Le catalogue raisonné Peintures françaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles du musée des Beaux-Arts de Rennes, sous la direction de Guillaume Kazérouni, le conservateur des peintures anciennes, paraissait en novembre 2021 aux éditions Snoeck. Didactique et accessible, l’ouvrage se révèle aussi prestigieux que la remarquable collection que le musée cache en son sein. Ce travail d’envergure permet un panorama à 360° des tableaux conservés dans l’ancien bâtiment du palais universitaire de Rennes.

L’histoire d’une œuvre se précise au fil des années et des recherches effectuées par les chercheurs et historiens de l’art. À son arrivée dans les collections d’un musée, elle peut être attribuée à un peintre ou être anonyme avant que de nouvelles recherches changent sa paternité et parfois même sa nationalité. Imposant par sa taille, reflet de l’importance de la collection, Peintures françaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle du musée des Beaux-arts de Rennes se révèle la bible de tout.e amateur et amatrice du musée de Rennes. Et un excellent moyen pour toute personne néophyte et curieuse d’entrer au cœur des collections de peinture de l’institution rennaise. « La rédaction d’un catalogue raisonné est un des cœurs du métier de conservateur. C’est le principe d’étudier les collections et de rendre accessibles toutes les recherches », inaugure Guillaume Kazérouni, le conservateur des peintures anciennes, qui a eu l’idée de cette publication dès son arrivée au musée en 2013.

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Guillaume Kazérouni devant Le Noces de Cana de Quentin Varin, son oeuvre préférée

Un catalogue raisonné raconte l’histoire des collections d’une institution de manière exhaustive et passe en revue l’intégralité des œuvres d’un musée, qu’elles soient entrées par la porte de l’achat, du don ou du dépôt. La plume agréable à lire de Guillaume Kazérouni raconte succinctement, de manière simple et pédagogue, l’histoire de la collection des peintures du XVIe au XVIIIe siècle avant d’entrer dans le cœur du sujet, les œuvres. « Le livre est fait pour les œuvres. » Pas de textes superflus ou de fioritures inutiles. Le mélange habile de l’aspect scientifique à l’accessibilité pour le plus grand nombre permet plusieurs niveaux de lecture.

La publication de l’ouvrage prend sa source dans le premier, et unique, catalogue des peintures françaises du musée des Beaux-Arts de Rennes, réalisé en 1979 par François Bergot, conservateur puis directeur du musée de 1969 à 1978, et Patrick Ramade, ancien conservateur des peintures anciennes de 1979 à 1994. « François Bergot et Patrick Ramade ont permis d’enrichir le musée de manière conséquente », précise le conservateur actuel. « Publié à la fin des années 1970, le catalogue portait exclusivement sur le XVIIe siècle. Sans notices et photos de comparaison, la liste était à l’intérieur d’un numéro spécial du « Bulletin des amis du musée ». » Ce n’est donc pas un hasard si les deux anciens spécialistes du musée introduisent le catalogue d’un avant-propos généreux et rempli de nostalgie. Un passage de relais fait d’une main de maître.

Dans une mise en page didactique et épurée, le lecteur vient picorer à volonté des notices courtes, histoire des œuvres issues d’une collection au premier plan à l’échelle internationale. « L’ouvrage est une manière de percevoir le tableau à travers le temps. » De la Révolution au milieu du XIXe siècle, Le Nouveau-Né de Georges de la Tour, pierre angulaire du musée peint vers 1745, était par exemple considéré comme un tableau de l’Hollandais Godfried Schalken. Après 1850, il a été attribué aux frères Le Nain avant que le véritable auteur ne récupère la paternité au début du XXe siècle.

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Une collection construite en trois temps

« La base c’est la Révolution. » Heureux hasard, la collection naît des trouvailles sur place, soit Le Nouveau-Né considéré alors comme flamand et les deux retables Le Christ au jardin des Oliviers de Jean Jouvenet (1694) et La Résurrection du Christ de Noël Coypel (1700) saisies dans les églises de Rennes pendant la Révolution. « Puis, il y a eu la distribution du Louvre, les œuvres envoyées par l’État avec des tableaux particulièrement importants pour la peinture française. » La Descente de croix de Charles Le Brun (1679 – 1684) domine la collection et esquisse alors le visage du musée par sa taille. Tout comme Les Noces de Cana de Quentin Varin (1618-1622) alors attribuées à Jean Cousin. « Il y a également La Madeleine pénitente de Philippe de Champaigne [1657] et La Flagellation du Christ de Blanchard [vers 1635]. Tous ces tableaux dessinent le caractère particulier d’une collection. »

Il faudra attendre après la Seconde Guerre mondiale pour une évolution dans la politique d’acquisition. Dans les années 50/60, la Direction des musées de France essaie de rationaliser les collections afin de tirer un fil rouge dans chaque collection constituée dans les musées de province. « L’idée était de renforcer l’identité d’un musée avec l’un de ses points forts ou son point fort autour d’œuvres prestigieuses pour essayer de différencier les collections des unes des autres. » C’est à cette période que se développe au musée de Rennes cette politique du XVIIe siècle. La construction du Parlement de Bretagne et la réalisation de ses décors au XVIIe siècle inscrit fortement la capitale bretonne dans ce que l’on appelle alors « Le Grand Siècle ». « Le Nouveau-Né et La Descente de croix reviennent aussi dans les années 70 au musée après un séjour à l’église Saint-Germain. »

