petite poissone mur de rennes
Petite Poissone, MUR de Rennes. Photo prise par Monique Sammut

Petite Poissone est la nouvelle artiste invitée du MUR de Rennes, 34 rue Vasselot. Depuis une dizaine d’années, elle interpelle les passants avec ses collages de textes courts et mordants qui traitent de sujets autant privés que publics, mais souvent universels. Intégrant l’espace public avec subtilité, ses répliques proposent un condensé de vie dans lequel tous et toutes s’identifient, par un biais ou un autre.

ERRATUM
Contrairement à ce

qui a été annoncé, la
femme ne sera pas
l’avenir de l’homme

Qu’il se démerde.

Les textes féministes de Petite Poissone claquent la brise printanière de l’espace public rennais comme un direct du droit en direction d’une population facilement identifiable. D’ordinaire collée en petit format dans un endroit plus ou moins à l’écart, la phrase est aujourd’hui placardée en grand format sur le MUR de Rennes, 34 rue Vasselot. Aucune issue possible. Obligation de le lire. Et maintenant, si nous discutions avec l’artiste invitée ?

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Petite Poissone, MUR de Rennes © Monique Sammut

Petite Poissone le dit elle-même : quand on connaît son travail de rue, il n’est pas évident de voir qu’elle est aussi une dessinatrice. Emmanuelle se souvient avoir toujours été celle qui dessinait bien à l’école, mais après le bac, elle fait un séjour en fac de psycho avant de prendre conscience de son envie de travailler dans l’art. « C’était il y a 25-30 ans, une époque où le dessin et les arts n’étaient pas des disciplines vers lesquelles on te poussait », introduit-elle. Elle entre alors à l’École des Beaux-Arts de Caen et commence une vie professionnelle dans le milieu de la bande dessinée, dans l’auto-édition de romans graphiques précisément. Le dessin et l’écriture étaient indissociables pour elle, même si aujourd’hui elle pratique moins le premier. « Je sais que je retournerai à l’édition, mais le street-art me prend pour l’instant tout mon temps », déclare Emmanuelle qui a pris le blase « Petite Poissone » un peu par hasard, à l’époque où elle ne faisait pas encore de street art. Elle cherchait simplement un nom pour son premier site de graphiste. « J’ai tapé n’importe quoi en attendant mieux, et puis c’est resté… », dit-elle simplement.

Dans l’espace de création en plein air que constitue la rue, l’artiste s’exprime avec des mots plutôt qu’avec des formes. « Ce serait un choix difficile, mais si je devais choisir entre dessiner et écrire, je choisirais l’écriture », confie-t-elle. Emmanuelle sait apprécier la beauté d’un dessin dans la rue, mais préfère l’impact d’un texte et le rire qu’il peut susciter à la lecture. « Faire rire les gens, c’est aussi ce que j’essaie de faire dans ma vie personnelle. » Ses collages prennent place sur des murs ou des objets de l’espace public, en toute discrétion. Sur le chemin du travail, d’un rendez-vous professionnel ou privé, elle souhaite faire sortir les passants de leur routine, le temps de quelques secondes, « un petit clin d’œil et hop ». Elle avoue aussi qu’il n’y a rien qui l’émerveille plus que l’écriture d’un roman fascinant, d’un chanteur ou une chanteuse aux textes talentueux. « Quand j’étais petite, j’étais déjà fan des petites formules bien trouvées qui interpellent en quelques mots. » Son premier coup de cœur, alors qu’elle a moins d’une dizaine d’années, n’est d’ailleurs autre que Gotlib. « C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’on pouvait tout se permettre, que l’absurde fonctionnait. »

Petite Poissone
Festival Impact, Le Havre © Petite Poissone

Ses références éclectiques révèlent cet amour des mots et du phrasé dont la finesse fait naître des émotions, tantôt légères, tantôt profondes. En matière d’humour, elle parle notamment de celui anglais et cite les Monty Python et les punchlines de Woody Allen dont elle était fan plus jeune, « il a les histoires judiciaires qu’il a aujourd’hui, mais à l’époque je ne le savais pas », précise-t-elle tout de même. En termes de puissance textuelle, elle affectionne particulièrement la chanteuse Barbara.

