Ah les vacances de printemps… Elles sont attendues parce qu’on a besoin d’une pause au sortir de l’hiver, parce qu’il faudra cravacher jusqu’à l’été pour un moment plus long au soleil, à la montagne, à la mer, ailleurs surtout. Et du temps pour soi… Justement, si lectrices et lecteurs, vous avez droit à un moment de répit pascal, pensez à vous munir de ce roman qui vaut le détour, Même les méchants rêvent d’amour, que nous offre Anne-Gaëlle Huon.

anne gaelle huon

Julia est une jeune fille plutôt bien dans son époque. Un peu artiste, elle travaille à un manuscrit, envisage donc de présenter prochainement son travail à son éditeur. Mais la belle est rattrapée par la vie, les devoirs et aussi les envies. Elle quitte Paris pour rendre visite à sa grand-mère, Jeannine, qui, la mémoire partie en voyage, a été placée dans une maison médicalisée où elle vit ses dernières années avec de « joyeux drilles », qui comme elle, oublient souvent le présent sans nécessairement faire table rase du passé. Au-delà des polémiques légitimes qu’on entend de-ci de-là sur le traitement des pensionnaires des EHPAD ou des maisons spécialisées dans l’accompagnement d’Alzheimer ou autres démences séniles, Jeannine semble heureuse là où elle est. Les soignants sont aux petits soins, notamment Félix, un personnage haut en couleurs. Et puis Jeannine peut compter sur Lucienne, l’amie de tous les instants, l’amie de toujours. Les deux femmes se connaissent depuis la période sombre de la dernière guerre.

En passant du temps auprès de sa grand-mère, en rangeant quelques effets, Julia tombe sur un carnet. Il lui est destiné. Jeannine lui raconte sa vie, ses secrets, ses amours complexes et douloureuses. Julia va découvrir le poids des non-dits, des rivalités, des trahisons, de l’attente, des faux-semblants, de la passion, des espoirs déchus… la vie des femmes avant, quand les hommes s’arrogeaient toute autorité sur elle. Un choc permanent que cette lecture mais nécessaire pour bien comprendre qui était réellement Jeannine, qui étaient ceux qui l’ont entourée pendant des années, dans la vérité comme dans les mensonges. Et puis, dans ce périple émouvant au cœur même de la Provence, Julia va peut-être découvrir l’amour des lieux, l’amour d’un homme, lui aussi, secoué par une vie en forme de montagnes russes. Le ténébreux et mystérieux Antoine.

Rien n’est linéaire dans l’existence. Les êtres agissent plus souvent comme ils peuvent et toujours non comme ils le veulent. Il y a des fidèles, il y a des gens plus troubles, et l’on se doit d’avancer avec eux, ou sans eux parfois. Et puis il y a de grandes étapes, des coups du sort, des événements qui nous changent, qui nous endurcissent ou, au contraire, nous humanisent. C’est long, c’est court une vie ; c’est riche une vie. C’est fait de petits riens qui deviennent de grandes choses. Des lieux communs, des assertions consensuelles ricaneraient d’aucuns. C’est aussi complexe que simple à la fois une vie. Jeannine, dans ses feuillets qu’elle transmet à Julia, lui permettra de comprendre beaucoup, souvent entre l’ombre et la lumière, l’entraînera tant vers la sagesse que la propension à se laisser traverser par les passions. Parce que sans passion, sans émotions, est-ce qu’une vie vaut d’être vécue ?

Dans ce roman construit sous forme de mises en abîme permanentes, et tout en subtilité, Anne-Gaëlle Huon, aborde avec force la fin de vie de nos aïeux – thème délicat et brûlant -, quand leur mémoire s’efface, quand ils doivent être placés en structure. Et dans le même temps, elle permet à une personne de transmettre son histoire à sa descendance dans un suspense savamment entretenu. Une manière élégante d’écrire que le présent comme le futur s’expliquent souvent par le passé mais aussi qu’on peut utiliser humainement, avec délicatesse, le passé pour ré-inventer le présent. C’est tendre, émouvant, jamais pathétique ; c’est dur parfois, c’est mélancolique souvent. Et drôle, drôle… C’est profondément humain en soulignant avec justesse les imperfections des uns, les forces des autres. Une photo réaliste de notre tragi-comédie humaine toute en couleurs via une écriture toujours plus visuelle.

Même les méchants rêvent d’amourAnne-Gaëlle Huon – Éditions Albin Michel – 365 pages. Parution : avril 2019. Prix : 19,90 €.

Couverture : © studio LGF – Photo auteur Anne-Gaëlle HUON © AM

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Christophe Maris
Christophe Maris est journaliste et écrivain, agrégé de Lettres modernes. Il collabore à plusieurs émissions de TV et radio et conçoit des magazines pour l'enseignement où il a oeuvré une quinzaine d'années en qualité de professeur de lettres, d'histoire et de communication.

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