Marine Lecoq, 24 ans, participera au Concours de Plaidoiries pour les Droits de l’Homme des élèves avocats au Mémorial de Caen samedi 20 mars 2021. Elle représentera l’École des avocats du Grand Ouest (Edago) sise à Bruz. Sa plaidoirie s’intitule « Syrie, Humanité meurtrie ». Rencontre à quelques heures du concours…

NDLR : Marine Lecoq a été récompensée samedi 20 mars du 2e prix : le Prix des Libertés et de la Paix d’une valeur de 1 500 € offert par le conseil d’administration des écoles d’avocats.

Unividers – Bonjour Marine Lecoq. Devenir avocate, est-ce une vocation ?

Marine Lecoq – Non, pas du tout. C’était même le métier que je ne voulais pas exercer en commençant mes études de droit (rires). J’ambitionnais de rentrer dans la police. C’est plus un concours de circonstance qui m’y a conduite. J’ai réalisé des stages puis avec des amis nous avons décidé de préparer et de passer l’examen ensemble. Aujourd’hui, je suis très contente et je pense que je vais aimer ce métier. Pendant mes études, je me suis concentrée sur le droit pénal. Avec les stages, je me suis plus tournée vers le droit de la famille et le droit civil. Je ne suis pas encore décidée : les trois spécialités me plaisent.

Unidivers – Vous participez à la finale du Concours de Plaidoiries des Droits de l’Homme samedi au Mémorial de Caen. Que cela représente-t-il pour vous ?

Marine Lecoq – C’est une opportunité d’évoquer un sujet que je considère capital ; d’autant que cette année marque les 10 ans de guerre en Syrie. Une situation humaine affreuse. Un imbroglio politique. C’est aussi un exercice intéressant en tant qu’élève avocate : se confronter à l’oralité et plaider devant un jury – propédeutique à ma future pratique et carrière professionnelle.

Unidivers – Comment le concours se déroule-t-il ?

Marine Lecoq – Je dois être à Caen vendredi après-midi. On a des répétitions et des essais de sonorisation. Il y a trois catégories de concours distinctes avec des jurés et des prix différents : les lycéens le vendredi, les élèves avocats le samedi et les avocats le dimanche. Nous sommes onze élèves avocats en finale, un par école. Les sélections ont eu lieu lors d’un concours de plaidoiries au sein de notre école. Je participe au concours samedi après-midi et on aura les résultats en fin de journée. On a 10 minutes pour plaider devant le jury présidé par Jacques Toubon. On a dû communiquer le texte de notre plaidoirie en amont et on ne peut pas le modifier.

concours de plaidoiries memorial de caen

Unidivers – Pourquoi avez-vous voulu participer à ce concours ?

Marine Lecoq – En fait, je n’avais pas du tout envie ! Je n’ai jamais été à l’aise à l’oral. Toutefois, j’ai pensé que précisément un tel enjeu était susceptible de m’aider à combattre ces freins. C’est pourquoi j’ai participé à un premier concours durant ma licence. Puis, une fois encore, nous nous sommes motivés entre élèves et amis. Une de mes amies est ainsi arrivée en 3e position au sein de notre école lors de sa première plaidoirie ! Un très bon entraînement qui m’a conduit à Caen.

Unidivers – Pourquoi avoir choisi « Syrie, Humanité meurtrie » comme sujet de votre plaidoirie ?

Marine Lecoq – L’objet de ce concours est de défendre une cause tirée de l’actualité récente où des personnes réelles ont subi une violation de leurs droits fondamentaux. Je me suis intéressée au cas de Rimas, une petite fille de 4 ans qui a été tuée alors qu’elle allait à l’école. Un sujet qui me révolte me permet d’écrire et de puiser en moi une force de conviction. Je me suis souvenue d’avoir entendu parler des débuts de la guerre lorsque j’étais au lycée. Au début de mes recherches pour le concours, la guerre durait depuis 9 ans. Ce conflit est géographiquement proche de nous et résonne par son caractère violent et meurtrier. Il affiche les caractéristiques de ce genre de conflits où l’on se dit après coup « plus jamais ça ». De fait, combien n’y a-t-il pas a eu de conventions internationales qui ont été prises à la suite de la Seconde Guerre mondiale afin de protéger les enfants, les femmes, toute la population tout simplement ?!? Et les camps de concentration : « plus jamais de telles horreurs »…

Aujourd’hui, des populations sont gazées avec du gaz sarin déversé par le régime de Bachar el-Assad et par les sympathisants du régime, notamment la Russie poutinienne. Au vu et au su de tout le monde. Dans une quasi indifférence et une lassitude de l’opinion publique occidentale tant les enjeux politiques au Proche-Orient sont complexes. Quand des preuves de l’utilisation du gaz sarin sur les populations ont émergé, Barack Obama avait promis que ce crime ne resterait pas impuni, que la communauté internationale allait réagir. Tant d’observateurs et journalistes s’attendaient à une réaction internationale sévère. Elle n’a pas eu lieu… Voilà l’orientation de ma plaidoirie au sujet d’un dirigeant qui gaze sa population au 21e siècle : « une fois encore l’histoire se répète, la folie d’un homme suffit à dévaster un pays entier ».

