Transports partagés, exploitation et anonymat des données personnelles, véhicules connectés et transition énergétique… L’avenir des mobilités pose de nombreuses questions… Le forum des mobilités numériques InOut s’est tenu à Rennes du 14 au 18 mars 2018. Il permet d’avancer des éléments de réponse à partir d’initiatives qui se développent déjà sur le territoire breton.

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Le deuxième étage du centre des congrès des Jacobins, flambant neuf, surplombe la ville de Rennes. Depuis les larges baies vitrées, on aperçoit les toits d’ardoise du centre-ville, le sommet de la salle de la Cité en travaux, quelques grues. Mais à l’intérieur, le parterre de journalistes s’intéresse bien plus aux élus et hauts cadres d’entreprises qui leur font face. Ce 14 mars, tous ces grands acteurs plus ou moins locaux sont venus présenter leurs futurs projets, entre transports et numériques.

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Pour la métropole rennaise, le forum InOut, dédié aux « mobilités numériques », est l’occasion de se mettre en scène face à des responsables d’entreprises venus de toute la France, et même au-delà. « Le lieu pour cette rencontre est très mal choisi », s’amuse Mathias Vicherat, directeur général adjoint de la SNCF. « Il s’appelle couvent des Jacobins, on devrait plutôt l’appeler couvent des Girondins ! » Face au centralisme des premiers, il a envie de voir des initiatives émerger depuis les régions elles-mêmes…

« On veut devenir le territoire de référence sur les mobilités numériques », assène Emmanuel Couet, le président de Rennes Métropole. Pour lui, les enjeux du digital et de la mobilité se rejoignent désormais. Preuve en est le développement de véhicules connectés, les nombreuses applications dédiées au déplacement, l’exploitation d’immenses bases de données pour améliorer les transports… Surtout, explique-t-il, la ville a des atouts pour se démarquer de ses concurrentes dans ce domaine : « chaque année, 1 200 emplois nets sont créés sur la métropole dans le domaine du numérique ».

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Ville volante par les studios Ghibli

AVOIR UN COUP D’AVANCE

A ses côtés, le président de la Région, Loïg Chesnais-Girard, rappelle que la Bretagne est suffisamment diversifiée pour permettre de nombreuses expérimentations, entre ses îles, ses zones rurales, ses métropoles et ses cotes touristiques. Responsable d’Orange pour le grand Ouest, Pierre Jacobs pointe ses 3 000 salariés bretons en recherche et développement, et ses 4 000 cadres supérieurs installés dans la métropole rennaise. Betrand Picard, directeur commercial de Siemens, met en valeur un métro rennais – qu’il a conçu – « avant-gardiste » ; Loïg Chesnais-Girard précise en plus que la Bretagne a un réseau de trains régionaux parmi les moins chers et les plus efficaces.

« On veut avoir un coup d’avance sur les transports », explique le président de région. Pour cela, les pouvoirs publics travaillent main dans la main avec les grandes entreprises du secteur : Orange, PSA, Siemens, Keolis, Bolloré et la SNCF sont partenaires de la région Bretagne et de la métropole de Rennes pour organiser ce forum des mobilités numériques. « Nous avons la capacité d’agir et l’ambition », poursuit Loïg Chesnais-Girard. « On a envie de dire aux entreprises : utilisez-nous autant que vous voulez. »

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DE NOUVEAUX TRANSPORTS EN COMMUN

Ce sont ces partenariats entre pouvoirs publics et (très) grandes entreprises qui justement dessinent les évolutions des transports rennais. Au cœur de ces perspectives, évidemment, la seconde ligne de métro, dont les véhicules sont construits par l’allemand Siemens. « On travaille en étroite collaboration avec la métropole », soutient Bertrand Picard.

Derrière ce projet se cachent de discrètes innovations : des capteurs permettront de réguler le chauffage en fonction de la température, un système de navigation embarqué pourra informer les voyageurs en temps réel, une intelligence artificielle viendra déterminer à quels moments la maintenance des véhicules sera nécessaire grâce à la collecte de données.

mobilités futures
Cloud Skippers imaginés par le Studio Lindfors

Le groupe Bolloré est de son côté également engagé dans ces évolutions. La ligne 12 du STAR sera ainsi équipée du Bluebus du groupe breton, un bus électrique de 12 mètres. Un nouveau pas pour la métropole dans la transition énergétique : à terme, tous les bus du STAR devraient rouler à l’électricité. Pour l’entreprise, ce partenariat permet d’expérimenter le fonctionnement de ses véhicules à l’échelle de la métropole. Un test grandeur nature, pour tester à quel moment il vaut mieux recharger les bus, par exemple. Avant de continuer le développement de nouveaux modèles. « L’année prochaine, on va développer un bus de 18 mètres », indique ainsi Marie Bolloré, la fille de Vincent Bolloré, qui dirige l’activité véhicules électriques du groupe.

