Le Nain, brillamment adapté de L’Anniversaire de l’infante d’Oscar Wilde, raconte avec autant de grâce que de violence l’histoire de la brève rencontre entre une princesse cruelle et un nain transfiguré par des sentiments immenses.

OPERA LE NAIN

Dans la cour d’une Espagne imaginaire on s’apprête à fêter les 18 ans de l’Infante. Parmi tous les cadeaux qu’on lui offre figure un nain… un nain poète et troubadour qui ignore tout de sa disgrâce car il n’a jamais vu son reflet dans un miroir. L’Infante en fait son jouet, il s’éprend de la belle, elle fait semblant de lui rendre son amour, lui offre une rose, danse avec lui… Puis le rejette, et, pour expliquer son désaveu lui tend ce miroir diabolique qui lui révèle son infortune. Elle en rit. Il en meurt.

opéra NAIN ZEMLINSKY

« C’est un peu court jeune homme ! », cette phrase tirée de Cyrano, pourrait résumer le sentiment laissé par les derniers accords de l’œuvre de Alexander von Zemlinsky, « Der Swerg ». L’intensité et la compacité de cet opus ont tellement réussi à nous captiver que la fin trop rapide nous a laissé véritablement frustrés. « Der Zwerg » ne dure que le temps d’un acte d’un peu plus d’une heure et quelques minutes, mais cet opéra, inspiré d’une nouvelle d’Oscar Wilde, « l’anniversaire de l’infante » est d’une intensité musicale et dramatique, rarement atteinte, c’est stupéfiant !

opéra NAIN ZEMLINSKY

Véritable réussite que cette coproduction des opéras de Lille, de Rennes et de la fondation Royaumont. La chose la plus immédiatement saisissante est le décor. Sorte d’écran de télé géant aux parois intérieures d’un blanc immaculé, il met le spectateur dans une position de quasi-voyeurisme. Le metteur en scène Daniel Jeanneteau et son collaborateur Olivier Brichet, en choisissant une voie épurée, focalisent notre attention et intensifient ce sentiment de concentration de l’œuvre. Les lumières jouent un rôle tout à fait essentiel. Marie-Christine Soma en les poussant jusqu’à des intensités aussi éblouissantes que peu habituelles, réussit à rendre les personnages diaphanes et presque dilués dans un halo qui les désincarnent. À l’opposé, elle rétablit une forme d’intimité en en baissant l’intensité pour créer des ambiances feutrées. L’apport de couleur est inexistant, sauf peut-être un soupçon doré pendant un court instant. Du côté des costumes, les touches très sombres des caméristes et du chambellan, coïncident parfaitement, tant à leur fonction qu’à l’ambiance générale, même remarque pour les huit compagnes de l’infante, vêtues de robes vaporeuses et légères, mais le pauvre nain miteusement affublé d’un jean, d’une veste de survêtement et de baskets blanches, semble sortir d’une banlieue médiocre. Tout cela fonctionne, mais manque un peu de créativité. Une bonne note toutefois pour les divertissantes chaussures à semelles compensées, que tous portent, et qui sont censées faire paraître encore plus petit, Mathias Vidal, dans le rôle du nain.

opéra NAIN ZEMLINSKY

Un des principaux motifs de satisfaction reste le niveau vocal de l’ensemble des protagonistes. Avec une belle autorité et une voix convaincante, c’est Christian Helmer, pour lors, Don Estoban, chambellan de l’infante, qui ouvre les hostilités. Très convaincant, il reçoit rapidement la réponse d’une excellente Julie Robard-Gendre, un peu surdimensionnée pour un si modeste emploi. Pas étonnant qu’elle soit notre coup de cœur vocal du jour, tant son assurance et sa prestation la situent au-dessus du lot. Cela n’empêche pas, pourtant, le chœur des huit compagnes de l’infante de faire très bonne figure. L’infante, parlons-en. Un étrange serre-tête lui donne des airs de princesse elfique, directement sortie d’un épisode du seigneur des anneaux et c’est plutôt réussi. Son teint très pâle, son jeune âgé et sa minceur incarnent de façon idéale l’enfant légère et inconséquente qui finira, boudeuse, abandonnant au sol ce nouveau jouet qu’elle a si vite brisé. Du côté vocal, un petit manque de puissance est à noter sur certains passages, mais c’est anecdotique et Jennifer Courcier s’en tire honorablement. Cette réflexion vaut pour Mathias Vidal, dans le rôle du nain, qui réussit à mettre beaucoup d’émotion et crédibilité à son personnage, et personne dans la salle n’a pu rester indifférent à sa peine, lorsqu’il découvre la vérité sur son image.