Parmi ses sujets, elle porte d’ailleurs un intérêt particulier pour l’amour et le rapport hommes-femmes. « J’écris quand je m’ennuie. Forcément, on ne parle que de ce qui est intense, de ce qui va mal. J’exagère aussi parfois pour écrire une phrase. » Emmanuelle remplit des carnets entiers, des condensés de sa vie à la manière de journaux intimes, qui traitent de ce qu’elle vit dans la sphère privée et de ce qui l’entoure dans celle publique : il lui arrive de parler d’un pays en particulier si un documentaire l’a marquée ou de politique en période d’élection. « L’amour est un sujet propice à l’écriture. Tout est exacerbé quand on est amoureux. Mais trouver une tournure qui fonctionne n’est pas si évident pour des sujets aussi compliqués que la politique. » Elle compare l’apprentissage de l’écriture à celui du skateboard : il faut tomber plusieurs dizaines de fois avant de maîtriser une figure, il en va de même pour l’écriture selon elle. « Dans ce grand n’importe quoi que j’écris, je ne vais me servir que de quelques phrases. »

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Petite Poissone a toujours fonctionné à l’instinct, c’est d’ailleurs de cette manière qu’elle a choisi sa typographie, anglaise et classe. Sa simplicité et sa sobriété rappellent les institutions afin de créer un décalage avec le mordant de ses phrases, dans l’esprit Monty Python. « Ce n’est qu’a posteriori que je comprends pourquoi j’ai fait les choses », déclare-t-elle. « Ce que j’aime dans les Monty Python, c’est qu’ils arrivent, costume cravate classe et accent anglais, et sortent une réplique super décalée. »

L’utilisation du texte et les sujets féministes rappellent également les mouvements de collages féministes engagés, essaimés un peu partout dans l’hexagone, dont elle relève le courage et la ténacité, ainsi que la nécessité à exister. Cependant, aux personnes qui la désignent comme artiste engagée, elle répond : « je suis engagée dans mon salon ». Elle explique : « Je ne me suis jamais fait arrêter et je ne suis pas dupe, un mec misogyne qui lit mon texte féministe ne va pas se dire : « oh, mais oui bien sûr ». » Son franc-parler ressemble à ses propositions urbaines : directes, mais saupoudrées d’une touche d’ironie qui amuse.

« Je ne pense pas pouvoir faire changer d’opinion par un texte collé dans la rue, mais si on est plusieurs, ça peut créer une réaction. »

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  • Petite Poissone, mur de rennes

Pour Petite Poissone, faire un MUR signifie appréhender son travail dans une tout autre dimension que celle habituelle. Le MUR d’Oberkampf avait accueilli son fameux « J’en ai marre d’être nue, nulle et non avenue. Pourquoi aucune femme dans le nom de mes rues ». « Je trouvais intéressant de mettre cette phrase-là en grand format dans un quartier », précise-t-elle. Emmanuelle souhaite créer un lien entre le texte et l’environnement qui l’abrite afin de créer des réactions, comme dans cette ancienne église d’Angers où elle a souhaité inverser les rôles, comme il lui arrive de le faire, pour souligner l’absurdité d’un propos. Sa punchline « Tu ne tueras pas à part si elle le cherche bien » a heurté par sa brutalité, mais aborde la misogynie dans la religion afin de, justement, faire réfléchir sur ce point.

Pour Rennes, Petite Poissone avait tout autant à cœur de coller un texte féministe sur le MUR, 34 rue Vasselot. Pour cette raison, son choix s’est porté sur un de ses textes phares que l’on apprécie particulièrement pour sa formulation bien pensée. « ERRATUM. Contrairement à ce qui a été annoncé, la femme ne sera pas l’avenir de l’homme. Qu’il se démerde. » Les femmes en rient, certains hommes peut-être moins… En ayant déjà eu dans le passé, elle sait que le MUR risque de créer des réactions, mais comme elle le souligne, « tant qu’à faire des textes en grand format autant qu’ils ne soient pas consensuels ».

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Petite Poissone, MUR de Rennes © Monique Sammut

Depuis plus d’une dizaine d’années, Petite Poissone s’épanouit dans le street-art et ne regrette pas son choix, « c’est un peu comme de l’édition à ciel ouvert. » Elle y rencontre une diversité de milieux beaucoup plus grande que dans l’univers de l’auto-édition. « Les gens se sentent autorisés à aimer ou à ne pas aimer, à venir te voir et à juger aussi », contrairement aux festivals d’auto-édition qui réunissent généralement une classe socioculturelle plus réduite. « Ce n’est pas volontaire, mais la culture est parfois difficile pour les milieux plus modestes. Tout est fait pour cibler un public en particulier. » Issue d’un milieu modeste, Emmanuelle parle en connaissance de cause. Malgré la volonté de démocratisation et d’ouverture de certains lieux, il n’en reste pas moins des programmations parfois élitistes, « avec un peu de snobisme aussi parfois », ose-t-elle dire. S’adresser à tous les passants, qu’ils soient plus ou moins fortunés, plus ou moins cultivés, « c’est la raison pour laquelle je fais du street-art depuis plus de 10 ans », conclut-elle. Et c’est une très belle raison.

Instagram MUR de Rennes

Instagram Petite Poissone

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