C’est à un voyage à vélo vers Stalingrad que nous convie Lionel Duroy pour affronter la vieillesse qui s’avance et revenir sur les souvenirs d’une vie. Disparaître : quand deux roues deviennent thérapie.

Lionel Duroy part à vélo à destination de Stalingrad. Les lecteurs habituels de l’écrivain ne seront pas surpris, lui qui évoque souvent dans ses ouvrages son vélo Singer, cette merveille de randonneuse à deux roues, le mont Ventoux où il habite, dont les routes lui sont familières. On pourrait s’attendre à un récit de voyage à la manière de Sylvain Tesson, partant en moto sur les routes de la Berezina ou de Emmanuel Ruben roulant Sur la Route du Danube. Mais Lionel Duroy ne serait plus Lionel Duroy, celui qui depuis des décennies à longueur d’ouvrages, de « romans » si mal nommés, décortique sa vie personnelle, sa vie affective, sa vie familiale. C’est donc autre chose que le carnet quotidien de son voyage qu’il nous propose et raconte dans Disparaître, un titre qui dit l’objet de son périple. Pour être exact, il est utile de préciser que ce n’est pas Lionel Duroy qui part, mais son double littéraire : Augustin. Une façon habituelle de mettre en abîme la réalité et le virtuel, une sorte de protection : tout est vrai et faux à la fois.

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Pour s’en persuader, plus d’une centaine de pages sont consacrées à un repas de famille où ont été invités les quatre enfants de l’écrivain, rencontre dont on apprendra par la suite qu’elle a été inventée rétrospectivement lors du voyage à vélo. Un repas pour annoncer aux descendants, maintenant grands, qu’il part vers la Russie sans préciser cependant que c’est pour disparaître définitivement. On repense au repas inaugural de Nous étions nés pour être heureux, une table pour se dire les choses essentielles, celles que l’on ne prononce pas au quotidien. Lionel Duroy brille de nouveau par la pertinence de ses dialogues, de ses réflexions, qui sont celles d’un bilan de vie, mais aussi celles si proches du commun des mortels. C’est jubilatoire, éprouvant, impertinent et terriblement vrai.

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Lionel Duroy

Lionel Duroy est un vrai cycliste : « durant tout le temps passé sur mon vélo j’ignore la dépression, c’est d’ailleurs bien pourquoi je pédale chaque jour depuis cinquante ans. » Alors il part, chargé, lesté de sacoches, mais aussi de sa vie, de ses souvenirs et de livres comme souvent sur les traces desquels il va se rendre, Europolis de Eugeniu Botez, Stalingrad de Friedrich Paulus ou la correspondance d’un jeune soldat allemand. Tout est prétexte à réactiver la mémoire et à retrouver Toto le père, Esther, Agnès, deux de ses anciennes femmes, thèmes obsessionnels. Rien ne change et tout change à la fois sur ces thèmes répétés des centaines de fois, comme le paysan chaque année creuse de nouveau la terre pour ensemencer comme l’année d’avant et comme il le fera l’année d’après.

Écoutez l’interview de Lionel Duroy à la Saison littéraire de la ville de Rueil-Malmaison

Cependant désormais apparaissent de nouvelles thématiques. Lionel Duroy a 70 ans et son corps se rappelle à lui, ce corps dont il imagine que ses enfants le trouvent désormais presque hors d’usage. Et la déchéance peut arriver à tout moment. Il faut la cacher et disparaître avant qu’elle n’absorbe tout aux yeux de tous. Pourquoi ne pas mourir alors au bord de route d’épuisement, d’un accident ? « Celui qui arrive à l’âge de mourir doit prendre les devants », écrit-il à plusieurs reprises. Il faut prendre la mort cette « sale conne » de vitesse, mais on peut repousser cette lutte jusqu’à demain, jusqu’à la visite de la prochaine ville, de la prochaine maison que l’on fait semblant d’acheter possiblement, jusqu’à la prochaine femme qui vous touchera le bras, qui vous accueillera dans son lit. Faire semblant de précéder la mort comme on fait semblant de vivre. Faire semblant d’écrire la vérité alors que l’on écrit un roman. Ou l’inverse. Se persuader en fait d’être courageux pour éviter l’angoisse.

Vélo et écriture sont deux des piliers essentiels de la vie de Lionel Duroy, deux éléments qui l’aident à survivre et à tenir en équilibre. Aussi, si vous inquiétez pour lui, sans rien dévoiler de la fin, sachez que l’écrivain n’est pas disparu et qu’il vit encore. On l’aurait surpris autour du Ventoux en train de rouler sur un de ses vélos carbone avec un carnet dans les poches pour prendre les notes de son futur roman. Où il sera probablement question de David, Claire, Coline, Anna, mais aussi de Toto, Agnès, Esther. Rien ne change, tout change.

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Disparaître de Lionel Duroy, éditions Mialet Barrault, 290 pages, 20€, parution le 24 août 2022.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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