Ce que le nain avait peut-être de plus amusant était la totale inconscience de son
aspect grotesque. En vérité, il semblait parfaitement heureux et plein d’entrain. Quand les
enfants riaient, il riait aussi franchement, aussi gaiement qu’eux et, à la fin de chaque
danse, il leur faisait la plus comique des révérences, souriant et leur adressant des
signes de tête, tout comme s’il était vraiment l’un d’entre eux et non ce petit être contrefait
que la nature, par quelques facétieux caprices, avait façonné pour servir à autrui
d’objet de raillerie.
(Oscar Wilde)

opéra NAIN ZEMLINSKY

Franck Ollu, à la tête de l’Orchestre symphonique de Bretagne, saura tirer des dix-huit musiciens invités, la quintessence de leurs aptitudes. Tous les pupitres sont sollicités, les violons sont étonnants de musicalité, les cuivres et les bois omniprésents, les percussions instillent la vie follement énergique que réclame la partition. C’est musicalement splendide, incroyablement dense, et d’une précision métronomique. Guère étonnant que Arnold Schoenberg s’exprimant en 1949 n’ait écrit en parlant de Zemlinsky : « j’ai toujours cru ferme qu’il était un grand compositeur et je continue à le croire. Son heure viendra peut-être plus tôt qu’on ne le pense. Une chose ne fait pas de doute pour moi, c’est que je ne connais aucun musicien venu après Wagner, qui ait su remplir d’une substance musicale plus noble ce que le théâtre demande. Ses idées, sa forme, sa sonorité et chaque expression naissaient directement de l’action de la scène et de la voix du chanteur avec une netteté et une précision de la plus haute qualité. » Le public, largement présent pour cette séance en matinée, a acclamé avec une reconnaissante vigueur, le travail remarquable effectué par l’ensemble des chanteurs et des musiciens. Le nain fut pour tous une véritable découverte.

opéra NAIN ZEMLINSKY

Même si tu étais ma mort, Princesse, c’est toi que je voudrais.

Le Nain

Le Nain, der Zwerg, représentations à l’Opéra de Rennes le dimanche 25 mars à 16h, mardi 27 à 20h et jeudi 29 à 20h. Coproduction Opéra de Lille, Opéra de Rennes, Fondation Royaumont.

opéra NAIN ZEMLINSKY

LE NAIN ZEMLINSKY

Der Zwerg, opéra en un acte, livret de Georg C. Klaren d’après la nouvelle L’anniversaire de l’infante d’Oscar Wilde. Arrangement pour orchestre de chambre de Jan-Benjamin
Homolka 1922.
Spectacle chanté en allemand, surtitré en français
Libre adaptation de Georg C. Klaren
Musique d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
Créé au Neues Theater, Cologne, 28 mai 1922
Arrangement pour orchestre de chambre de Jan-Benjamin Homolka – Créé au Wilhelma Theater de Stuttgart en 2014

Créé au Neues Theater de Cologne le 28 mai 1922, ce drame intense et cruel est unanimement considéré comme le chef-d’œuvre du compositeur autrichien. Alors qu’il a beaucoup apporté à la modernisation de l’Opéra, Alexander von Zemlinsky (1871-1942) est un artiste trop mal connu, dont les années de gloire de 1900 à 1930 à Vienne, Prague et Berlin ont vite été oubliées.
L’Opéra de Lille a choisi de confier l’interprétation d’une réduction du Nain pour orchestre de chambre à l’Ensemble Ictus, qui réunit des solistes de très haut niveau. La direction de l’Ensemble sera confiée à Franck Ollu, qui saura restituer la densité et les couleurs de cette œuvre flamboyante. Et c’est le plasticien, scénographe, dramaturge et homme de théâtre Daniel Jeanneteau qui a été choisi pour ses dispositifs scéniques d’une délicate beauté et sa direction d’acteurs d’une grande précision.