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Charles le Brun, Le Descente de croix, 1679-1689

Les achats importants de François Bergot et Patrick Ramade ont par la suite façonné la collection dudit siècle. Parmi eux, Abraham et Melchisédech et Élie dans le désert de Laurent de la Hyre (vers 1635), chefs d’œuvre du peintre qu’il serait difficile d’acquérir aujourd’hui et la petite nature morte de Lubin Baugin, petite corbeille de fruits et « l’un des quatre tableaux de ce type connus de cet artiste dans le monde et le dernier qui est apparu dans les années 60. » Avec les années 80, vient la mise en perspective avec les collections du XVIIIe siècle. « Des acquisitions, des sujets historiques essentiellement, ont permis de montrer la suite du XVIIe siècle », la peinture du XVIIe siècle étant très marquée par la peinture d’Histoire.

Par la suite, l’exposition Grand Siècle, réalisée par le conservateur Jean Aubert, rend célèbre le musée pour le XVIIe siècle. « Ce catalogue était mon manuel à la fac », se rappelle le conservateur. « C’était une référence pour les professeurs et ça l’est encore un peu aujourd’hui. C’est la première grande exposition avec un catalogue qui mentionnait tous les artistes et étudiait tous les tableaux. » En plus du plus grand rassemblement de peintures de musée dédié à un pays – la France – et à une période chronologique, 315 œuvres au total, le musée des Beaux-Arts de Rennes s’inscrit dans l’hexagone comme un spécialiste du XVIIe siècle français de par des expositions inédites au temps du conservateur Laurent Salomé (1995-2001), autour notamment de Jacques Blanchard et de Jacques de Bellange. Ces dernières ayant permis la publication de catalogues de référence, à l’instar du catalogue raisonné actuellement présenté.

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Le musée racontée en quelques peintures

Alors que les premières pages du catalogue des œuvres s’ouvrent sur un tableau français en cours de restauration rare que personne n’a encore jamais eu l’occasion de voir, (Le Sacrifice d’Isaac, Anonyme (1570-1580 ?)), la suite révèle autant de peintures importantes que de sujets singuliers et dresse le visage du musée.

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Anonyme, Le Sacrifice d’Isaac, vers 1570-1580

Une des œuvres les plus singulières, si ce n’est la plus, est, selon Guillaume Kazérouni, La Femme entre deux âges, réalisée dans un atelier parisien à la fin du XVIe siècle (1580-1590). Pourquoi cette femme est-elle dénudée, entre un jeune homme et un vieillard ? Et pourquoi rend-elle les bésicles au plus âgé ? « En lui rendant ses bésicles, elle éconduit le vieillard au profit d’un galant de son âge. La dame serre gracieusement l’auriculaire de son amant pour lui signifier son choix amoureux. » Mystérieux dans le contenu, le regard que la jeune femme porte vers le spectateur est magnétique, comme si l’on regardait à travers le trou d’une serrure…

De même, La Madeleine (anonyme, vers 1600-1602), conservée dans le cabinet de curiosités de Robien, est une des singularités du musée. À mi-chemin entre le tableau et l’objet, il est le seul tableau peint sur pierre du musée et « reflète parfaitement cette catégorie de peintures exécutées sur des supports précieux ».

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Anonyme, La Femme entre les deux âges, vers 1580-1590

Majestueuse par sa taille et sa qualité d’exécution, Les Noces de Cana de Quentin Varin (1618) est une des œuvres phares de la collection, et le tableau chouchou de Guillaume Kazérouni. Ce tableau unique d’un peintre français important ouvre la visite dans les collections du XVIIe siècle. « Quand j’ai mis en place la petite collection dédiée à une oeuvre, des petites publications que j’ai mises en place quand je suis arrivé, je l’ai créée en pensant à ce tableau en particulier », avoue-t-il avant de rajouter : « C’est important d’avoir de grands noms, mais c’est tout aussi important d’enrichir les collections d’œuvres que l’on ne voit pas partout. » À l’instar de La Reconnaissance de Chariclée par ses parents, le roi et la reine d’Ethiopie d’un peintre anonyme (vers 1620) dont il trouve l’histoire formidable. « C’est l’histoire des Éthiopiques d’Héliodore, une histoire rocambolesque d’amour avec des péripéties incroyables, que personne ne connaît aujourd’hui. » L’artiste anonyme peint ici le dénouement heureux des aventures de Théagène et de Chariclée, abandonnée par la reine d’Ethiopie, sa mère, car née blanche.