De fait, tolérer cette situation, a fortiori, aux portes de l’Europe est inadmissible. Cette semaine, le triste anniversaire des 10 ans du conflit syrien a suscité quelques rares unes dans la presse. Des reportages sur Arte, notamment, rappellent l’horreur. Ces corps morts qui sont sortis constamment des décombres, ces personnes vivantes qui luttent pour survivre et cette indifférence internationale ! C’est aberrant, c’est choquant, je n’ai même plus de mots…

Vous l’avez compris : ce sujet qui intéresse une humanité fragile et démunie me met en colère, me révolte. Tous les pays signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant ont pourtant l’obligation de venir en aide à ces enfants. Qui plus est, la Syrie en est signataire. C’est bien tristement risible…

Tous les pays démocratiques ont une responsabilité vis-à-vis de la population syrienne en général parce qu’aucun peuple ne devrait être massacré par ses propres dirigeants. Et plus encore au regard d’enfants qui sont des personnes considérées comme les plus vulnérables par le droit français ou international.

Unidivers – Pouvez-vous nous présenter cette petite fille qui est au cœur de votre plaidoirie ?

Marine Lecoq – Cette petite fille s’appelle Rimas. Elle allait à l’école quand elle a été tuée. Elle avait quatre ans. Sa maman ne voulait pas qu’elle aille à l’école ce jour-là. Ses proches craignaient un de ces bombardements réguliers du régime syrien. En général là-bas, les parents gardent leurs enfants proches d’eux et les envoient à l’école seulement de temps en temps. Ce jour-là, Rimas est partie à l’école et elle a été retrouvée morte dans les décombres d’un bâtiment qui s’est effondré pour faire suite à un violent bombardement. J’ai eu connaissance de cette tragédie par le site de l’Unicef et l’entremise de Raphaël Glucksmann qui avait relayé la photo de Rimas. Une petite fille de quatre ans, souriante, avec deux tresses et un collier de perles en bois… Ça m’a glacée. Déchirée. Révoltée.

À l’image du petit Aylan, l’enfant qui a été retrouvé sur une plage, la face contre terre. La photo de cette mort intolérable a traumatisé le monde entier. Et elle a provoqué chez moi un haut-le-cœur : trop d’information et d’émotions en même temps. Aylan aussi était Syrien. Voilà : tant de monde était dévasté, criait au scandale ; 6 ans après, des enfants comme Rimas meurent encore tous les mois. J’évoque le nombre de 5 437 dans ma plaidoirie, mais combien d’infortunées victimes en plus depuis que je l’ai écrite ?
La situation est cauchemardesque. Chacun s’en rendra compte en visionnant certaines images particulièrement choquantes. Regardons un instant ces secouristes qui exhument des corps d’enfants désarticulés des décombres, et demandons-nous quel marasme humain peut-on supporter sans intervenir. Rimas, ce n’est pas un enfant sans visage, ce n’est pas un nombre. C’est une petite fille souriante sur une photo. À l’image de tant d’autres que vous et moi connaissons.

Unidivers – Comment se prépare-t-on à un concours de plaidoiries ?

Marine Lecoq – On pleure… Puis on se ressaisit. On argumente. On répète. Ça fait un mois que j’apprends par cœur ma plaidoirie. J’ai déjà récité ma plaidoirie à presque tout mon entourage… Mes proches doivent se réjouir que le grand jour arrive !… Mon vade-mecum pour relativiser : me rappeler que la cause défendue est bien plus importante que mon stress de passer devant un jury.

Unidivers – Cette année 2021, vous plaidez uniquement devant le jury. Un concours sans public, ça vous rassure ? 

Marine Lecoq – Ça ne change pas grand chose parce que je n’avais pas envisagé de participer au concours. Et puis ça va être filmé et retransmis en direct – le public sera bien là. Ce qui m’impressionne à l’oral est de me savoir écouter…

Unidivers – Comment comptez-vous vous préparer la dernière heure avant votre plaidoirie ?

Marine Lecoq – En récitant ma plaidoirie une dernière fois. Comme un premier essai jeté où je vais buter sur des mots et m’énerver. J’appelle ça « décharger ». Ensuite les dix minutes juste avant de plaider, comme d’habitude, j’aurai une concentration extrême, un étrange blanc intense. Je ne ressens plus de crainte. En moi résonne « Quoi qu’il arrive, c’est maintenant, donc il faut y aller ».

Finale du concours de plaidoiries des élèves-avocats

Samedi 20 mars 2021 à partir de 10h30, remise des prix à 16h

Marine Lecoq plaidera « Syrie, Humanité meurtrie » à 13h30

Retransmit sur le site internet du Mémorial du Caen et sur la page Facebook.

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