L’exposition Juke Joint Blues a ouvert le 1er février dernier à la Maison des associations de Rennes et a été prolongée jusqu’au 19 mai 2021. Elle donne à voir une série de clichés, rarement exposée, du photojournaliste français Alain Keler. Malheureusement, le lieu n’a pas encore pu accueillir de public… Pour clôturer l’exposition, la MDA présentera l’exposition en ligne mercredi 12 mai à 16h30, en présence du photographe. L’équipe sera également prête à accueillir le public mercredi 19 mai, dernier jour de l’exposition !

Qu’on se le dise, malgré leur fermeture, les institutions et associations culturelles ont fourni un travail démentiel qui est pourtant passé inaperçu. En coulisses, les équipes ont poursuivi leurs missions, ont adapté en permanence leurs projets au gré des annonces gouvernementales dans l’attente et l’espoir d’une réouverture, continuellement repoussée. Ils ont composé avec l’incertitude, le doute permanent que leurs efforts seront peut-être réduits à néant, encore une fois.

À l’aube de réouverture des lieux culturels mercredi 19 mai 2021, la culture, considérée comme non-essentiel, n’a pas la priorité de la chaîne politique, désigné à certains égards comme facteur potentiel d’une accélération de la pandémie. Mais, pour autant, avouons-le, elle est omniprésente autour de nous : dans chaque film regardé, dans chaque livre lu, dans chaque chanson fredonnée ou dans chaque graff aperçu dans la rue. Rappelons que cette même culture et ses acteurs, ont alimenté, rythmé le quotidien morose du monde enfermé chez soi, sortant la majorité de la léthargie et de l’anxiété de l’enfermement du premier confinement, du 16 mars au 11 mai 2020.

La Maison des associations, comme tant d’autres, s’est évertuée à se projeter vers un avenir plus ensoleillé où les salles d’exposition seraient grandes ouvertes accueillant de nouveau les visiteurs. L’exposition Juke Joint Blues a mis à l’honneur le travail photographique du Français Alain Keler en partant à la découverte d’une série en particulier, réalisée dans le delta du Mississippi en 1986. Série que le photographe considère aujourd’hui comme le déclencheur d’une photographie « plus personnelle ».

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Le photographe, photojournaliste et photo-documentaire Alain Keler.

C’est dans l’effervescence parisienne des années 70-80, alors capitale mondiale du photojournalisme, qu’a évolué Alain Keler, né en 1945 (Clermont-Ferrand). La photographie d’Alain Keler se raconte comme une histoire, dont le photojournaliste interprétera bien entendu le personnage principal. Ses photos sont des chapitres à cette histoire, de petites histoires qui racontent la grande. La sienne.

Pour bien la comprendre, il suffit seulement de la raconter de la même manière que l’a fait le principal concerné : avec simplicité et sincérité.

Cette histoire commence avec une première photographie capturée à l’âge de 16 ans (1961), avant de se prolonger des années plus tard dans les conflits qu’Alain Keler a couvert, pour différentes agences, aux quatre coins du monde depuis la fin des années 70. En 1975, il entre d’abord à l’agence Sygma – une des agences internationales les plus cotées de cette période avec Gamma et Sipa Press – pour y travailler douze ans avant de devenir photographe pour l’agence Gamma en 1989. « J’adore le voyage depuis que je suis jeune. Une fois, je devais partir couvrir la campagne électorale en Italie à la fin des années 70, mais j’ai finalement appris que je décollais pour le Japon trois heures plus tard. Je n’en ai pas dormi pendant 24 ou 48h tellement c’était extraordinaire. »