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VÉHICULES CONNECTÉS, VÉHICULES PARTAGÉS

Si la transition énergétique entre de plus en plus dans les transports, les véhicules autonomes, eux, restent une perspective de plus long terme… Les Rennais ont certes pu tester, sur le village d’InOut, la navette sans chauffeur de TransDev. Mais pour les constructeurs automobiles, l’heure est bien davantage au développement de véhicules connectés, qui communiquent entre eux. Une manière de renforcée la sécurité, selon les constructeurs. « La conduite ne sera plus la principale occupation dans un véhicule », souligne Pierre Jacobs, directeur d’Orange pour le grand Ouest. Le groupe de téléphonie travaille ainsi avec les groupes PSA et Ericson sur ces véhicules connectés. Des innovations qui, au préalable, nécessitent justement une couverture réseau complète sur toutes les routes. Le déploiement de la 5G devrait justement y aider.

voitures volantes

En parallèle de ces innovations, élus comme entreprises s’intéressent de plus en plus au partage de véhicules. En septembre 2017, la métropole a ainsi testé le covoiturage dynamique à Acigné : on peut rejoindre librement un déplacement inscrit en ligne, sans réserver. Au rez-de-chaussée du couvent des Jacobins, de nombreuses start-up veulent proposer des solutions de covoiturage, de partage de véhicule, de transport à la demande… « Si chaque Rennais faisait du covoiturage un jour par semaine, on aurait résolu tous les problèmes de pollution et d’engorgement », insiste Emmanuel Couet. Pour faciliter ce réflexe, la métropole va mettre en place des voies réservées aux covoitureurs sur certains axes de la rennais. Une solution qui risque de cristalliser des tensions avec certains automobilistes, reconnaît-il, et qui devrait être mise en place pour 2020.

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LE FILON DES DONNÉES PERSONNELLES

Mais avant tous, les entreprises ont le regard rivé vers le data : toutes ces données qu’on laisse derrière nous. Leur exploitation est un enjeu économique considérable pour elles, et les mobilités n’échappent pas à cette logique. Orange est ainsi la première entreprise productrice de données à travers, notamment, les téléphones portables et les objets connectés. La SNCF, elle, est la première entreprise en open data, les données publiquement accessibles.

Toutes ces données permettent de suivre très précisément les déplacements de chacun, les lieux fréquentés… Et donc de proposer de modes de déplacement adaptés. Pour un groupe comme Orange, cette connaissance des habitudes de chacun représente un produit à vendre qui intéresse de nombreuses structures publiques comme privées.

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Ainsi, de nombreux capteurs – de CO2, infrarouges, caméras – ont été installés par le groupe au sein du centre des Congrès. Une manière de voir, à l’intérieur du bâtiment, comment se déplacent les congressistes, pour s’adapter à leurs pratiques ou mesurer finement l’affluence à un événement. Pour cela, le groupe se repose notamment sur des start-up qui lui permettent d’innover en dehors des recherches de ses propres ingénieurs. Cela permet d’adapter par exemple le nettoyage du bâtiment à son usage réel, explique le directeur d’Orange pour le grand Ouest : très concrètement, si tout le monde utilise les mêmes toilettes, celles-ci devront être lavées plus souvent, contrairement aux autres. Ce qui existe au centre des Congrès prend une forme différente à l’intérieur des foyers, avec notamment les multiples objets connectés, qui proposent de faciliter certaines tâches… tout en recueillant davantage de données.

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A l’extérieur des murs, les téléphones portables que l’on a dans nos poches ou nos sacs prennent le relai des capteurs et autres objets connectés. Orange a ainsi développé un outil – baptisé Flux vision – qui permet d’analyser les déplacements à l’échelle d’un territoire à partir des données anonymes des mobiles. « On pourrait voir par exemple comment les congressistes se déplacent, pour proposer des déplacements à la carte », explique Pierre Jacobs.

L’opérateur de téléphone a également développé, pour ce forum des mobilités numériques, l’application Rennes explorer qui permet une immersion en 3D en temps réel dans les transports rennais. Grâce à cette application, il serait ainsi possible d’adapter ses déplacements en fonction de l’affluence dans les transports.

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L’exploitation de ces données est un vrai filon pour les entreprises. Pour les particuliers, elles promettent un confort individuel avec la personnalisation des offres de transport ou de services. Mais elles posent d’importantes questions sur le respect de la vie privée. Si en principe on donne son accord pour transmettre toutes ces données, on a rarement conscience de leur étendue et de l’usage qui en est fait, lequel peut s’avérer nettement intrusif. Chez Orange, on assure que les données vendues clé en main avec flux vision par exemple sont anonymisées. Une décision qu’a prise le groupe pour garder la confiance de ses clients. Mais, précise Pierre Jacobs, toutes les entreprises n’ont pas fait ce choix-là…

mobilités futures

”Si quelque ville se révolte, ou refuse de payer les impôts, le roi de Laputa a deux façons de la réduire à l’obéissance. La première et la plus modérée est de tenir son île au-dessus de la ville rebelle, et des terres voisines : par-là il prive le pays et du soleil et de la pluie, ce qui cause la disette et les maladies. Mais si le crime le mérite, on les accable de grosses pierres qu’on leur jette du haut de l’île, dont ils ne peuvent se garantir qu’en se sauvant dans leurs celliers et dans leurs caves, tandis que les toits de leurs maisons sont mis en pièces. S’ils persistent témérairement dans leur obstination et dans leur révolte, le roi a recours alors au dernier remède, qui est de laisser tomber l’île à plomb sur leurs têtes; ce qui écrase toutes les maisons et tous les habitants. Le prince néanmoins se porte rarement à cette terrible extrémité, que les ministres n’osent lui conseiller; vu que ce procédé violent les rendrait odieux au peuple, et leur ferait tort à eux-mêmes, leurs biens se trouvant sur le continent.” (Les Voyages de Gulliver, Jonathan Swift, 1727. Troisième partie, chapitre III)

Image de une : G. Rodeck, Sanatoir aérien du docteur Farceur, bureau volant de mariage, police aérienne [objets volants de fantaisie], 1890

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