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Concernant le XVIIIe siècle, Suzanne et les vieillards de Michel Daurigny, neveu de Simon Vouet, est de ceux qu’il trouve le plus magique. « Simon Vouet est un peintre qui articule toute la première partie du XVIIe siècle. » Malheureusement aucun de ses tableaux n’est encore dans les collections du musée. En attendant, le conservateur trouve des dépôts venus de musées en travaux ou fermés : musée de Nantes, le Louvre et maintenant celui de Reims. « Tous ces dépôts montrent le soutien des autres institutions. Le Louvre et Versailles sont celles qui ont les collections de référence sur le XVIIe siècle. » Une confiance qui montre l’importance du musée de Rennes dans l’échiquier des musées de France.

La Bacchante endormie de Jean-Baptiste Marie Pierre, sublime oeuvre singulière qui repose dans les salles permanentes, est l’achat le plus important auquel le conservateur a contribué pour le XVIIIe. Véritable petit bijou que l’on ne se lasse pas d’admirer, elle est dans un état de conservation magnifique. « Il est différent de ce que l’on peut voir d’habitude puisqu’il est peint tout en grisaille », lui conférant ainsi une dimension onirique. Le corps de la bacchante est semblable à du marbre blanc que l’on risquerait de rayer si on l’approche de trop près.

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Jean-Baptiste Marie Pierre, Bacchante endormie, 1763

La collection des peintures révèle également un fort ancrage dans le territoire, autant pour les personnages qui l’ont habitée que pour ses peintres. Pour cette raison, ils ont acquis nombre de tableaux de Noël Coypel, peintre du plafond du Parlement. De même que Jouvenet. Pour le XVIIIe siècle, ils conservent Scène dans une course d’auberge de Pierre Angillis et La Mauvaise Nouvelle de Christian Marie Colin de la Biochaye. « Angillis est un peintre d’ici et Colin de la Biochaye est le premier conservateur du musée. Il est à l’origine du premier inventaire à la Révolution en 1794 avec Jean-Baptiste Paste. C’était intéressant de l’avoir dans les collections. »

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Christian Marie Louis Colin de la Biochaye, La Mauvaise nouvelle, 1794

Il y a des rencontres qui marquent la vie d’un musée. Pour celui de Rennes, il s’agit des collectionneurs Rosevita et Jean de la Motte de Bron à qui ils ont acheté une grande quantité d’œuvres à la fin des années 90. « Presque toutes les peintures de Noël Coypel du musée viennent de chez eux », soit une quarantaine de tableaux. Figure marquante du musée, Rosevita de la Motte de Bron, celle qui a identifié la plupart des peintures de Coypel qui ne lui étaient pas encore attribuées au musée, est récemment décédée. « Le dernier tableau acheté de Noël Coypel, Vénus et Adonis, vient de chez eux », souligne Guillaume Kazérouni.

Parmi les acquisitions de cette collection, un tableau de Nicolas Prévost, peintre du château de Richelieu dans le Poitou, orne les murs rouges des collections permanentes. Guillaume Kazérouni a proposé, pour le XVIIIe siècle, d’acquérir à la fois des peintres de renom (Champaigne, Le Sueur, Blanchard, etc.), mais également des artistes qui n’ont pas travaillé qu’à Paris. « Ce choix va donner une coloration originale aux collections du musée. Il n’y a vraiment de lieux où l’on peut voir un panel d’artistes un peu différents. » C’est dans ce cadre que les tableaux de Jacques de Létin, originaire de Troie, ont été achetés. Pierre Louis de Cretey, lui, était un grand peintre lyonnais. « Ces artistes sont impactés par la production de Paris, mais c’est pour montrer qu’en région se trouvaient aussi des écoles de peintures. »

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La première femme artiste de l’Ancien Régimea également sa place. Madeleine Hérault-Coypel, femme de Noël Coypel, vient d’une famille d’artistes dont le père a formé toutes ses filles. Beaucoup de femmes artistes étaient cantonnées aux genres mineurs (paysages, natures mortes, bouquets de fleur), notamment en France, mais Madeleine était principalement connue pour ses portraits d’une grande qualité picturale. Malheureusement, l’aspect de ses tableaux restait un mystère car introuvable. Chose réparée puisque le couple de la Motte de Bron acquiert Portrait d’homme, assis à sa table de travail que le musée lui a racheté il y a quelques années…. Une oeuvre exceptionnelle qui se fait le reflet de la politique d’acquisition du musée.

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Madeleine Hérault-Coypel, Portrait d’homme, assis à sa table de travail, vers 1660

Comme le démontrait déjà l’exposition Rennes 1922, la ville et ses artistes de la Belle Époque aux Années folles, la force des collections de peintures anciennes du musée des Beaux-Arts de Rennes réside dans la volonté d’innovation de son conservateur à vouloir rendre visible un art qui s’est développé hors de la capitale. Une force et une dynamique qui se traduisent parfaitement dans le catalogue raisonné des Peintures françaises des XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles.

Peintures françaises des XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles du musée des Beaux-Arts de Rennes, sous la direction de Guillaume Kazérouni, éditions Snoeck, 435 peges, 39 €. Parution : novembre 2021

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