L’anecdote résume le train de vie effréné du photojournaliste et de son monde qu’il compare aux aventures de Tintin. Les conditions sanitaires nous obligent certes à adapter nos interactions, mais une discussion téléphonique suffit pour comprendre qu’Alain Keler c’est cela : ce mélange de simplicité et d’humour dans les propos. Il est également question de sincérité. Membre de l’agence MYOP depuis 2008, il aime ce travail pour la diversité et l’aventure, mais « être ballotté de droite à gauche », d’actualités politiques en conflits mondiaux, s’est révélé frustrant. Et la photographie dans tout ça ? « Je me suis rendu compte que j’oubliais ce qui m’avait amené à faire de la photographie – confie t-il. On ne restait que quelques jour sur place. Nous rentrions en France quand l’actualité était passée, mais, selon moi, c’est justement le moment où il fallait rester afin de pouvoir réaliser un travail de fond. C’est ce qui me plaisait en photo, mais je n’ai pas pu le faire pendant cette période. »

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Malgré son statut de photoreporter, Alain garde sur lui un Leica et prend des photographies plus personnelles qui reflètent ce qu’il appréciait dans la photo avant d’entrer dans une agence. Capturer un instant ne suffit pas, la photo d’Alain Keler raconte une histoire avec douceur et humanité. « Je fonctionne au feeling. Il faut qu’une photo soit bonne, qu’elle raconte quelque chose. »

Un événement donne alors une nouvelle tournure à l’histoire, l’élément déclencheur plus que l’élément perturbateur d’un récit. Le fruit d’un heureux hasard qui le confortera et le guidera sur le chemin de ses envies photographiques.

En 1986, le photographe se retrouve Outre-Atlantique, aux États-Unis, afin de participer au projet de l’ouvrage Un jour dans la vie de l’Amérique qui rassemble 200 des plus grands photographes internationaux pour plusieurs séries de photos (100 Américains et 100 étrangers). Au détour d’une conversation, il entend parler du delta du Mississippi, berceau du blues entre Memphis et Vicksburg, dans le nord du Mississipi, à la frontière du Tennessee. « Ce photographe américain travaillait pour un journal local du Mississippi et avait traité le sujet avec un ami journaliste. » On imagine très bien les yeux d’Alain se mettre à pétiller, le sujet l’intéresse. « Il allait dans le sens de mes envies photographiques, à savoir passer du temps et travailler sur une thématique plus profonde, moins superficielle. »

« Montrer comment vivent les gens est ce qu’il y a de plus intéressant en photoGRAPHIE »

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Vue de l’exposition Juke joint Blues d’Alain Keler, Maison des associations, Rennes

« On plonge dans une autre Amérique, l’Amérique profonde »

De retour en France, il garde un contact et prévoit de retourner aux États-Unis à l’occasion d’un festival de Blues, « avec l’accord de l’agence ». Arrivé à New York, les choses ne se passent pas comme prévu. Il est envoyé en Alaska où un éboulement de glacier bloque l’entrée d’un fjord. Des dauphins y sont pris au piège et les associations écologiques veulent hélitreuiller les animaux. « L’agence devait passer avant tout, mais en voulant traiter un sujet différent, comme celui du delta du Mississippi, je dérogeais un peu à la règle. » Il parvient finalement dans le delta du Mississippi avec une semaine de retard, « désolé de ne pas avoir pu participer au festival », un événement friendly certainement propice aux rencontres.

Pendant trois semaines, le photographe capture le quotidien de ces inconnus, vivant dans une des régions les plus défavorisées, où la ségrégation est encore très présente comme dans la majorité des États du Sud. À la fin des années 80, les Noirs américains en subissent lourdement les conséquences. « J’ai commencé mon histoire en allant à la rencontre des musiciens, en allant dans les Juke Joints, des bistrots enfumés où était jouée de la musique. »

Alain Keler donne une visibilité à une minorité, des passionnés dont on ne parle pas. Il côtoie des familles, rencontre des musiciens de tout âge, assiste à un mariage, à des funérailles, loge dans un centre pénitencier et suit les détenus dans les champs de coton à proximité, un des rares qu’il reste après l’automatisation de la récolte par les machines. Cet écho résonne avec l’histoire de l’esclavage, de la Ségrégation et du Blues, ce genre musical né des chants des esclaves dans les champs de coton et apparu pour la première fois à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