La musique de Zemlinski dénote avant tout une grande et profonde compassion pour la
condition humaine. Le bouleversant portrait d’un nain qui n’a jamais regardé dans un miroir, d’un être dont la nouvelle conscience de soi détruit le sens de sa propre valeur et, automatiquement, sa vie même, confronte l’auditeur à une troublante question métaphysique. En contradiction avec la maxime « Connais-toi toi-même » de la Grèce antique, ne nous trouvons-nous pas mieux de ne pas nous connaître ? Chacun de nous a-t-il besoin de ses illusions pour survivre ? En tant qu’ouvrage théâtral, le Nain ne le cède à aucun de ses contemporains. Il possède tension et équilibre dramatiques, est parfaitement proportionné, la musique y épouse à merveilles les paroles, les éléments lyriques, dramatiques et formels s’y fondent sans soudure. L’écriture vocale est libre et agréable, et l’orchestre aussi brillant et imaginatif que celui de Strauss et Mahler. Le Nain forme avec Une tragédie florentine, créée six ans plus tôt, et la Salomé de Strauss, dont la création eut lieu en 1905, une trilogie d’opéras en un acte d’après Oscar Wilde. Le Nain est une
histoire d’innocence détruite, de désir fervent mais irréalisable d’un amour impossible à obtenir. Ces trois drames dans lesquels règnent charme séduisant, chatoyante sensualité, désespoir et décadence fin-de-siècle, sont mus par des dilemmes complexes et de morbides ironies.

James CONLON, 1996 (extraits)

Mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau
Costumes Olga Karpinsky
Lumières Marie-Christine Soma
Chef de chant et assistant à la direction musicale Nicolas Chesneau
Assistant mise en scène et scénographie Olivier Brichet

Orchestre Symphonique de Bretagne
(Directeur Musical Grant Llewellyn)
Direction musicale Franck Ollu

Le Nain Mathias Vidal
Donna Clara Infante d’Espagne Jennifer Courcier
Ghita, sa camériste Julie Robard-Gendre
Don Estoban, chambellan Christian Helmer
Trois Caméristes Laura Holm, Marielou Jacquard, Fiona McGown

Avec le soutien des Fondations Royaumont et Daniel & Nina Carasso et La caisse des dépôts.

Autour du spectacle
Rencontre avec les artistes samedi 24 mars à 15h00
Foyer public, accès libre dans la limite des places disponibles.

À la découverte d’Une tragédie florentine avec Arthur Nauzyciel
En contrepoint des représentations du Nain à l’Opéra, le directeur du Théâtre National de Bretagne reprend un atelier qu’il a mené durant l’été 2016 autour d’un autre ouvrage de Zemlinsky, lui aussi inspiré d’Oscar Wilde : Une tragédie florentine, variation non moins cruelle sur le thème, cette fois, du trio traditionnel mari-femme-amant, qui va se résoudre dans une violence extrême. Arthur Nauzyciel conduit les jeunes chanteurs, avec le pianiste qui les accompagne, dans une analyse volontairement dépassionnée de l’expressionnisme dramatique et musical du tandem Wilde-Zemlinsky, pour mieux toucher à l’essence du drame. Une expérience passionnante.

Opéra Le Nain ZEMLINSKY
Alexander von Zemlinsky
(1871-1942)

Exposition – « Alexander Zemlinsky, l’étranger »
Découvrez ou re-découvrez à travers cette exposition la vie et l’œuvre du compositeur et chef d’orchestre Alexander Zemlinsky. À travers un ensemble de documents d’archives, de reproductions d’œuvres musicales ou picturales, suivez de Vienne à Berlin ou New-York le destin singulier de cet artiste issu de la Vienne sécessionniste, qui, aux prises avec la brutalité du XXe siècle, n’eut de cesse de sonder sa propre étrangeté.
Exposition produite par la Médiathèque Musicale Mahler, en partenariat avec l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et la Fondation Royaumont, avec le soutien du Ministère de la Culture et du Fonds Zemlinsky de Vienne.
Du mardi 13 au mercredi 29 mars (ouverture pendant les représentations du Nain)
Foyer Public – Opéra de Rennes

 

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Photos crédit Frédéric Lovino

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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