Les Fantômes du vieux pays (The Nix), premier roman du jeune écrivain Nathan Hill, nous transporte dans l’actuelle Amérique déclinante et celle de la fin des années 60 en plein mouvement contestataire. Sur un ton fortement humoristique, mais teinté de tragédie, Nathan Hill expose, à travers la relation complexe d’un fils et de sa mère, les traumatismes individuels desquels il est difficile de se libérer. Un roman à l’humour ravageur dans la même veine de ceux de Jonathan Tropper ou de Benjamin Berton et à l’acuité psychologique d’un Franzen ou d’un Jonathan Dee.

NATHAN HILL LES FANTÔMES DU VIEUX PAYS

Tout commence par un fait divers survenu en 2011 aux USA : un gouverneur ultraconservateur, en campagne pour l’élection présidentielle, se fait agresser par une femme lors d’un meeting ; celle-ci lui envoie des graviers au visage, le blessant à l’œil. L’évènement est repris en boucle par les médias, mais échappe à l’attention de Samuel Anderson qui n’est autre que le fils de cette assaillante. Samuel, professeur de littérature et écrivain, reverra ainsi le visage de sa mère, qui deux décennies auparavant a quitté le domicile familial afin de changer de vie, laissant mari et enfant dans un profond désarroi. L’éditeur de Samuel, qui tarde à sortir un nouveau roman, convient avec lui d’écrire un livre sur sa mère, lui garantissant ainsi un succès commercial, ce qui permettrait aussi à l’écrivain de faire des recherches sur le passé de Faye pour comprendre les raisons de son départ.

Nathan Hill transporte ainsi le lecteur dans le quotidien ahurissant d’un professeur de littérature excédé par la crétinerie de ses élèves. Le triste univers solitaire des mordus de jeux vidéo ainsi que la malbouffe typiquement américaine sont également décrits sur un ton hyper réaliste et hilarant : « Pour arracher les nachos au plat, Pwnage devait les dessouder des filaments oranges et gluants qui les tenaient collés. Après quoi il les chargeait du maximum de fromage et de viande qu’ils pouvaient contenir. Et il se resservait ainsi avant même d’avoir fini la précédente bouchée. On aurait dit que sa bouche était un tapis roulant qui engouffrait la nourriture ».

On rencontre durant la lecture de ce long roman, et derrière l’aspect drolatique de la plume de l’auteur, des personnages attachants, victimes de drames ou traumatismes qui entacheront leurs personnalités, et influenceront leurs destinées. Le titre original de ce roman est « The Nix » ; ce terme est une entité fantomatique, démoniaque qui, selon les légendes scandinaves (le père de Faye est Norvégien) peut prendre l’apparence d’un être humain manipulateur et trompeur. Cette idée, très présente tout le long du livre est la clé de voûte du récit. La leçon associée au mythe du Nix est clairement d’éviter la tentation, en particulier celle qui est surnaturellement attrayante, et de rester en sécurité sur la terre qui est notre maison…

Durant son enfance, Samuel se lie d’amitié avec un couple de jumeaux de son âge issus d’un milieu social aisé. Bishop et Bethany feront vivre à Samuel des expériences qui resteront gravées au plus profond de son être. Bishop est un jeune garçon fortement émancipé, mais assez perturbé contrairement à Samuel, qui lui, est d’une nature hypersensible et introvertie. « Bishop Fall était un voyou, certes, mais pas le genre primaire. Il ne choisissait pas des proies faciles. Il fichait la paix aux petits maigrichons, aux filles ingrates… ce qui l’attirait, c’étaient les puissants, les arrogants, les forts, les dominants. Durant le premier rassemblement scolaire de l’année, Bishop se focalisa sur Andy Berg, champion local en matière de brutalité, le seul élève de CM2 doté de poils aux jambes et sous les bras, terreur de tous les gringalets et pleurnichards du coin. »

Le duo de garçonnets fera les 400 coups dans les rivières et forêts avoisinantes ainsi qu’à l’école, ce qui offre des scènes très drôles, notamment entre les instituteurs et Bishop. Ce dernier personnage réapparaitra bien plus tard, mais dans une dimension moins légère, durant la deuxième guerre contre l’Irak en 2003. « Ils avaient beau avoir le même âge, la même taille, et à peu près la même carrure – petits donc, onze ans, noueux et minces comme des cordes tressées serré – on voyait au premier coup d’œil que l’un d’entre eux avait incontestablement l’ascendant. Il s’appelait Bishop Fall – celui qui sautait des arbres, tendait des embuscades, tuait des animaux. Et il était justement en train d’expliquer à Samuel comment un jour il deviendrait un général cinq étoiles de l’armée américaine ».

NATHAN HILL
NATHAN HILL

Face à l’attitude évasive de sa mère, Samuel ne dispose que de très peu d’informations pour la rédaction de son livre, mais grâce à l’aide d’un geek en informatique et d’une photo de Faye prise en 1968, il remontera le cours de l’histoire. On se retrouve donc en pleine époque contestataire à Chicago : émancipation féminine, libération sexuelle, distance face au puritanisme religieux, rejet de la société de consommation, émergence du mouvement Peace & Love avec sa culture musicale et la découverte des drogues. Faye apparaît comme une jeune femme studieuse, réservée et parfois choquée face au comportement désinhibé de ses amis étudiants. Durant son enfance, une altercation avec son père la marqua fortement, lui causant une instabilité émotionnelle toujours présente à l’âge adulte. Pour gérer cette fragilité, Faye s’imposera un comportement perfectionniste dans ses études afin d’afficher extérieurement une impression de maîtrise, de non-confusion. « Son enfance serait à jamais divisée en deux, avant et après ce moment, qui la mettrait sur des rails et conditionnerait tout le reste – les crises, le désastre à Chicago, son échec en tant que mère et épouse, tout -, dès lors, il n’y aurait plus d’échappatoire. Il y a ce genre de moment dans toute vie, un traumatisme qui vous fait voler en éclats, et vous transforme à jamais. Celui-là était le sien ».

Nathan Hill nous fait donc agréablement voyager entre différentes époques, lieux et milieux sociaux ; même si certains passages sont tragiques, ceux-ci sont évoqués sans noirceur, et l’humour ainsi que la sensibilité de l’auteur ne sont jamais loin.

Nathan Hill Les fantômes du vieux pays, Éditions Gallimard, 17 août 2017, 720 pages, 25€.

Titre original : The Nix
Trad. de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Bach
Collection du monde entier, Gallimard
Parution : 17-08-2017

***

NATHAN HILL
Nathan Hill
Photo Francesca Mantovani © Éditions Gallimard

Né en 1976, ‌Nathan Hill est originaire de l’Iowa aux États-Unis. Il vit aujourd’hui en Floride et enseigne la littérature et l’écriture à l’université St Thomas dans le Minnesota. Ses nouvelles ont été publiées dans de nombreuses revues américaines. Les fantômes du vieux pays est son premier roman.

 

Article précédentVÉZELAY, RENCONTRES MUSICALES À LA CITÉ DE LA VOIX
Article suivantGIMMICK DE L’ÉTÉ, CHIRURGIEN
Nils Arrec
Guitariste chanteur, compositeur dans un registre Folk et Blues, je donne aussi des cours de guitare acoustique. La lecture est ma seconde passion avec un intérêt particulier pour les romans écrits en langue anglaise.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici