Le livre des livres perdus : par ce titre programmatique, l’auteur italien Giorgio Van Straten signe un récit superbe dont le sujet est la littérature. Publié aux éditions Actes Sud, ce livre des livres perdus s’écrit entre bibliophilie, roman d’aventures et précis de littérature oubliée. Van Straten part à la recherche, non du temps perdu, mais de grands textes littéraires détruits, volontairement ou non.


GIORGIO VAN STRATENLe livre des livres perdus
 : tout ou presque s’avère contenu dans le titre du récit de Giorgio Van Straten. Son « livre » se pose à lui-même un défi : être le reliquaire qui garderait dans la clôture de son texte et ses pages quelques-uns des grands livres perdus de la littérature. Attention : nous ne parlons pas ici de livres imaginés ou imaginaires, mais bien de livres qui ont existé, à un moment donné, puis ont disparu sans laisser d’autres traces que la mémoire d’un ou plusieurs lecteurs. Le livre des livres perdus, en ce sens, est un grand voyage dans les fantômes de la bibliothèque : dans le monde du livre, un fantôme est une fiche qui remplace un volume sorti des rayonnages. « Un tour du monde en huit volumes, et non en quatre-vingts jours », écrit Giorgio Van Straten.

GIORGIO VAN STRATEN

Que contenait la valise noire de Walter Benjamin, lorsqu’il tenta de fuir la France en 1940 et se suicida à Portbou, à la frontière espagnole ? Pourquoi avoir brûlé les Mémoires de Byron ? Pourquoi Gogol lui-même brûla les feuillets de son projet monumental de Divine Comédie de la Steppe ? Les auteurs convoqués sont loin d’être des inconnus : ils appartiennent tous peu ou prou au panthéon de la littérature mondiale. Cette béance dans leur œuvre, et donc dans la bibliothèque-monde, attise autant l’envie qu’elle suscite la frustration. N’aimerait-on pas lire les toutes premières nouvelles d’Ernest Hemingway, perdues par sa femme dans un train français ? Ou le grand roman de Malcom Lowry auquel il a consacré neuf ans de son existence et qui a brûlé en même temps que sa cabane, quelque part en Colombie-Britannique ? Ou encore ce Messie de Bruno Schulz, perdu avec la Guerre, comme tant d’autres hommes et tant d’autres livres ?
GIORGIO VAN STRATEN

Giorgio Van Straten ne se contente pas de mener un véritable essai sur ces marges particulières de la littérature. Il suscite huit courts récits passionnants et passionnés, poétique dans leur facture. Entre autres exemples, celui de Bruno Schulz trahit, de la part de l’auteur, un respect pour le défunt doublé d’une envie amoureuse de retrouver un jour son livre perdu. Car Van Straten a mené, pour ces livres perdus, de véritables recherches. Parfois, ces livres se sont perdus avec la censure : ce serait le cas des Mémoires de Byron que son éditeur, sa femme et ses amis auraient brûlé parce que le poète y révélait notamment son homosexualité. D’autres exemples nous parlent d’autocensure : Gogol détruira tout par perfection. Le feu revient sans cesse : c’est lui qui brûlera In ballast to the white sea, le grand roman de Lowry. Van Straten nous parle aussi de ces livres que ces livres perdus ont suscités. C’est le cas du Messie de Stockholm de Cynthia Ozick : un roman sur Bruno Schulz et son manuscrit perdu, Le Messie. Les livres perdus fascinent : ils délimitent une frontière terrible entre littérature et oubli. Le livre des livres perdus s’avère tout aussi fascinant.

Le livre des perdus Giorgio Van Straten, éditions Actes Sud, collection Un endroit où aller, avril 2017, 174 pages, 18 euros

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