Que sait-on de sa grand mère? Mayana Itoïz est allée à la recherche de la sienne en consultant des photos. Y compris les plus gênantes datant de la seconde guerre mondiale.

Léo en petits morceaux

C’est l’histoire d’une boite à chaussures comme il en existe dans toutes les familles. À l’intérieur des photos sépia ou noir et blanc, avec des marges crantées. Au dos des photos des noms, prénoms, dates, lieux. Au recto, des visages, des groupes, des sourires. Des histoires aussi. C’est une de ces boites que Mayana Itoïz a ouverte. Dedans il y avait notamment une photo de sa grand-mère Léo dans les bras d’un jeune soldat allemand en 1942. La légende au dos pourrait être celle-ci : « Léo avec Fritz à Bordeaux ». De photos en photos qui ouvrent, par la transparence de papier calque, les chapitres, l’autrice reconstitue ainsi ces « petits morceaux » qui font une vie. Dans le désordre de 1942 à 2001 mais un désordre ordonné et éclairant.

Cela peut être simple une vie quand on la veut belle et vivante. Léo est de ces jeunes femmes qui souhaite simplement la croquer à pleines dents, être amoureuse et rire, rire souvent, prendre Madeleine son amie dans ses bras, danser avec sa soeur Andrée qui l’oblige pourtant à voir la réalité en face : « c’est beau Bordeaux, mais… Mais ? C’est la guerre ? Ça y’est ? T’as remarqué ? ». La guerre c’est vrai qu’elle la vit à sa manière, dans son petit village basque, sans un engagement résistant même si elle aide un belge blessé à passer clandestinement la frontière. Jeune, elle agit comme elle le sent ne percevant certainement pas tous les enjeux du conflit mondial qui se traduit surtout pour elle par l’accueil imposé de soldats et officiers allemands dans la maison familiale. Et ce n’est pas la couleur vert de gris d’un uniforme qui peut empêcher l’amour. On appellera plus tard ces amours de « collaboration horizontale » titre d’ailleurs notamment d’une BD éponyme de Navie et Carole Maurel (Delcourt) ou du très subtil roman « Marguerite » de Jacky Durand (Folio), cette « collaboration » qui conduira à la tonte des femmes jugées sommairement coupables.

  • Léo en petits morceaux
  • Léo en petits morceaux

Mayana ItoÏz ne défend pas, ne condamne pas, elle donne plutôt à ressentir par de superbes images et chapitres de joie, d’amitié, la légèreté de vivre d’une jeune fille amoureuse. La construction est fine et précise et à aucun moment le lecteur ne se sent obligé de prendre partie. Les choix de Léo sont ceux d’une jeune femme libre, insouciante, dans une campagne loin de la guerre dont elle découvre le vrai visage lors d’un voyage à Bordeaux, une guerre qui se matérialise par le phare de Biarritz peint en noir dans le cadre de la défense passive ou par les files d’attente devant les magasins d’alimentation.

Vingt chapitres, comme vingt morceaux de photos, puzzle d’un amour perdu de jeunesse qui aura de multiples conséquences dans la vie d’adulte. Les personnages secondaires sont attachants, évitant aussi tout manichéisme comme Pampi, amoureux transi de Léo dont on peut craindre la trahison et qui se révèlera d’une probité exemplaire, dissimulant sous son béret basque son amour. Le dessin est léger et, même dans les situations les plus sombres, atténue la noirceur du récit. L’autrice sait, en utilisant des couleurs douces et en changeant le format de ses images, traduire avec pudeur toutes les émotions. Ainsi la foule rassemblée pour assister à la punition des femmes, terrible dans son jugement, ses propos, ne présente aucun visage de haine. Mayana Itoïz s’arrête avant que la violence réelle ne se déclenche. Les SS ne sont évoqués que par leur tenue noire et les soldats n’apparaissent souvent qu’en silhouettes. La guerre est là mais n’empêche pas totalement la vie ordinaire et la naissance des sentiments amoureux.

Léo en petits morceaux

Co autrice des aventures du Loup en slip, personnage qu’elle a créé, l’autrice Bayonnaise nous livre ici son premier album solo, tout en subtilité et finesse, donnant envie d’ouvrir à notre tour les armoires et les tiroirs des meubles de nos grands mères. Pour y découvrir peut être des secrets inavouables.

Léo en petits morceaux de Mayana Itoïz. Editions Dargaud. 178 pages. 27€.

Lire un extrait de la BD

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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