Une fois encore Lionel Duroy nous raconte sa vie. En recommençant au début. Sans jamais se répéter avec l’écriture comme élément réparateur.

HOMME QUI TREMBLE DUROY

« Depuis Priez pour nous tous mes romans s’emboitent, ou plutôt s’empilent, mais pas n’importe comment, comme les marches d‘un escalier, de sorte que si je ne publie pas celui-ci, si je saute une marche, la suivante ne pourra pas tenir ». Cela fait trente ans que Lionel Duroy superpose comme il l’écrit les récits de son enfance, de son existence comme un chirurgien de son âme. Le stylo est son scalpel. Les phrases sont les baumes réparateurs car pour l’écrivain cycliste sans écriture, pas de vie. On l’avait quitté avec son dernier ouvrage Nous étions nés pour être heureux, réconcilié avec sa famille, ses proches, renouant des liens brisés par la parution de ses textes autobiographiques.

On avait le sentiment d’un repos bien mérité, celui des souffrances atténuées par l’âge venant, par la sagesse. Une fin de l’histoire douce et sereine. L’écrivain allait peut être reprendre alors un de ses thèmes favoris : la guerre, le fond sans fin de la violence humaine. Très vite en ouvrant L’homme qui tremble on découvre qu’il n’en est rien. Lionel Duroy reprend tout depuis le début, depuis ce premier octobre 1949 à Bizerte, date de sa naissance, né de « Christine Vergez et Albert Duroy de Suduiraut dit Toto ». On se dit que l’on connait l’histoire, que l’écrivain ne peut que se répéter même s’il ne se dissimule plus cette fois-ci derrière le nom d’Augustin. Tout est pareil mais tout est différent. Pareil cette nécessité pour naître une deuxième fois, d’écrire, d’écrire encore et toujours, pour combler un vide, ou vider au contraire le trop plein de désamour, de folie. Pareil le leitmotiv de la terrible « tristesse d’exister », celle qui fait quitter le lit conjugal en pleine nuit sous l’effet d‘angoisses existentielles, cette panique de dormir à côté d’un corps de femme. Pareil le vide sidéral d’une existence quand l’écriture, qui l’a fait renaître une seconde fois, n’est pas au rendez-vous.

Tout est différent car Lionel Duroy a aujourd’hui plus de soixante-dix ans et la grille de lecture de sa vie a changé, les perspectives, à défaut de prise de hauteur, ont changé d’angle. C’est cette perspective nouvelle qui fait l’intérêt majeur de ce remarquable texte. On recommence tout : ces évènements ont « de nouveaux échos en moi, mon regard leur conférant au fil des années d’autres significations, que je n’avais pas su voir, comme si nous étions condamnés à courir toute notre vie derrière la personne que nous sommes sans jamais parvenir à la rattraper » écrit-il dès le début. L’intérêt de cette oeuvre majeure réside dans l’honnêteté que met l’homme à décrire sa vie. Intransigeant avec lui même, il juge ses faiblesses sans complaisance, sans tomber dans l’auto flagellation ou l’auto apitoiement. Il ne se regarde pas comme Narcisse dans son reflet pour s’admirer ou se détester, mais cherche à comprendre ses actes, ses fuites perpétuelles devant les femmes de sa vie, qui le font trembler, qui font dire aux êtres qu’il aime : « Tu es là, mais tu n’es pas là ».

Il revient alors sur ces faits déjà racontés, mais qui deviennent désormais majeurs comme ce traumatisme essentiel qu’est la crise de sa mère se cachant sous une armoire, ses cris brisant l’espace de l’enfance. Cet évènement éclaire aux yeux de Lionel Duroy nombre de ses douleurs les plus intimes. Ce n’est pas à un ressassement que nous assistons, mais à un nouvel éclairage, une nouvelle compréhension de ses événements traumatiques qui l’ont forgés : huissiers, saisies, chantiers, internement maternel, inconséquence de Toto et tant d’autres. On sait tout cela, mais on a, avec l’auteur, le sentiment de s’approcher cette fois-ci d’une vérité, d’une compréhension. En trois décennies Lionel Duroy est devenu pour ceux qui le lisent fidèlement une boussole dans la vie. Un ami ? Probablement pas. Un confident ? Sûrement. Celui vers qui l’on se tourne quand l’existence dissimule des souffrances ou des incompréhensions. Celui qui en auscultant son âme nous offre un miroir. Un accompagnateur de vie.

L’homme qui tremble de Lionel Duroy, Éditions Mialet Barrault, 382 pages, 21€, parution 6 janvier 2021.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici