup d’autres de la naissance du photo reportage. Un dessin aux couleurs chaudes et sombres, un scénario didactique et profondément humain font de cette Bd une remarquable approche historique du conflit espagnol. On regrettera juste l’absence de reproduction des clichés des deux photographes, seulement évoqués en dessins trop peu nombreux.

Capa n’est plus le seul témoin reconnu de la guerre espagnole fratricide. Et c’est tant mieux. En multipliant les regards, l’Histoire en photos, en BD, s’écrit chaque jour et offre une compréhension plus juste et objective d’une guerre toujours présente dans la société espagnole.

(1) : Exposition au Pavillon Populaire jusqu’au 10 décembre 2023. Le catalogue Icones cachées est paru aux éditions Hazan. 144 pages, 24,95€. À noter également un ouvrage plus généraliste de l’oeuvre de Campanà, précédemment édité au Seuil : La boîte rouge, 332 pages, 32€.

(2) : Photographes de guerre de Raynal Pellicer (scénario) et Titwane (dessin), 152 pages, édité par Albin-Michel. 22,90€. Parution : 4 octobre 2023 (voir un extrait)

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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