2018 : la société française s’accorde sur l’obligation de protéger les enfants. Par définition, les enfants sont des êtres vulnérables, fragiles, même s’ils présentent souvent une capacité à l’adaptation et à la résilience ; c’est presque indéniable même si l’on sait combien les enfants maltraités trimballent leurs souffrances comme des cicatrices qui suppurent tout au long de leur vie d’adulte. Il y a les souffrances physiques mais pas que. On ne parle pas assez des souffrances psychologiques qui peuvent détruire tout autant que les coups, que les abus en tout genre.

TIXIER LES MAL AIMES

1901 : c’est en ce tout début du XXe siècle que Jean-Christophe Tixier place l’action de son roman. Dans un petit village retiré des Cévennes, les paysans vivent là, presque en vase clos, à l’ombre étrange et angoissante d’une maison, un bagne érigé là par la société de l’époque et avec la complicité de l’Église (la séparation de l’Église et de l’État n’est pas loin mais elle n’interviendra qu’en 1905). Dans cette ambiance, il y a les adultes et puis les gosses.

Et les petites filles, les petits garçons de l’époque n’avaient pas de réel statut ; ils servaient surtout à aider aux champs, à la ferme, dans les cuisines. Et écrire qu’ils étaient élevés à la dure n’est qu’un euphémisme. Ils s’élevaient souvent seuls, ils vivaient sinon ils crevaient… Et puis on en faisait tellement des marmots qu’en perdre un n’était pas nécessairement une épreuve pour des attelages (des couples) pour lesquels les sentiments passaient bien après tout, quand ils existaient. On travaillait, on travaillait, on travaillait, on mangeait mal, on se reproduisait comme des animaux et on mourait… Souvent dans la crainte omniprésente de la puissance de Dieu. (celui-là on ne l’avait jamais vu, mais on le redoutait et surtout, on ne remettait quasiment jamais son existence en doute tellement les prêtres, le clergé endormait et contrôlait le peuple)

Et les gosses… Très souvent ils étaient maltraités, battus, bafoués, violés. Les petites jeunes filles donnaient naissance à des gamins issus de l’inceste, des pulsions bestiales de leurs aînés. Et quand les gosses commettaient quelques écarts, menus larcins ou comportements jugés à la hâte comme inappropriés, on les enfermait au bagne (comme celui bâti sur la colline de ce village cévenol), ils servaient de main-d’oeuvre, crevaient de faim avant de sortir les pieds devant ; ils n’avaient pas plus de douze, treize ou quatorze ans et généralement ne manquaient à personne.

Dans ce roman, Les mal-aimés, l’auteur met en scène des jeunes gens, Étienne, Blanche, des gamins qui vivotent parmi des adultes durs, cruels et violents. Blanche est régulièrement violée et engrossée par son oncle quand Étienne est régulièrement roué de coup par Léon parce qu’il fait défaut à soigner correctement les chèvres. Les femmes, un peu plus sensibles – encore que -, ne peuvent intervenir sous menace de coups… Quant au médecin, ici Morluc, souvent lâche, ferme les yeux en visite chez les familles, il ferme les yeux parce que acheté par les prêtres. Mais le temps et les épreuves peuvent aussi punir les adultes pour leurs comportements déviants et criminels. Ils ne sont pas toujours châtiés, ils sont souvent ridiculisés parce que les gosses peuvent aussi de temps à autre se rebeller avec leurs petits moyens…

C’est un tableau marquant d’une époque – pas si lointaine au final -, que nous brosse avec justesse et remarquablement documenté l’auteur. C’est dur, il faut s’accrocher mais c’est nécessaire. Par le prisme du roman, on peut même imaginer qu’il adoucit le pire. Parce que le pire a existé, et on peut également penser qu’il existe encore ici et là, ici ou là, car la maltraitance n’a pas totalement disparu, par que les comportements pervers font aussi partie de la tragi-comédie humaine. Parce que le pouvoir que d’aucunes et d’aucuns exercent sur des êtres fragiles est d’une facilité affligeante. Parce que la violence est le signe évident de l’échec en termes d’éducation.
Et ces mal-aimés sont attachants ; on les aime dès le début de ce roman écrit au scalpel, à la trique ! Un incontournable de ce printemps…

Les mal-aimésJean-Christophe Tixier – Éditions Albin Michel – 330 pages. Parution : 27 février 2019. 19,50 €.

Couverture : Yolande de Kort / Arcangel Images – Photo auteur Jean-Christophe Tixier © DR.

 

jean-christophe tixier

Jean-Christophe Tixier est né en 1967. Créateur du salon polar de Pau « Un aller-retour dans le Noir », il est également un auteur jeunesse reconnu (une vingtaine de titres salués par la critique). Il vit actuellement entre Pau et Paris.

Rencontre dédicace en Bretagne à Penmarch, Finistère, du 8 au 10 juin :

Rencontre et dédicace dans le cadre du salon Goéland Masqué.

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