En raison de l’espace, seulement onze photographies sont exposées à la maison des associations, mais le choix est mûrement réfléchi, « un reflet de l’Amérique profonde. » « D’autres photos révèlent la pauvreté des gens, mais j’ai privilégié celles qui me plaisaient où l’on voit l’ambiance, la musique, les personnes dans leur environnement. Elles permettent de ressentir ce qu’était le delta du Mississippi », révèle t-il. Et il ne fait aucun doute que c’est réussi. Au-delà du sujet, la valeur symbolique de cette série dans le parcours du photojournaliste lui donne une force singulière. Déclencheur d’une nouvelle aventure, cette immersion « là où la musique rythme les danses accompagnées de rires et d’une liberté que personne ne pourra contester » est à l’image de ce qu’est la photographie d’Alain Keler, humaine et profonde.

À son retour, le tour du monde ne lui suffit plus. Alain Keler démissionne de l’agence Sygma un an et demi après, pour un travail photographique « plus personnel ». Il entre à l’agence Gamma, « qui permettait plus de libertés en tant que photographe », en 1989 et fonde « Odyssey Images » la même année. « Avec des amis photographes, nous étions les précurseurs dans la création de petites agences dans lesquelles les photographes étaient plus libres de choisir leur sujet. Nous étions en contact direct avec les magasines alors que les agences jouaient le rôle d’intermédiaire. » C’est d’ailleurs à cette période qu’il commence à travailler sur les minorités dans l’ex-monde communiste. Au regard de son parcours, ce travail semble dans la continuité logique de la série « Juke Joint Blues » et de ses aspirations. « En faisant ce travail, je me suis aperçu que je travaillais en fait sur mon histoire. » Petit-fils de juif polonais, ses grands-parents sont venus en France avant d’être déportés.

« On ne fait pas les choses par hasard. On EN ignore parfois la raison, mais on la découvre UN JOUR. C’est ce qui est intéressant dans ces métiers – la photographie, le cinéma, le journalisme ou l’écriture. Il arrive un moment où on arrive à déclencher quelque chose qui va au-delà de ce que l’on faisait auparavant »

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« Je m’étais promis d’y retourner, mais je n’ai jamais pu »

« Dans ce genre de sujet, il ne faut pas forcément rester longtemps une seule fois, mais il est nécessaire d’y retourner. Des liens se sont créés donc les gens sont heureux de vous voir revenir. Ce qui donne accès à de nouveaux échanges, plus personnels. » L’histoire photographique d’Alain Keler est composée d’une série d’événements qui s’accumulent, de « choses qui s’empilent ». Elle est certes faite d’un peu de frustration, mais également de grandes découvertes. Ce même parcours l’a mené dans le delta du Mississippi en 1986. « Ma condition de photographe pour les grandes agences est sujet de frustration, au demeurant extraordinaire, mais qui me permettait moins de liberté […] J’aurais voulu rester plus longtemps, traîner, aller voir, me balader… c’est un travail inachevé .»

Cependant, en observant son travail, nous pouvons affirmer qu’Alain a réussi à capturer l’essence de ce petit endroit reculé du monde, comme avec cette photographie montrant un groupe de jeunes en voiture. « Cette photo est symbolique de l’Amérique profonde : la voiture, les jeunes à l’intérieur, la cigarette,… c’est presque une scène de film. Ils ont l’air insouciant, mais on ne connaît pas leur histoire. Elle est peut-être plus complexe que ce que l’on croit. »

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Présentation en ligne de l’exposition Juke Joint Blues d’Alain Keler en présence du photographie, mercredi 12 mai à 16h30.

Durée : 1h-1h15 / Gratuit tout public (à partir de 12 ans)

INSCRIPTIONS OBLIGATOIRES : ICI. La réservation de cet évènement permettra de recevoir le jour-même, un lien pour accéder à la plateforme de visio. Aucun déplacement n’est nécessaire, un ordinateur (avec ou sans webcam) suffit pour échanger avec eux.

Lien pour l’événement Facebook

RÉOUVERTURE 19 MAI 2021

Maison des associations, 6 Cours des Alliés, 35 000 Rennes

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